La revue Parlement(s) n° 19 a pour thème : Femmes outsiders en politique. Ce dix-neuvième dossier est coordonné par Christine Bard et Bibia Pavard.

Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).

La revue Parlement(s) n° 19 a pour thème : Femmes outsiders en politique. Ce dix-neuvième dossier est coordonné par Christine Bard et Bibia Pavard. Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la recherche (avec la contribution de 6 chercheuses, jeunes ou confirmées) et la seconde à des sources commentées par deux historiennes. De plus, dans ce numéro, nous trouvons à nouveau une partie consacrée à des varia (au nombre de 3) et à 3 lectures (critiquées par 3 historiens.

Les femmes sont-elles condamnées à être des outsiders en politique, étrangères au groupe dominant ? Ce dossier donne une historicité au « stigmate » du genre en politique à travers l’étude de trajectoires individuelles et collectives durant le XXe siècle, en France mais aussi en Allemagne, en Italie ou encore en Belgique. Il en ressort que les outsiders d’hier ne sont plus les outsiders d’aujourd’hui, et que le terme, dans sa polysémie, recouvre une multiplicité de situations. À cet égard, l’accès des femmes aux droits politiques constitue une ligne de partage des eaux. Avant, ne pouvant pas voter ou être élues, elles sont nécessairement des outsiders dans la compétition électorale même si elles font de la politique autrement. Après, les femmes politiques doivent faire l’apprentissage de nouveaux rôles pour passer de la marge au sommet du pouvoir. Elles découvrent la persistance des mécanismes discriminatoires dans les partis. Le féminisme dans et hors des partis contribue à créer, à la fin du siècle, un climat plus favorable. Dans ce nouveau contexte – quotas, parité –, les femmes politiques développent des stratégies de légitimation particulières et leurs identités de genre, de classe, de race ou de sexualité peuvent s’articuler pour freiner leurs carrières ou au contraire les accélérer.

Recherche : Femmes outsiders en politique :

De la charité à la politique : l’engagement féminin d’Action française : Camille Cleret
Les femmes n’apparaissent qu’en filigrane dans l’historiographie pourtant riche de l’Action française, comme si leur présence féminine au sein de la ligue maurrassienne relevait du domaine de l’anecdotique. Cette perspective contredit cependant les archives, et notamment la correspondance du « maître » Charles Maurras, qui éclairent à la fois la puissance d’attraction de la ligue sur une nébuleuse de femmes très diverses et l’apport non négligeable et protéiforme de l’élément féminin au sein de cette même ligue.
Des antichambres du Parlement ? L’Action catholique féminine et la carrière des députés italiennes (1945-1950) : Magali Della Sudda
Cet article s’intéresse au rôle joué par l’Union des femmes d’Action catholique italienne dans la carrière politique des premières députées italiennes durant la période charnière des années 1945-1950. L’hypothèse est que les mouvements d’Action catholique féminine ont constitué un vivier pour la Démocratie chrétienne, légitimant de manière paradoxale la présence de ces outsiders dans le champ politique.
Trajectoires féminines dans les entourages politiques : l’exemple de Marie-France Garaud, “Richelieu en jupons” : Sabrina Tricaud
Marie-France Garaud représente un cas unique sous la Ve République de conseillère politique auprès d’un Premier ministre et d’un président de la République. Elle fut membre de l’entourage politique de Georges Pompidou, de 1967 à 1974, puis de Jacques Chirac, de 1974 à 1979. Elle est, de ce point de vue, une outsider en politique. Car les femmes sont peu nombreuses dans les cabinets ministériels durant les années 1960-1970. Éminence grise en jupons, Marie-France Garaud intrigua aux côtés de Pierre Juillet sans que l’on puisse mesurer son influence réelle sur le Président Pompidou et sur Jacques Chirac. Son parcours en politique, des entourages politiques à la députation européenne, est à la fois classique et atypique. Il inaugure d’autres trajectoires féminines, telles celles empruntées par Michèle Alliot-Marie ou Elisabeth Guigou, qui ont débuté dans les cabinets ministériels avant d’entrer en politique.
Des difficultés d’être outsiders dans le paysage politique belge : de la bonne ménagère à Miss Flandre : Valérie Piette
La société belge est « pilarisée » par les partis catholique, socialiste et libéral, qui encadrent la vie politique et régulent l’accès à celle-ci. Ce maillage socio-politique explique la relative stabilité politique du pays tout au long du XXe siècle mais laisse peu de place à l’originalité et à « l’extra-territorialité », tant pour les hommes que pour les femmes. Nous tenterons donc de comprendre, à partir de quelques parcours individuels, comment des femmes ont pu devenir représentantes du peuple et quelles ont été leurs stratégies pour y arriver.
Un féminisme « normalisé » ? Femmes de l’Est dans la politique allemande après l’unification : Catherine Achin
Les effets de la Wende sur les processus de professionnalisation politique dans l’Allemagne unie ont été contrastés. L’analyse de trajectoires de femmes de l’Est élues depuis 1990 montre qu’elles ont connu des carrières particulièrement accélérées. La normalisation du système politique sur le modèle ouest-allemand a toutefois dévalorisé les ressources militantes et féministes de ces outsiders, au profit des capitaux partisans classiques.
Des marges ultra-marines de la République au Parlement : trajectoire de députés guyanaises : Stéphanie Guyon
Cet article appréhende la socialisation et l’entrée en politique des députés guyanaises de la 13e législature, Christiane Taubira et Chantal Berthelot, au regard de leur génération d’élues guyanaises en prêtant une attention particulière au caractère sexué des carrières militantes. Il analyse les filières d’accès au mandat parlementaire de ces députés et leur manière d’endosser le rôle.

