Peinte par Delacroix, évoquée par Baudelaire avec ses « magiques pavés dressés en forteresse » (p. 123), la barricade est, à Paris, un objet révolutionnaire majeur du 19ème siècle.
Cela tombe bien, « les deux poussées révolutionnaires de 1830 et 1848 en France et en Europe » ainsi que l’instauration de la Deuxième République puis son échec sont au programme des classes de Première (eduscol). La même source propose à l’enseignant en lycée des « points de passage et d’ouverture » (dits PPO) dont certains sentent la poudre barricadière : Trois Glorieuses, Alphonse de Lamartine, Georges Sand, Louis Napoléon Bonaparte, Louise Michel mais aussi Victor Hugo dont les concepteurs des programmes semblent, cependant, préférer l’enterrement que l’armement. Le petit livre d’Éric Hazan permet d’aborder une partie du programme sous un angle original puisque des barricades il y eut, à Paris : en 1827, 1830, 1832, février 1848, juin 1848, décembre 1851 et 1871. Certaines d’entre elles débouchèrent même sur des tournants significatifs de la vie politique du pays, objet d’étude majeur des nouveaux programmes de 1ère.
L’auteur, écrivain et historien, fondateur des éditions La Fabrique, a écrit plusieurs ouvrages dont L’invention de Paris, en 2004. Il avait déjà publié un livre sur la barricade en 2013, qu’il semble avoir en grande partie repris. Il présente les premières barricades dans Paris : celles de la Ligue en 1588, celles de la Fronde (1648) et celles de Prairial an III (mai 1795), (« Les barricades de la faim ») mais il centre son propos sur les barricades du 19ème siècle. Ce qui intéresse fortement le professeur de lycée débordé, qui prépare deux nouveaux programmes ainsi que des épreuves communes de bac (qui répondent au doux nom d’E3C).
C’est pourquoi, dans ce bref compte-rendu, nous reviendrons essentiellement sur les passages analysant la barricade au 19ème siècle. Huit courts chapitres permettent d‘étudier ce thème, un présente le combat des Canuts à Lyon et un autre rappelle qu’en 1848, « La barricade s’exporte en Europe », à Palerme, Vienne, Berlin… et même Dresde , en mai 1849. Ville dans laquelle Richard Wagner et Michel Bakounine s’illustrent[1].
Six chapitres sont donc consacrés aux insurrections barricadières à Paris. Ce qui frappe, tout d’abord, c’est la fréquence de ce type d’événements, en particulier entre 1827 et 1851. Leur importance politique est, ensuite, rappelée : départ de Charles X, instauration de la République, écrasement des barricadiers ouvriers de juin 1848, faible opposition au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte… Enfin, l’auteur met bien en évidence le changement de composition sociale des insurgés perceptibles lors de ces différentes journées. Presque toute la population y participe en 1830 alors qu’en 1848, « l’insurrection de Juin est menée par le prolétariat parisien en solitaire : sur les barricades, on ne voit pas de ces étudiants, de ces artistes, de cette bohème dont la présence sera si importante lors de la Commune » (p. 108). En décembre 1851, Victor Hugo ou Victor Schœlcher qui avaient tenté d’organiser l’opposition à Bonaparte n’étaient pas parvenus à soulever le peuple de Paris.
Ce qui fait aussi tout l’intérêt de l’ouvrage, c’est que l’auteur appuie largement son propos sur des citations de contemporains : écrivains, hommes politiques, militants, illustres ou peu connus qui furent témoins de ces événements ou participèrent à ces barricades. Sont, entre autres, cités Tocqueville[2], Karl Marx[3] mais aussi Lamartine pressé, en 1848, de mener campagne « contre les ateliers nationaux » et « cette armée de toutes les séditions » (p. 110). D’un ton glacial, Victor Hugo relate, lui, la tentative de décembre 1851 : « Partout, mort subite. On ne s’attend à rien. On tombe ». Odilon Barrot conclut froidement : « Cet égorgement n’était pas le fruit d’une méprise, il fallait un peu de terreur, ne fût-ce que pour grandir l’événement » (p. 134). Pour Éric Hazan, les barricades, écrasées, de la Commune sont les dernières importantes. Dans ce chapitre, l’auteur s’appuie largement sur les livres de Prosper Olivier Lissagaray ou de Gustave Lefrançais militants qui participèrent à la Commune. Pour Éric Hazan, l’écrasement de la Commune marque un tournant et la barricade n’a plus au 20ème siècle qu’une importance symbolique. Les villes ont changé et leurs larges boulevards permettent aux armées modernes lourdement équipées d’y manœuvrer facilement et de réprimer aisément les révoltes. Enfin, la population des villes a changé et s‘est déplacée.
La bibliographie allie ouvrages de contemporains (écrivains ou militants), ouvrages d’histoire un peu anciens ainsi qu’une référence à un ouvrage universitaire plus récent[4].
Pour conclure, un ouvrage, agréable à lire, qui peut intéresser les enseignants d’histoire en lycée ainsi que d’autres publics et qui donne envie d’approfondir le sujet. Un seul regret, la couverture, aux belles couleurs, qui « fait » très 20ème siècle.
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[1] Brillant, Victor Hugo écrira plus tard :
A bas les Washington ! vivent les Attila ! — »
On a des gens d’esprit pour soutenir cela.
Oui, qu’ils viennent tous ceux qui n’ont ni cœur ni flamme,
Qui boitent de l’honneur et qui louchent de l’âme ;
Oui, leur soleil se lève et leur messie est né.
C’est décrété, c’est fait, c’est dit, c’est canonné ;
La France est mitraillée, escroquée et sauvée.
Le hibou Trahison pond gaîment sa couvée.
IV
Et partout le néant prévaut ; pour déchirer
Notre histoire, nos lois, nos droits, pour dévorer
L’avenir de nos fils et les os de nos pères,
Les bêtes de la nuit sortent de leurs repaires ;
Sophistes et soudards resserrent leur réseau ;
Les Radetzky flairant le gibet du museau,
Les Giulay, poil tigré, les Buol, face verte,
Les Haynau, les Bomba, rôdent, la gueule ouverte,
Autour du genre humain qui, pâle et garrotté,
Lutte pour la justice et pour la vérité ;
Et de Paris à Pesth, du Tibre aux monts Carpathes,
Sur nos débris sanglants rampent ces mille-pattes.
Victor Hugo, Les Châtiments, cité en partie p. 106.
[2] Dont la lucidité est vantée par l’auteur dans les notes, p. 162.
[3] Cet auteur à la plume acérée vilipende le bourgeois français qui, en 1848 aurait préféré, selon lui, « une fin effroyable » de la République parlementaire à « un effroi sans fin ». «Bonaparte comprit cet appel », conclut-il, cité p. 126.
[4] Alain Corbin et Jean-Marie Mayeur (sous la dir. de), La barricade (Histoire de la France aux XIXe et XXe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1997.