Spécialistes reconnus de la géographie des inégalités éducatives, Rémi Rouault et Patrice Caro proposent dans cet essai une lecture de notre système éducatif autour de huit chapitres complémentaires pour aborder « la mise en œuvre et les résultats de l’Ecole ».
L’introduction revient sur les différences de fond entre enseignement et éducation malgré le fait que l’on parle d’un ministère de « l’éducation » nationale. L’idéal d’une mixité sociale est mis à mal par l’existence même d’une éducation prioritaire et les inégales poursuite d’études et insertion professionnelle. Comme souvent dans leurs publications, les chercheurs soulignent leurs difficultés à accéder aux sources et leurs contraintes à devoir travailler avec des indicateurs réducteurs (les notes et évaluations aux examens ne tiennent pas compte de l’effet maître et de l’effet établissement ; seules 2 notes d’information de la DEPP sur 149 portent sur les représentations des élèves et des enseignants ; il n’existe pas d’informations sur les parcours des élèves et quasiment aucune non plus sur les personnels tout comme les parents réduits à leur seul statut professionnel).
Dans le détail, le chapitre 1 présente un cadrage général permettant de voir les contextes liés à la première cellule qu’est la famille. Des différences existent, du fait de l’hétérogénéité de l’espace, sur l’accès ou non à un voisinage (potentiellement porteur culturellement parlant), sur l’accès au calme et bien entendu sur la composition même de cette sphère familiale. Ainsi des cercles vertueux ou non s’amorcent dès cette micro-échelle.
Dans le chapitre 2, on lit que l’Ecole reste le service de base le plus implanté (plus que les cafés ou les boulangeries) mais qu’il y a des différences entre certains extrêmes : des cantons très ruraux où il n’y a rien à moins de 10 km et de l’hypercentre parisien avec plusieurs établissements au km². Malgré tout, le nombre d’écoles ne cesse de diminuer au fil des ans alors que le nombre de classes varie peu. Les raisons à cela sont la stabilisation de la mixité, la concentration en milieu rural, les fusions entre maternelles et élémentaires. Le maillage est plus inégal pour les collèges (la démographie rurale est délicate, les stratégies d’évitement se lisent). Pour les lycées aussi, le nombre va en diminuant.
Le chapitre 3 s’interroge sur l’adaptation de l’Ecole aux contextes locaux. Ici, on trouve l’éducation prioritaire, les variations culturelles locales comme les langues régionales, le plus ou moins grand pourcentage de l’enseignement privé et l’offre de formation pour des métiers spécifiques à certains environnements (conducteur de pirogue en Guyane ou gestionnaire de remontées mécaniques en Savoie). Hormis ces exemples dédiés, la couverture nationale dans toutes les spécialités reste assez faible.
Dans un chapitre 4, les auteurs s’intéressent aux moyens alloués. La dépense par élève peut varier du simple au double entre un enfant de cycle 2 et un étudiant de classe préparatoire aux grandes écoles ; le rapport est identique pour les dépenses de financements dans les collèges. Pour les lycées, l’Ile de France est mieux lotie que le reste du pays. Les dépenses de fonctionnement sont dures à chiffrer tout comme celles pour les personnels qui existent à l’échelle du département ou de l’académie mais pas au-delà. Les non titulaires sont plus nombreux dans le premier degré public que dans le second degré privé. Et comme certains secteurs sont plus prisés que d’autres en fonction de l’ancienneté, cela affecte, malgré les bonnes volontés, le fonctionnement des établissements et leur réputation. On lit que le financement est assuré à 50 % par l’Education Nationale, à 25 % par les collectivités locales, le reste se partageant entre les entreprises, les ménages…
Le chapitre 5 traite des parents. Le principe de la sectorisation est rappelé mais la pratique de la dérogation est monnaie courante. Cela ne veut pas dire que toutes les demandes sont satisfaites. Il y a parfois des méthodes clandestines comme la déclaration d’une adresse autre ou la double résidence. On voit que ce sont les familles les moins défavorisées des secteurs prioritaires qui migrent vers le privé, fragilisant encore plus la base de ces quartiers, amenant parfois à la fermeture de classes et contraignant à une mobilité chez d’autres familles.
Le chapitre 6 revient sur la mixité. A l’exception de quelques cas extrêmes d’établissements qui craignent les conséquences des rapports de séduction, la mixité est la règle…mais elle ne génère pas nécessairement la parité. Jusqu’en 3ème, on ne voit pas de différence (hormis l’enseignement spécialisé où le décrochage des garçons est plus net). C’est ensuite, dans la voie professionnelle qui est plus masculinisée qu’on peut lire des différences tout comme la présence supérieure des filles dans les filières générales. Elles sont, en revanche, moins nombreuses dans les filières scientifiques et technologiques (à l’exception du domaine de la santé et de la biologie). Le métier d’enseignant est fortement féminisé (80 % de femmes dans le premier degré public, 90 % dans le privé…et c’est encore en hausse depuis 40 ans).
Le chapitre 7 parle de l’entre-soi scolaire qui n’est qu’un miroir de l’entre-soi social et résidentiel. On n’évalue plus de la même manière la réussite ou l’échec. Aujourd’hui, les évaluations nationales montrent que le niveau scolaire est en lien avec le milieu social (difficulté en zones prioritaires, notamment dans la maitrise de la langue et, de façon liée, dans les consignes de mathématiques). Concernant le baccalauréat, les lycées de petite taille offrent des meilleurs taux de réussite mais c’est un effet social (ces établissements sont surtout privés) plus que purement spatial.
Enfin, un chapitre 8 rassemble quelques questions en suspend comme le handicap (avec faible accompagnement des AESH qu’on presse de tous les côtés qui mutualisent à l’extrême et travaillent parfois sur plusieurs établissements), les lycées militaires, l’aide sociale à l’enfance avec ce constat que les enfants de foyers ne bénéficient pas d’un accès aux parcours les plus valorisés, les associations sportives et les cours particuliers et le soutien qui favorisent les élèves déjà bien lancés dans la course.
Une nouvelle synthèse claire et richement documentée (nombre de tableaux, cartes et graphiques) sur ces questions clés qui, à mon sens, mériteraient d’être enseignées aux futurs enseignants comme j’ai pu l’évoquer dans cette conclusion.