Ce dictionnaire est le fruit du travail de 168 auteurs, principalement des historiens mais aussi des sociologues, des « politistes » et des gestionnaires. A défaut de pouvoir tous les présenter, on peut noter qu’on y trouve à peu près tous les spécialistes français de l’histoire économique contemporaine ; j’en veux pour preuve que ses principaux rédacteurs forment aussi les forces vives de l’Association Français d’Histoire économique.
Son directeur, Jean-Claude Daumas, professeur à l’Université de Franche-Comté, est bien représentatif des renouvellements récents de l’histoire économique en même temps qu’il en est un acteur. Après avoir soutenu et publié une thèse sur l’histoire d’une entreprise lainièreL’amour du drap – Blin & Blin, 1827-1975, histoire d’une entreprise lainière familiale, Besançon, Université de Franche-Comté, 1999., il a notamment fait partie des quelques historiens qui se sont emparés du concept de « district industriel », avec un temps de retard sur les économistes, les sociologues et les géographes, à travers un livre sur l’histoire de l’industrie lainière en FranceDAUMAS Jean-Claude, Les territoires de la laine. Histoire de l’industrie lainière en France au XIXe siècle, Villeneuve d’Asq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, 419 pages. et une série de colloques auxquels il a participé et/ou qu’il a organisésECK Jean-François et LESCURE Michel (textes réunis et présentés par), Villes et districts industriels en Europe occidentale, Tours, Publications de l’université François Rabelais, 2002, 358 pages ; DAUMAS Jean-Claude (sous la direction de), Les systèmes productifs dans l’Arc jurassien : Acteurs, pratiques et territoires, Presses universitaires de Franche-Comté, collection « Les cahiers de la MSH Ledoux », Besançon, 2004, 338 pages ; DAUMAS Jean-Claude, LAMARD Pierre, TISSOT Laurent, Les territoires de l’industrie en Europe (1750-2000), Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, collection « Les cahiers de la MSH Ledoux », 2007, 476 pages.. On pourrait citer aussi sa contribution au renouvellement de l’histoire du capitalisme familial et ses recherches actuelles sur l’histoire de la grande distribution.
Le Dictionnaire historique des patrons français est divisé en deux parties : une partie biographique, la plus attendue, et une partie thématique qui permet, en lien avec l’introduction générale de Jean-Claude Daumas, d’envisager le sujet « patronat » sous toutes ses couturesLa table des matières complètes et la liste des auteurs est disponible à l’adresse suivante : http://www.culture-besancon.fr/sites/default/files/Presentation-Dictionnaire.pdf. Le choix a été fait de se limiter à un long vingtième siècle s’étendant des années 1880 à nos jours même si certaines notices biographiques amènent les auteurs à évoquer des périodes antérieures.
La première partie donne en quelques pages les informations essentielles sur les principaux patrons français de la période étudiée mais beaucoup de notices ne sont pas individuelles. Les maîtres d’œuvre de l’ouvrage ont fait le choix d’entrées renvoyant à des biographies collectives. Celles-ci s’imposaient pour les grandes dynasties familiales : les Wendel, les Schneider, les Rothschild …

Les petits patrons aussi

D’autres entrées surprennent plus ; c’est le cas par exemple ce celles-ci : « Banquiers régionaux », « patronat choletais », « Décoletteurs de la vallée de l’Arve », « patronat d’Oyonnax ». Ces notices, en particulier les trois dernières, permettent à la fois de donner des exemples de représentants du « petit patronat », notion à laquelle est consacrée du reste une entrée dans la partie thématique, et de rendre compte des recherches récentes sur les districts industriels et autres systèmes productifs locaux déjà évoqués.
La partie thématique, intitulée « Le monde des patrons », comprend dix volets : « Identités », « Recrutement et carrières », « Gestion de l’entreprise », « Pratiques et enjeux », « Idées et valeurs », « Organisations patronales », « Institutions », « Politique et influence », « Représentations » et « Événements. » Cette partie, autant sinon plus que la première, permet de prendre la mesure du renouvellement de l’histoire des entreprises et plus largement de l’histoire économique ; en témoignent les notices sur le patronat sous l’occupation, sur l’épuration ou encore sur les organisations patronales qui sont actuellement l’objet d’un important programme de recherche animé par Danielle Fraboulet, auteur de plusieurs notices sur ce sujet dans le dictionnaire. La variété des rubriques de cette deuxième partie souligne aussi que l’histoire économique est aussi imprégnée ou influencée par les évolutions plus générales de l’historiographie : la sous-partie sur les représentations, avec des textes sur « Les patrons dans la littérature » ou « Les patrons au cinéma », relève autant de l’histoire culturelle de l’économie que de l’histoire économique stricto sensu.

Et de l’histoire culturelle

Dans la veine « histoire du genre », on trouvera des contributions sur les « Femmes au travail » ou « Les femmes chefs d’entreprises » mais rien sur « patrons et identité masculine », encore que cette problématique apparaisse en creux dans les textes sur les femmes, ou sur l’homosexualité, signe de l’absence d’intérêt pour ces questions, qui n’en ont peut-être pas du reste, ou de l’absence de travaux de recherches.

Ce dictionnaire, comme le voulaient ses maîtres d’œuvre, comble assurément un vide. Utile pour les enseignants, il le sera aussi pour les élèves de lycée. Les articles sur Renault, Peugeot ou Bernard Tapie, pour s’en tenir à quelques exemples, complèteront utilement ceux de Wikipédia. Il faut espérer que le prix, 65 euros, ne sera pas un frein à l’achat par les CDI. Ce compte-rendu ne donne qu’un aperçu de la richesse du contenu d’un ouvrage appelé à devenir un classique ; pour mieux percevoir l’étendue de cette richesse, on ne saurait que conseiller de lire, pour commencer, la table des matières complète déjà citéehttp://www.culture-besancon.fr/sites/default/files/Presentation-Dictionnaire.pdf.

© Thomas Figarol