Les ouvrages récents sur la bataille de Diên Biên Phu ne sont pas nombreux, souvent consacrés à un récit très détaillé de la bataille. Ce n’est pas le cas de la synthèse d’Ivan Cadeau. L’auteur, officier, a déjà à son actif un certain nombre d’ouvrages consacrés aux différents conflits qui touchèrent l’Asie après la Seconde Guerre mondiale : Corée, Indochine….
L’objectif de son travail est de nous permettre de comprendre les raisons de ce qui reste comme la plus grande défaite militaire française de l’après-guerre Seconde Guerre mondiale . Compte-tenu du format choisi, l’approche va être synthétique tout en présentant l’essentiel des grandes phases de la bataille.

Une bataille pourquoi faire ?
Voilà l’interrogation que soulève l’auteur dans tout le début de l’ouvrage. Les troupes du corps expéditionnaire français d’Extrême Orient (CEFEO) vont se retrouver engagées dans une bataille meurtrière sans qu’elles ne sachent vraiment quel était l’objectif à atteindre sur le plan stratégique. Au niveau politique, à l’approche de la conférence de Genève, les gouvernements de la IV° République cherchent une issue à la guerre qui dure depuis plus de 7 ans. Une incertitude sur les buts recherchés qui va peser sur le plan militaire, le nouveau commandant en chef en Indochine, le général Navarre, doit continuer une guerre qu’il ne peut gagner. De plus, nouvellement arrivé, il doit faire avec le peu de moyens disponibles, et un renouvellement d’une grande partie des états-majors sur place qui ne va pas faciliter le commandement.
L’objectif fixé à ce qui va devenir le camp retranché de Diên Biên Phu est d’emblée assez flou. Il s’agit certes de barrer la route du Laos aux forces du Vietminh, mais comment ? Faut-il en faire une base aéroterrestre d’où les troupes pourraient rayonner sur le Laos et le pays Thaï ? Ou bien faire un nouveau Na San du nom de ce camp retranché contre lequel les assauts des troupes du général Giap se sont brisés en 1952 ? Mais dans ce cas là, pourquoi ne pas avoir mis les moyens en terme de troupes et de fortifications défensives dés le début, et pourquoi s’être autant éloigner des bases d’où pouvait venir le soutien aérien? Toujours est-il que les effectifs ne cessent de se renforcer, passant de 5 à plus de 12 bataillons, renforcés par une compagnie de chars et des batteries d’artillerie.
L’auteur rappelle la montée en puissance des forces du vietminh. Il insiste notamment sur la modernisation de son corps de bataille grâce à l’aide chinoise. En cours depuis 1950, elle permet au vietminh de disposer de forces de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux équipées et formées. Son artillerie de campagne comme son artillerie antiaérienne vont surprendre les Français. Les divisions 316, 308, une partie de la 304 et la division lourde 351 vont être engagées dans la bataille. Repérées par les Français, ceux-ci sous-estiment cependant la puissance de feu de l’ennemi et ses capacités logistiques, aussi vont-ils accepter la bataille.
Ils ne semblent d’ailleurs plus avoir le choix, car depuis décembre 53, les troupes ne peuvent quasiment plus sortir du camp sans se heurter à une sérieuse opposition. Les garnisons et partisans autour ont été repliés ou éliminés. Evacuer Diên Biên Phu semble désormais impossible

Une bataille perdue…
Le récit de la bataille occupe la moitié de l’ouvrage, il s’appuie sur des cartes et croquis qui permettent de visualiser le déroulement des évènements en allant à l’essentiel. L’auteur montre comment la puissance et la violence de l’assaut vietminh surprennent les Français. Les points d’appui chargés de défendre les approches nord du camp tombent rapidement. Il faut une nuit au vietminh pour prendre Béatrice tenue par la légion et le même temps pour prendre Gabrielle, tenue par les tirailleurs algériens. Les divergences au sein du commandement français tant à Diên Biên Phu (entre Castries, Langlais…) qu’au plus haut niveau (entre Navarre et Cogny) quant à l’attitude à adopter ne facilitent pas la défense. La résistance des troupes est très inégale, certaines craquent à l’image des Thaïs plus habitués à la guérilla en jungle qu’aux bombardements massifs qui abandonnent leurs positions.
Tout au long de la bataille, l’initiative est dans le camp vietminh. Les Français subissent une lente agonie. Il leur faut renoncer à l’utilisation de la piste d’aviation pour recevoir renforts et ravitaillement ou évacuer les blessés. Ceux-ci restent sur place dans des conditions difficiles, tandis que les renforts et le ravitaillement doivent être parachutés. Ce qui limite les quantités et multiplie les risques de pertes au fur et à mesure que le périmètre se restreint.
Les unités parachutistes de tous types (légion, coloniaux, vietnamiens)… larguées en renfort ne suffisent pas à combler les pertes. Elles peuvent tout juste mener des contre-attaques locales et s’accrocher au terrain comme elles le peuvent. Elles retardent l’échéance et permettent aux comptes-rendus de mettre en avant la résistance de tel point d’appui ( Eliane 4, Huguette… etc..) ou l’action d’unités comme le 6° BPC de Bigeard. Des parachutages qui se poursuivent jusqu’au bout alors que la situation est sans espoir…L’auteur évite cependant de tomber dans le récit détaillé des combats, il va à l’essentiel.
Comme le rappelle Ivan Cadeau, la chute du camp le 7 mai 1954 ne met pas fin aux souffrances des combattants, près de la moitié meurt en captivité dans les camps vietminh. Côté vietminh, les pertes ont cependant été lourdes, 20 000 hommes ont été tués ou blessés. On peut cependant s’étonner que l’auteur fasse de Diên Biên Phu une bataille qui permit d’éviter que le vietminh ne lance un assaut sur le Laos ou le delta et donc une quasi victoire….C’est trop s’éloigner des enjeux réels d’une bataille où s’est joué le destin de l’Indochine.

En conclusion
Un ouvrage synthétique qui permet de voir comment l’absence d’objectifs et de véritables buts de guerre a pu aboutir à un tel résultat. On peut cependant regretter que la plupart des sources utilisées soient issues du camp français et, du coup, la faible place accordée au vietminh dans l’ouvrage. L’auteur maîtrise son sujet et son style comme le format choisi (moins de 200 pages) rendent l’ouvrage accessible et agréable à lire.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau