30 décembre 1773, à Paimbœuf, non loin de Nantes, le navire négrier La Marie-Séraphique est en cours d’armement. Le navire, acquis en 1769 par Jacques Barthélémy Gruel qui le rebaptisa du nom de son épouse, Marie-Anne-Séraphique de Lampougnians de Chavigny, est sur le point de partir pour une quatrième et dernière compagne de traite. Pendant que le capitaine Jean-Baptiste Fautrel-Gaugy prend note des derniers ordres de l’armateur, les dernières recrues montent à bord du bateau. Parmi eux, Guy, jeune mousse originaire du Croisic, est pris en charge par Jacques membre d’équipage.

Le 31 décembre, le navire fait voile en direction des côtes africaines, et halte au comptoir de Loango pour commencer la traite. L’équipage doit toutefois faire face à la rude concurrence commerciale des autres navires européens. Après d’âpres négociations avec les autorités locales, la longue période de traite débute, au cours de laquelle 378 hommes, femmes et enfants sont achetés pour être revendus comme esclaves à Saint-Domingue. Avant de monter sur le navire, les captifs procèdent au « rituel de l’arbre de l’oubli », censé enfouir la mémoire de leur vie passée. Ils sont également marqués au fer rouge du monogramme du navire, « LMS ».

À bord de La Marie-Séraphique, les conditions de vie des captifs sont inhumaines. Les hommes, les femmes et les enfants sont enfermés dans des « parcs » séparés, aménagés par les charpentiers dans l’entrepont du navire, d’une surface totale de 100 m2 et d’une hauteur de 1,5 m. Ils sont sous la vigilance de « quartiers-maîtres », membres des captifs qui ont pour mission d’inspecter et surveiller la cargaison humaine. Les captifs doivent faire face à la malnutrition, aux maladies, à l’insalubrité, aux violences physiques et psychologiques. Leurs journées sont rythmées par les sorties sur le pont, les repas et une toilette sommaire. Ils sont également occupés à nettoyer le pont et l’entrepont. Pendant la traversée, une vingtaine de captifs perdent la vie. La dysenterie, la variole et le scorbut ont souvent raison de certains, tout comme les blessures mal soignées. Toutefois, d’autres décèdent suite à des actions de résistance, que ce soit des révoltes ou plus simplement des suicides.

La Marie-Séraphique arrive au Cap-Français le 24 novembre 1774 avec à son bord 358 personnes destinées à être vendues aux propriétaires des plantations. La vente est organisée le 3 décembre 1774, après le passage de l’inspection sanitaire. Elle se déroule à bord du navire, ce qui évite au capitaine de payer les lourdes taxes réclamées lorsque la vente est réalisée à terre. Les captifs sont dans un premier temps préparés et soignés pour être présentés aux acheteurs. Des lots sont également constitués pour permettre au capitaine de vendre les captifs les moins robustes. La majorité des hommes et des femmes sont achetés pour travailler comme esclaves dans les plantations que ce soit dans les champs ou dans les ateliers de transformation des productions. Une nouvelle vie, particulièrement difficile, commence alors pour ces individus. Les captifs doivent faire face à la pénibilité des travaux, aux maladies et aux mauvais traitements. Certains tentent de fuir la plantation, ce que l’on nomme le marronnage. Toutefois, ceux qui sont repris sont sévèrement punis avec des entraves, du fouet, des privations d’eau et de nourriture ou encore de l’isolement.

La vente terminée, La Marie-Séraphique prend la route du retour chargée de denrées produites dans les Antilles. Cette dernière partie du voyage n’est pas sans danger, et certains membres d’équipage, comme Jacques et Guy, n’hésitent pas à déserter après le paiement de la solde. Arrivées à Nantes, les marchandises sont déchargées. Les bénéfices du système esclavagiste ont, par effet de ruissellement, des répercussions sur l’ensemble de la ville de Nantes qui s’enrichit et ses habitants qui bénéficient du développement économique lié à la traite. La ville s’agrandit, s’embellit de nouveaux bâtiments comme la place et le théâtre Graslin, ou encore les immeubles des armateurs sur lesquels on distingue toujours aujourd’hui les décors de mascarons qui évoquent les Antilles lointaines.

 

Enchaînés. Dans l’entrepont de la Marie-Séraphique, paru en septembre 2021 aux éditions Petit à Petit est le fruit d’un travail collectif réalisé en partenariat avec le Château des Ducs de Bretagne dans le cadre de l’exposition nationale, L’abîme, Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial, 1707-1830 présentée du 16 octobre 2021 au 19 juin 2022. Six personnes ont collaboré à l’élaboration de cet ouvrage : Alexandrine Cortez signe le scénario, Antoane Rivalan, Christophe Lannes et Joël Odone ont réalisé les dessins et la couleur, et enfin Bertrand Guillet, directeur du Château des Ducs de Bretagne et conservateur en chef du patrimoine, et Krystel Gualdé, directrice scientifique du musée d’histoire de Nantes, sont les auteurs des pages documentaires. Il ne faut pas s’y tromper, cet album est avant tout une fiction. Toutefois, les auteurs s’appuient sur une multitude de sources historiques ce qui permet au lecteur de comprendre et de prendre conscience de ce que pouvait être une campagne de traite. L’histoire de la quatrième campagne de La Marie-Séraphique pour le compte de l’armateur Gruel est divisée en onze chapitres de trois à cinq planches et de deux pages documentaires apportant des informations complémentaires ainsi que des illustrations d’objets et de documents historiques, dont une grande partie est exposée au Château des Ducs de Bretagne à Nantes.

Pour conclure, cet ouvrage rend parfaitement compte, au travers de l’exemple de La Marie Séraphique, de ce qu’était la traite. Les planches sont claires et donnent de la fluidité à l’ensemble. Les documents apportent des informations supplémentaires qui n’ont pas été abordées dans la bande dessinée. L’ensemble est parfaitement adapté pour une utilisation en classe de quatrième dans le cadre de la séquence « Bourgeoisies marchandes, négoces internationaux et traite négrière au XVIIIe siècle ».