Le Dictionnaire Richelieu permet de s’interroger à nouveaux frais sur la personnalité riche et complexe du principal ministre de Louis XIII. Comme le notent les directeurs de l’ouvrage, le fondateur de l’Académie française méritait bien son Dictionnaire. La « note liminaire » de Françoise Hildesheimer et de Dénes Harai est sans aucun doute trop courte pour bien mesurer les enjeux et les objectifs du livre. Étonnamment, ce sont surtout les limites du projet qui sont pointées dans cette introduction. Si le présent compte rendu ne saurait résumer la teneur de ce Dictionnaire, il cherchera à dégager quelques lignes de force, au gré d’une navigation d’un article à l’autre, aussi libre que personnelle.

Quelle histoire pour Richelieu ?

Le livre accorde une importance non négligeable à l’historiographie et à la fabrication de la légende de Richelieu, donnant au personnage une épaisseur nouvelle. Avec les articles signés par Laurent Avezou, on comprend comment le cardinal est sollicité de manière contradictoire, dès le XVIIe siècle, « comme icône tutélaire de l’État royal ou comme figure-repoussoir d’une aristocratie en perte d’influence » (p. 213). Cette image ambiguë perdure au XIXe siècle, après ce jour de 1793, où le corps du ministre est exhumé de son tombeau de la Sorbonne et sa tête coupée – celle-ci sera restituée en 1866 après avoir passé plusieurs décennies en Bretagne. L’« intégration au panthéon national » vient avec la IIIe République et la publication de la monumentale Histoire du cardinal de Richelieu (1893-1947) de Gabriel Hanotaux. Le serviteur de Louis XIII ne cesse pourtant pas d’être instrumentalisé, notamment pendant l’Entre-deux-guerres : ainsi, dans un ouvrage paru en 1934, Auguste Bailly associe le ministériat de Richelieu au fascisme italien. Durant la seconde moitié du XXe siècle et jusqu’à nos jours, le cinéma participe aussi à la légende, noire le plus souvent, du personnage qui « fait presque toujours office de méchant de service » (p. 72). Le nom du cardinal reste faiblement inscrit dans l’espace public français. Si la ville de Richelieu (actuel département de l’Indre-et-Loire), créée ex nihilo à partir de 1633 au nord d’un splendide château détruit au XIXe siècle, rappelle le souvenir du cardinal et de sa « volonté organisatrice » (Alexandre Gady, p. 312), seule une vingtaine de rues, de boulevards ou de places portent le nom du prélat (Dénes Harai, p. 115-116). On est également surpris de la petite quantité d’établissements scolaires placés sous l’égide du ministre. Se distinguent un collège privé de La Roche-sur-Yon, sur les terres épiscopales du ministre, et un lycée public de Rueil-Malmaison, qui rappelle le château construit pour le prélat par les soins de Jacques Lemercier (voir p. 319).

Une très utile contribution d’Isabelle Rochefort présente les archives et les papiers de Richelieu conservés dans des fonds divers. Le Testament politique y occupe une place particulière. Il s’agit d’un texte publié pour la première fois en 1688, « bréviaire de l’homme d’État », à la fois bilan de l’action gouvernementale depuis 1624 et programme de réformes. Ce texte, comme les Mémoires, constitue aussi un « écran » (Alain Hugon, p. 117) dont les historiens n’ont pas toujours mesuré l’importance.

L’ascension politique

Parmi les contributions qui permettent de se faire une idée de la naissance politique de Richelieu, on peut signaler celles qui concernent le milieu familial (« Du Plessis » ; « Alphonse du Plessis », le frère aîné ; Amador de La Porte, l’oncle maternel), la formation ou encore l’action menée à la tête du diocèse de Luçon, à partir de 1608. Plusieurs articles insistent sur la progression de la position de Richelieu auprès de Marie de Médicis, à partir de 1615, avant le coup de majesté de 1617 et l’assassinat, sur ordre de Louis XIII, de Concino Concini (voir notamment p. 124-125). La mise à l’écart qui suit, l’action pendant les guerres dites de la Mère et du Fils, avant la promotion au cardinalat (1622) et le retour au Conseil (1624) sont notamment évoquées par Dénes Harai (p. 236-237) ou par Jean-François Dubost (p. 250-251). Les stratégies de Richelieu pour reconquérir le pouvoir, notamment sa participation à la campagne pamphlétaire contre Charles d’Albert de Luynes, favori de Louis XIII à partir de 1617 et jusqu’à sa mort en 1621, auraient sans doute mérité un examen plus détaillé (voir cependant l’article de Caroline Maillet-Rao, p. 282).

