Que serait le cassoulet sans haricots blancs ? La ratatouille sans tomates ? Un bon repas sans vin(s) et une ville de France sans brasserie alsacienne et restos à couscous ? Bien peu de choses fort probablement. Un fromager d’origine française et une historienne américaine passée par le King’s College de Londres rappellent que l’identité culinaire française est un construit historique et social aux multiples influences étrangères.
Lire des historiens anglo-saxons est toujours intéressant et ce pour plusieurs raisons. Du fait du regard différent qu’il porte, bien sûr, sur notre beau pays. Si nous avons souvent entendus parler de Dom Pérignon, les auteurs rappellent qu’un scientifique anglais a mené des travaux, qu’ils disent pionniers, afin de produire « les bulles du diable » (p. 207). Regard qui repose parfois sur une bibliographie moins franco-française, ce qui est ici le cas. Certains d’entre eux n’hésitent pas à dire « je », chose fort surprenante pour les historiens gaulois qui ont appris à ne pas le faire. Enfin, Joni Mitchell assume le désir de toucher un large public et d’écrire des « ouvrages d’histoire ‘lisibles’ » (p. 390). Ce qui n’est pas toujours le cas, il faut bien l’avouer, en France. C’est pourquoi le lecteur leur pardonnera quelques approximations et parfois un parti-pris anti révolution française inutile.
En 51 courts chapitres, les auteurs passent en revue nombre de recettes, de vins, d’aliments, d’ustensiles, de personnages, de régions et de pays qui ont contribué à la bonne chère « française ». Il est possible d’aborder la lecture de plusieurs manières : chronologique comme les auteurs, au hasard, en suivant les chapitres consacrés aux vins, ceux centrés sur les fromages ou en fonction de ses préférences culinaires. Pourquoi ne pas s’intéresser aux contenants ? Des amphores aux bouteilles en passant par les tonneaux en bois, les vins présentés méritent l’intérêt. On le voit, quel que soit l’ordre suivi, les chapitres vifs pourraient exiger une seconde dégustation.
Dans cet ouvrage, les auteurs croquent, à pleines dents, le mythe d’une identité nationale qui serait immuable. Ils avouent leur forfait très tôt et le confirment dans la conclusion : la gastronomie française est diverse. Elle a évolué dans le temps, intégrant ces nouveaux-venus que furent le vin des Romains ; le sucre, les brocolis et les macarons diffusés par une reine-mère florentine ; les pommes de terre des Amérindiens ; les cacahuètes américano-sénégalaises et la semoule d’Afrique du Nord. Les guerres ont contribué à modifier les pratiques alimentaires des Français. Ainsi, le camembert est devenu, après un temps, un étendard national au cours de la première guerre mondiale et un certain Bel introduisit, après le premier conflit mondial, des triangles fromagers sous papier aluminium aujourd’hui encore dégustés dans de nombreux pays. Et que dire de l’oubli (mérité pensent certains), après 1945, du topinambour pendant des décennies. La gastronomie française est aussi diverse du fait de traditions culinaires régionales affirmées. La Bretagne ne cuisine pas les produits de la mer comme les Provençaux et, pour beaucoup, dans ce domaine, la véritable capitale du pays serait Lyon. Evidemment l’appartenance sociale joue aussi à plein : la cuisine quotidienne n’est pas celle des grands jours et celle de la majorité des ménages se différencient nettement, même les dimanches, de celle des grands chefs. Nos auteurs, fort indulgents, semblent cependant se régaler autant de la poule au pot que des plats de la nouvelle cuisine.
Certes les historiens confirmés, que sont les clionautes, ne découvriront pas que la cuisine française est « loin d’être monolithique » et que « de nombreuses denrées que l’on associe souvent à la France […] proviennent en réalité d’autres horizons » (p. 373). Ils savent aussi qu’il n’existe pas « une culture française pure et homogène » comme l’affirment les auteurs, fort critiques envers ceux qui, à l’extrême-droite, le pensent (p. 373). Toutefois, il est toujours utile de le rappeler et rendons grâce aux auteurs de le faire avec vivacité, humour et intelligence en donnant envie de se mettre, avec d’autres, autour d’une bonne table.
- Un beau livre très plaisant à offrir à l’approche de Noël ou à lire avec un intérêt amusé avant ou après avoir étudié les ouvrages de Gérard Noiriel (Le Venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 2019) ou d’Élise Thiébaut (Mes ancêtres les Gauloises : Une autobiographie de la France, La Découverte, 2019).