Sources :

Entrer dans les partis : la stratégie de Cécile Brunschvicg pour les militantes suffragistes dans les années 1920 : Présentée par Cécile Formaglio, cet article de Cécile Brunschvicg est paru le 15 novembre 1924 dans l’hebdomadaire féministe « La Française ».
Outsiders dans le parti ? Mignonnes, allons voir sous la rose : le journal des féministes du PS (1979-1982) : Présenté par Bibia Pavard, cette dernière étudie le bulletin des « féministes du PS » (qui fut publié de 1978 à 1982) et dont le corpus comporte seulement 10 numéros.
« Je suis une anomalie statistique ». Entretien avec Corinne Bouchoux, sénatrice Europe Écologie Les Verts : Réalisé par Bibia Pavard, cette dernière s’entretient avec Corinne Bouchoux, sénatrice Europe Écologie Les Verts du Maine-et-Loire depuis septembre 2011. Militante associative de longue date, elle s’engage en 2002 chez les Verts, où elle n’occupe aucune fonction de pouvoir. Elle est, à plus d’un titre, une outsider au Sénat : primo élue, femme, jeune, elle est aussi ouvertement homosexuelle.

Varia :

Le vote des crédits aux chemins de fer lors de la discussion du budget 1848 : une commission du budget omnipotente ? : Vincent Chai
La monarchie censitaire accorda des compétences de plus en plus larges à la représentation nationale dans le vote du budget de la nation. L’exemple du dernier budget voté par la Chambre des députés élue peu avant la Révolution de 1848 est à ce titre éloquent : en prenant l’exemple des crédits aux travaux des chemins de fer, le rôle crucial de la commission du budget apparaît avec évidence. C’est elle qui fait voter son texte aux députés après que les ministres se sont pliés à ses vues. Les discussions montrent ensuite une ligne de césure entre des parlementaires soucieux de défendre les intérêts de leur circonscription et le front uni de la commission et de l’administration.
Les revirements du mouvement léguiste vis-à-vis de l’Union européenne (1979-2010) : Marion Morellato
Successivement européiste enthousiaste et eurosceptique, La Ligue du Nord a défini son discours et son action politique au fil de la construction européenne. L’Union européenne a servi d’instrument à ses leaders afin de réformer l’Italie selon une organisation fédérale permettant au Nord de se désolidariser du Sud. L’Union monétaire a mené le parti à se radicaliser, jusqu’à demander l’indépendance de la « Padanie ». Mais suite à l’entrée de l’Italie dans la zone euro, la Ligue du Nord fait volte-face, et devient le premier parti politique italien ouvertement eurosceptique. Dès lors, elle s’oppose systématiquement à toute action de l’UE, notamment à partir de la crise de 2008, en dénonçant son caractère antidémocratique.
La « mémopathie » du législateur français : David Fonseca
L’année 2012 a été marquée par l’adoption de la proposition de loi réprimant en France la contestation des génocides reconnus par la loi, puis par sa censure par le Conseil constitutionnel. En revenant sur le débat relatif aux lois mémorielles, la thèse soutenue dans cet article procède non pas par inversion des termes du débat, mais par leur rapprochement. Il s’agit de montrer que la criminalisation de la non-reconnaissance du génocide arménien ne vise pas tant à produire un effort continuel de mémoire que de secréter dans le même temps les conditions de l’oubli.

