Ivan Jablonka est cet historien qui se prête à de réguliers exercices d’égo-histoire. Ayant consacré un ouvrage aux « grands-parents que je n’ai pas eus », celle de ses ascendants ayant péri dans les camps de la mort, le revoilà sur les traces de son histoire familiale, celle de son enfance et de ses périples touristiques. L’ensemble de ses écrits est marqué par cette histoire familiale puisqu’il a consacré plusieurs ouvrages aux enfants de l’assistance publique, sort réservé à son père suite à la disparition de ses parents. L’ouvrage paru en 2016 Laëtitia ou la fin des hommes et son éprouvante lecture renvoient également à ces destinées heurtées d’enfants abandonnés ou orphelins.
Ici, le ton est plus enjoué et c’est à un road-movie que nous invite l’auteur. Il revient sur ses vacances des années 1980 passées, en compagnie de sa famille et d’amis, à parcourir les Etats-Unis et l’Europe en camping-car et plus précisément en Combi-Volkswagen. Ses sources sont constituées des carnets de voyage que le jeune Ivan composait au fil des haltes à la lumière de la lampe de poche. Ces cahiers renvoient à la vie quotidienne de ces migrants estivaux, à la recherche de spots (entendre par là endroits où garer le Combi) les plus fabuleux possibles (le plus souvent situés à l’écart de toute civilisation dans des espaces naturels aujourd’hui fermés à la circulation automobile), aux sauts d’humeur de cet ado blasé et aux récits de cet historien en herbe collecteur de tessons de poterie ramassés près des temples visités en Grèce ou en Sicile… en toute impunité. Ce récit renvoie à la mythologie des vacances en toute liberté développée par cette marque automobile dans la lignée du mythe des pionniers de l’Ouest, alors que la « mode du camping-car, la saga collective de ce bus qui nous paraissait aussi unique, aussi irremplaçable, aussi nécessaire et librement choisi qu’un amour de jeunesse » (p. 50) n’était que le résultat d’un plan marketing !
Ce récit de grande vadrouille à travers l’Europe est surtout l’occasion pour l’auteur de revenir sur le sens de ces voyages pour lui comme pour son père. « Le Combi fut la victoire et l’orgueil de mon père, le retournement de sa condition d’enfant paumé en père prodigue, pourvoyeur de bonheur, sauveur sauvé par ses enfants, capable de les guérir comme il l’avait été après la guerre. » (p. 89) Sorte de thérapie, le voyage en camping-car était pour l’un l’apothéose du bonheur alors que pour le plus jeune, l’objet de sarcasmes par ses camarades du Lycée Fénelon : « Nos vacances n’avaient aucun nom, aucune justification, elles ne correspondaient à rien de connu. Cette manie ambulatoire était suspecte. Elle inquiétait les conformistes de masse par son côté excentrique ; elle paraissait grossière et rebutante aux enfants de l’élite. Nous bougions tout le temps, nous étions des SDF de l’été. Nomades. Nous avions des choses en commun avec les gens du voyage. Bref, quelque chose ne tournait pas rond dans ma famille. » (p. 114). Une itinérance porteuse de beaucoup de sens dans le contexte de cette famille juive : « Je viens du pays des sans-pays. Je suis avec ceux qui traînent leur passé comme une caravane. Je suis du côté des marcheurs, des rêveurs, des colporteurs, des bringuebalants. Du côté du camping-car. » (p. 122).
L’histoire de ses étés, c’est avant tout un récit d’apprentissage entre découverte du monde, ouverture à la culture et à la diversité, comme autant d’appels au voyage pour la vie à venir de cet enfant. Une sorte de « Grand Tour » à la manière des aristocrates anglais du XVIIIème siècle mais surtout une ode à la liberté !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes