C’est d’une vie bien remplie dont témoignent les souvenirs biographiques du général Glavany. Une existence constituée en fait de trois vies successives : celles de soldat de la France Libre, de pilote d’essais, et de haut responsable de l’armée de l’air. La première est la plus paradoxale, puisqu’elle met en scène un aviateur qui n’a jamais vécu la guerre aérienne mais est devenu un expert du combat d’infanterie ! La deuxième est la plus originale, qui retrace le parcours d’un des protagonistes de la reconstruction de l’aviation militaire française de l’après-guerre, marquée par des innovations majeures (moteur à réaction, aile delta, etc.). La dernière est la plus institutionnelle et, sans doute, la plus convenue.

Jeune pilote fraîchement émoulu de l’École de l’Air de l’armée de Vichy, Roland Glavany s’évade de France via l’Espagne après l’invasion de la Zone Sud et rejoint l’Afrique du Nord. Désireux de prendre part aux combats de la Libération, il refuse la perspective d’une longue formation de pilote aux États-Unis et s’enrôle parmi les commandos du 1er Bataillon de Choc. Avec eux, il participe aux débarquements de Corse, de l’île d’Elbe et de Provence. Grièvement blessé devant Dijon en septembre 1944, la longue convalescence qui suit met un terme à la part guerrière de sa carrière.

Rétabli, Glavany réintègre les rangs de l’armée de l’air et, après avoir complété sa formation par un diplôme d’ingénieur aéronautique, rejoint la confrérie prestigieuse mais exposée des pilotes d’essais, régulièrement endeuillée par les accidents. Affecté au Centre d’Essais en Vol en 1950, il fait partie à Brétigny et à Marignane des équipes d’évaluation des chasseurs Ouragan, Vampire, Vautour, Mistral, Mystère II et Mystère IV. Il est ensuite détaché de 1955 à 1959 au poste de chef-pilote de la firme Dassault. Il est le pilote d’essais du constructeur lors de la mise au point de l’Etendard IV puis des prototypes du programme Mirage, dont le succès technologique et industriel est éclatant.

Son retour au sein de l’armée de l’air s’accomplit d’abord comme chef du PC d’appui aérien d’une division parachutiste opérant en Algérie. C’est sa dernière expérience opérationnelle. Après sa rentrée en métropole, Roland Glavany exerce des responsabilités techniques et administratives. Il est successivement chargé des programmes de matériel de l’armée de l’air, commandant de base, responsable du Centre d’expériences aériennes militaires, et enfin chef des écoles de l’armée de l’air.

Conforté par l’aide rédactionnelle et l’appoint des éclairages historiques et techniques du journaliste Bernard Bombeau, le récit du général Glavany est porté par le ton à la fois sincère et pondéré d’un conteur apaisé par le recul du grand âge. Les péripéties de guerre de la première partie, assez anecdotiques en elles-mêmes, ont l’intérêt de dessiner l’itinéraire assez aléatoire d’un jeune militaire de sa génération. Le vécu de pilote d’essais de Roland Glavany constitue indéniablement le coeur et le principal centre d’intérêt de son témoignage. Ponctuellement assez technique, il présente une peinture fouillée du milieu très spécifique des ingénieurs et des pilotes d’essais, de leur rôle, leurs méthodes de travail et des risques importants de leur métier. S’y ajoute un aperçu des procédés d’élaboration et des conceptions innovantes de la société Marcel Dassault, ainsi que de la personnalité et des talents de son énergique patron.

Ni combattant des airs ni chevalier du ciel, le général Glavany se classe à part dans le genre codifié des mémoires de pilotes. Grand technicien placé dans la matrice de la conception et de la fabrication des avions modernes, il livre un témoignage de qualité qui apporte un éclairage utile sur l’histoire de l’industrie aéronautique française sous la IVe République et la Ve République gaullienne, et qui sera lu avec beaucoup d’intérêt par les passionnés d’aviation.

© Guillaume Lévêque