La ville texane de Waco est tristement célèbre pour le siège de la secte des Davidiens en 1993 aboutissant à la mort de 82 adeptes. Mais, en 1916, Waco a été aussi le lieu d’un autre épisode tragique : le lynchage d’un jeune Noir, Jesse Washington.

C’est l’enquête autour de cette terrible histoire qu’ont décidé de raconter le duo de scénariste Lisa Lugrin et Clément Xavier illustrée par Stéphane Soularue.

Les auteurs

Lisa Lugrin est née en 1983 à Thonon-les-Bains. Après des études d’an­thro­po­lo­gie et de cinéma, elle se tourne vers la bande dessi­née. Diplômée de l’école de bande dessinée d’Angoulême, elle fonde les éditions Na avec son compa­gnon de route Clément Xavier. Elle reçoit le Prix Révé­la­tion au festi­val d’An­gou­lême, en 2015, pour Yékini, le roi des arènes, aux éditions FLBLB et publie plusieurs bandes dessinées, notamment aux éditions Delcourt : Géronimo, mémoires d’un résistant apache et Jujitsuffragettes.

Clément Xavier est né en 1981 à Maputo. Après des études à l’école de bande dessinée d’Angoulême, il crée avec Lisa Lugrin les éditions Na. Ensemble, ils réalisent des bandes dessinées et romans photos, Yékini le roi des arènes, aux éditions Flblb (prix révélation au festival d’Angoulême en 2015), puis Geronimo, mémoires d’un résistant apache et Jujitsuffragettesles amazones de Londres (Prix Château de Cheverny de la bande dessinée historique en 2021) aux éditions Delcourt. Toujours chez cet éditeur, ils ont adapté en BD l’Histoire populaire de la France, de Gérard Noiriel, dessinée par Alain Gaston Rémy. 

Stéphane Soularue commence à travailler comme illustrateur pour la presse (Libération, Le Nouvel Observateur, L’Humanité…) après des études aux Arts décoratifs de Paris. Il participe à l’ouvrage collectif Tous coupables en 2007. Sa première bande dessinée (Sueurs noires, parue en 2007 aux éditions Six Pieds sous Terre) se présente comme une série de courts récits qui composent un univers inspiré des mondes de Buzzati, Kafka et Borgès. Il sonde encore la noirceur de l’âme humaine avec son album Moïse, enfant sauvage (paru chez Rackham en 2010). Il publie ensuite trois bandes dessinées chez Sarbacane : Entre chiens et loups puis La Loge écarlate (avec Pierre Colin-Thibert) puis À 4 mètres du sol en 2017 (avec Charlotte Erlih et Philippe Barrière). Il est aussi le dessinateur d’un album de la collection Grands Destins de femmes : Marie Curie (chez Naïve, avec Laura Berg au scénario). Depuis 2019, il participe à la revue RITA. Professeur agrégé en Arts appliqués, il enseigne l’illustration et le cinéma d’animation à l’école Estienne depuis 2003.

L’histoire

En 1916, dans une Amérique ségrégationniste où on se précipite au cinéma pour voir Birth of a Nation, Elizabeth Freeman est une suffragette énergique connue pour ses conférences et son engagement en faveur des droits des femmes. Son ami, le sociologue afro-américain William Du Bois lutte pour les droits civiques et l’égalité. Il s’inquiète de la disparition troublante de Jesse Washington, un adolescent noir attardé qui travaillait dans les champs de coton à Waco, au Texas. En effet, après avoir été interrogé par le shérif pour le meurtre de la femme de son patron, il semble avoir disparu.

Du Bois suggère alors à Elizabeth Freeman de se rendre à Waco pour y mener discrètement son enquête. Prétextant une conférence, elle est accueillie chaleureusement dans cette ville qui se présente comme progressiste. Mais, petit à petit, derrière cette façade avenante, elle va découvrir le sort tragique de Jesse. Elle met aussi la main sur des photographies distribuées en ville sous forme de cartes postales et qui détaillent les sévices endurés par l’adolescent noir durant son lynchage.

Mais, bientôt, la curiosité de la suffragette éveille les soupçons des habitants de Waco qui sont bien décidés à conserver dans l’ombre leur terrible secret.

Mon avis

La collection Karma de Glénat, d’où est issu cet album, a pour ambition de mettre en avant des personnages peu connus mais qui ont pourtant façonné l’Histoire. De ce point de vue, cette bande dessinée en retraçant l’enquête d’Elizabeth Freeman et l’histoire du lynchage de Jesse à Waco atteint complètement sa cible. En effet, cette bande dessinée met bien en lumière le personnage et les actions de cette suffragette intéressée par la cause de femmes mais aussi des personnes noires (au grand dam de certaines autres suffragettes beaucoup plus réactionnaires sur cette question). Elle met aussi en exergue un évènement qui a eu un retentissement important à l’époque : la diffusion de ces photographies mettant en scène le lynchage de Jesse Washington. Ces dernières ont été reprises à l’époque dans la presse nationale suscitant un véritable électrochoc dans la population américaine (sans pour autant mettre fin aux lynchages de Noirs…). Cette affaire continue à avoir un écho aujourd’hui : on continue à y faire référence lors du mouvement Black Lives Matter ou dans BlacKkKlansman de Spike Lee.

Mais, les scénaristes et le dessinateur ne se sont pas contentés de faire une BD documentaire : ils ont imaginé une histoire quasi-policière avec du suspense et aussi de l’humour grinçant. De même, la peinture des personnages y est à la fois romanesque (avec par exemple une Elizabeth Freeman largement inspirée d’Adèle Blanc-Sec, sorte de détective en jupons) et révélatrice d’une époque (la lâcheté du shérif et du juge face à un évènement qu’ils estiment peu importants). Enfin, les auteurs font de vrais choix esthétiques et déontologiques dans cet album. Ainsi, les cartes postales du lynchage de Jesse ne sont jamais représentées. A la place, ils ont inventé un personnage de petite fille qui a assisté à la scène et qui la représente avec des dessins d’enfant : un choix qui évite l’écueil du voyeurisme tout en rendant la scène encore plus glaçante d’effroi…

Cette bande dessinée bien que présentée « Tous publics » sera particulièrement intéressante pour un public lycéen. En effet, cet album pourra servir d’appui pour traiter de la question de l’histoire du racisme aux Etats-Unis. En EMC, il pourra aussi être à l’origine d’études sur l’engagement et, notamment, la convergence des luttes, à savoir ici le féminisme et la lutte contre le racisme.