L’Extinction du paupérisme de Louis-Napoléon Bonaparte est souvent citée lorsque l’on évoque le sujet des « préoccupations sociales » de l’empereur, sans pour autant que le contenu du manuscrit ne soit nécessairement abordé.

L’excellente préface qui accompagne la présente édition, signée de Juliette Glikman, agrégée, docteur en histoire et chercheur associé à l’université Paris-Sorbonne, permet de bien resituer l’œuvre dans son contexte et d’en cerner certains aspects originaux.

Dans son propos liminaire, l’historienne revient sur le débarquement grotesque à Boulogne-sur-Mer de Louis-Napoléon Bonaparte (1840) en vue de susciter un soulèvement contre la Monarchie de Juillet. L’épisode, ridicule, vaut à son principal acteur le surnom d’« aigle empaillé de Boulogne » et une condamnation à « l’emprisonnement perpétuel » dans le fort de Ham (Somme).
En ce lieu, dont Louis-Napoléon a dit qu’il avait été son « Université », vont se succéder les visites, expériences et écrits.

L’Extinction du paupérisme est achevée à Ham en mai 1844. De ce livre, Juliette Glikman (p.28) dit qu’il « est d’abord le fruit de ses propres lectures (celles de Louis-Napoléon ndlr) qui s’ajoutent à d’anciennes observations ébauchées en traversant les régions industrielles de l’Angleterre. Sont mêlées de façon hétéroclite réflexion proudhonienne, théorie saint-simonienne, thèse fouriériste dans la projection d’une utopie qui rêve d’un bonheur accessible à tous, sans ébranler l’édifice social ».

Dans son opus, le futur Napoléon III propose de créer des colonies agricoles là où se trouvent des terres incultes et d’en confier la gestion à une association ouvrière (page 55 de la présente édition, il écrit « la classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n’a de richesse que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d’ilotes au milieu d’un peuple de sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher ses intérêts à ceux du sol »). Il propose en outre la création d’une « classe intermédiaire », « entre les ouvriers et ceux qui les emploient », le « corps des prud’hommes ». Ceux-ci seraient élus annuellement, au terme d’une assemblée se tenant dans les communes et à raison d’un prud’homme pour dix ouvriers. Louis-Napoléon leur assigne la fonction d’être « le premier degré de la hiérarchie sociale ».

La colonie agricole se veut même un moyen d’émancipation vis à vis des payes de misère : « il est clair que l’ouvrier, certain de trouver dans les colonies agricoles une existence assurée, n’acceptera de travail dans l’industrie privée qu’autant que celle-ci lui offrira des bénéfices au-delà de ce strict nécessaire que lui fournira l’association générale (p.65) ».

Le programme des colonies agricoles, qui ne fut jamais appliqué et auquel Louis-Napoléon promettait un succès universel (« elle peut un jour envahir le monde !», page 70), constitue un témoignage particulièrement intéressant lorsque l’on étudie les courants de pensée liés au monde ouvrier en classe.

Une sélection d’extraits de l’Extinction du paupérisme, texte aisément compréhensible, pourra ainsi être utilisée avec profit dans une séquence de quatrième consacrée à cette problématique.

Grégoire Masson

Vestiges de la « porte d’entrée » du fort de Ham.
cliché Grégoire Masson