Lectures :

Luis P. Martin, Jean-Paul Pellegrinetti, Jérémy Guedj (dir.), La République en Méditerranée. Diffusions, espaces et cultures républicaines en France, Italie et Espagne (XVIIIe-XXe siècles), Paris, L’Harmattan, 2012, par Ralph Schor :
L’ouvrage collectif La République en Méditerranée invite à une réflexion plus large que le titre ne l’indique. En vérité, c’est la théorie de la République, le concept même et ses incarnations pratiques, sous toutes leurs formes, que les auteurs analysent minutieusement. Ce sont d’abord des images contradictoires qui se constituent mais ces images antagonistes doivent être elles-mêmes nuancées, ce qui accroît la difficulté de l’analyse et décourage tout jugement manichéen. La complexité du thème peut encore être appréhendée à travers divers points particuliers (Midi français, Nice et le cas des Juifs hexagonaux). Le livre apporte beaucoup sur les vecteurs de l’idée républicaine : presse, réseaux de sociabilité, clubs, cercles, franc-maçonnerie, clientélisme corse, fanfares, octroi de décorations, avantages divers qui peuvent être distribués grâce à l’obtention d’un mandat électif. La propagande et les symboles jouent un rôle notable. Ainsi s’élabore une culture et se diffusent des modèles. Les auteurs illustrent surtout – et ce n’est pas un mince mérite – les incarnations de la République selon les générations et les cultures locales, puis le façonnement progressif d’une idéologie plus générale. L’accent porté sur le caractère contingent de la République, la recherche d’approches méthodologiques nouvelles, la mise en évidence des transferts culturels à travers des espaces différents font tout le prix d’un ouvrage dont il faut souligner l’originalité.
Bruno Dumons, Les « saints de la République ». Les décorés de la Légion d’Honneur (1870-1940), Paris, La Boutique de l’Histoire, 2009, par Alexandre Niess :
La Légion d’Honneur ! Le sacrement des sacrements dans la sphère républicaine actuelle ; la plus haute distinction civile et la première créée après la Révolution pour célébrer les héros, les méritants de la Nation. C’est à l’étude de ce monstre sacré que s’attaque Bruno Dumons dans ce très dense ouvrage de plus de 500 pages. Bien évidemment, il ne s’agit pas pour l’auteur de faire une histoire de cette décoration ; même si la création du ruban rouge et son évolution sont abordées en introduction. L’ensemble de l’ouvrage est soutenu par une claire démonstration qui s’appuie sur une documentation graphique et cartographique bienvenue même si nous pouvons regretter le fait que celle-ci ait été introduite dans le cadre d’un encart en fin de volume à défaut d’être placée dans le corps du texte ; même si une table des illustrations, cartes et graphiques est située avant la table des matières placée en fin de volume. Autre regret, l’absence d’une bibliographie classée, même si les notes de bas de page permettent de la reconstruire au gré des parcours. Par contre, l’index, très dense, est un véritable outil pour qui s’intéresse à ces espaces et à ces hommes (et femmes). Bruno Dumons nous livre donc un bel ouvrage sur une question qui mérite d’être posée afin de mieux appréhender l’histoire, sociale, politique et culturelle de la Troisième République. Cette œuvre invite à la comparaison en développant la problématique sur d’autres espaces, départementaux au premier chef, mais pas seulement. Il serait par exemple judicieux de s’interroger sur le rapport aux décorations lors des changements de régimes dans les pays voisins ou plus lointains aux XIXe et XXe siècles.
Bruno Benoit et Mathias Bernard (dir.), Le maire et la ville dans la France contemporaine, Clermont-Ferrand, PU Blaise-Pascal, 2012, par Loïc Vadelorge :
Depuis les travaux pionniers de Maurice Agulhon et Jocelyne George, l’histoire des maires constitue une entrée légitime de l’histoire politique de la France contemporaine. Dans le prolongement d’un colloque tenu à Lyon en 2005 à l’occasion du centenaire de l’élection d’Édouard Herriot à la tête de la municipalité, l’ouvrage dirigé par Bruno Benoit et Mathias Bernard se propose de reprendre le sujet à travers le prisme de l’action locale et de la mémoire des grands maires. La première difficulté de l’entreprise tient dans la nécessité de mettre ici en perspective le cas lyonnais dans l’espace national sur quasiment deux siècles, même si le XXe siècle est nettement privilégié dans le livre. Sur les 25 monographies réunies, 9 concernent Lyon, la plupart tournant naturellement autour de la figure incontournable d’Herriot, maire de Lyon de 1905 à 1957. Il s’agit à la fois d’éclairer la trace laissée par Herriot dans la mémoire politique locale, en comparant notamment les styles de ses successeurs (Louis Pradel, Francisque Collomb, Michel Noir, Gérard Collomb) et de saisir à travers une série de dossiers (les hospices civils, l’assistance aux aliénés, les relations avec le patronat local, la politique sportive, etc.) les différentes facettes de l’action mayorale. Au total on l’aura compris, la diversité des communications ici réunies atteste de la richesse d’une histoire des maires à l’époque contemporaine, que les historiens ont longtemps considérée comme secondaire et qui s’avère aujourd’hui incontournable tant pour l’histoire politique que pour l’histoire urbaine. La clarté du sommaire facilitera une lecture aléatoire de l’ouvrage et chacun en fonction de ses centres d’intérêt pourra rapidement trouver les monographies qui l’intéressent.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)