À l’épreuve du pouvoir

Les lettres patentes du 21 novembre 1629 qui accordent à Richelieu la dignité de « principal ministre » entérinent un état de fait. Le cardinal préfère ce titre à celui de « premier ministre » qu’on trouve aussi dans la documentation contemporaine (Orest Ranum, p. 266-267). La journée dite des dupes (11 et 12 novembre 1630) achève d’établir Richelieu au pouvoir, écarte le garde des sceaux Michel de Marillac, provoque l’exil de Marie de Médicis et la rupture avec Gaston d’Orléans, le frère du roi (sur ce dernier, voir le texte de Pierre Gatulle, p. 155-159). La contribution de Cécile d’Albis (p. 189-191) doit être ici complétée par la lecture du brillant essai de Christian Jouhaud paru aux débuts de cette année (Richelieu et l’écriture du pouvoir…, Paris, Gallimard). L’historien y analyse l’ensemble des discours produits à l’occasion de ces événements et montre que le coup de force de Richelieu est aussi un « coup textuel » qui fonctionne par le biais de mémoires, de lettres, etc., considérés non simplement comme des sources ou des traces mais aussi comme de véritables actions politiques.

Les années 1624-1642 peuvent être regardées de multiples manières. L’étude des liens qui unissent Louis XIII au cardinal reste décevante. Affirmer, sans plus de formalités, que « dans le secret des cabinets, le roi doit admettre une réelle supériorité intellectuelle de son ministre et reconnaître son ampleur de vue » (Jacqueline Martin-Bagnaudez, p. 231) n’épuise pas le sujet. Plus stimulante est la réflexion d’Arnaud Teyssier sur la notion d’« État », pensée par Richelieu, dans un cadre toujours confessionnel, comme « une puissance agissante au service des ‘intérêts publics’ et non [comme] le simple arbitre d’intérêts ‘privés’ qui s’affrontent » (p. 123, à confronter avec les p. 301-303 sur la raison d’État, par Jotham Parsons).

Plusieurs articles reviennent sur les institutions et les acteurs au service du gouvernement et de son chef. On signalera en particulier les contributions de Christophe Blanquie (« gouverneurs », « intendants », « offices et officiers », « présidial ») et de Michel Cassan, lequel propose une réflexion sur la notion, si complexe dans la France d’Ancien Régime, de « clientèles ». Dès 1619, Richelieu s’entoure de « clients » qui occupent, à partir de 1624, des postes clé au sein du gouvernement. À la surintendance des finances se succèdent Antoine Ruzé d’Effiat (1626-1632), Claude de Bullion (1632-1640) et Claude Bouthillier (1632-1643). François Sublet de Noyers, « parfaite ‘créature’ de Richelieu », succède à Abel Servien au secrétariat d’État de la guerre, en 1636 (p. 345, Camille Lefauconnier-Ripoll, qui vient de soutenir, à l’École des hautes études en sciences sociales, sous la direction de Robert Descimon, une thèse sur la famille Sublet). Pierre Séguier, garde des sceaux (1633) puis chancelier (1635), est également un fidèle du cardinal (voir l’article de Yannick Nexon, p. 335-339, écho à son ouvrage publié chez Champ Vallon en juin dernier). Il faut citer aussi le nom du capucin François Le Clerc du Tremblay, dit le père Joseph, l’éminence grise de Richelieu (Benoist Pierre, p. 208-211).

Les années cardinales sont scandées par des complots et des conjurations. Les ennemis de Richelieu, au premier rang desquels il faut placer Gaston d’Orléans, ne manquent pas. Rabaisser l’orgueil des Grands passe par une sévérité impitoyable contre les révoltés (Arlette Jouanna, p. 165) : Henri II de Montmorency, gouverneur de Languedoc, est exécuté en 1632, de même que le marquis de Cinq-Mars dix ans plus tard.

Comment caractériser les années de gouvernement du cardinal-ministre ? La lutte contre les protestants apparaît comme une constante de cette période. La prise de La Rochelle, à la fin de 1628, l’édit de Nîmes et la paix d’Alès, en 1629, marquent la fin du parti huguenot et un affaiblissement des Églises réformées de France. Sur le front extérieur, la lutte contre l’Espagne catholique, dénoncée par les milieux dévots, est décisive. Le conflit, larvé durant la première moitié des années 1630, est ouvert à partir du 19 mai 1635, quelques mois après la signature d’un traité d’alliance avec les Provinces-Unies. Il faut attendre 1659 pour que la guerre ne prenne fin, avec la conclusion du traité des Pyrénées. L’opposition entre la France de Louis XIII et l’Empire ibérique de Philippe IV ne doit pas interdire les comparaisons entre les politiques menées par Richelieu d’une part et par Olivares d’autre part. Les correspondances biographiques entre ces deux figures sont bien connues et ont notamment fait l’objet du grand livre de John H. Elliott. Comme le note avec force Alain Hugon, si les ambitions guerrières des deux ministres ont placé les deux pays « au bord de la désintégration », « seules la postérité et l’historiographie légitimèrent le discours belliqueux du Français et discréditèrent celui de l’Espagnol » (p. 120).

Ce rapide compte rendu ne saurait épuiser les richesses de l’ouvrage – les entrées abordent une multitude de domaines, politique, militaire, religieux, artistique, sans oublier la dimension internationale –, même si on peut pointer un souci de problématisation inégal selon les contributions et quelques lacunes regrettables, en particulier la faible place des champs économique et social. Le grand mérite de ce Dictionnaire, conclu par une utile chronologie, reste sans aucun doute de réunir des auteurs chevronnés et des chercheurs plus jeunes, faisant de l’historiographie de Richelieu un objet vivant et susceptible d’intéresser des publics variés.

Luc Daireaux © Clionautes

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