Les éditions Perrin proposent une monumentale monographie sur Versailles, des origines à nos jours, dont la rédaction a été confiée à un des plus grands spécialistes actuels du sujet, Alexandre Maral. Ses nombreuses publications lui ont permis la reconnaissance par ses pairs d’une solide expertise. On lui doit des contributions diverses. Il a été le commissaire de plusieurs expositions organisées au domaine de Versailles, comme Les animaux du Roi (octobre 2021 – février 2022, en collaboration avec Nicolas Milovanovic).
Il lui revient, au titre de conservateur général du patrimoine en charge des sculptures (2005-2023), d’avoir mis à l’abri dans la Petite Écurie les chefs-d’œuvre de marbre des jardins, remplacés désormais par des répliques.

Une colossale monographie

L’avant-propos expose clairement les objectifs de l’auteur. Cette colossale synthèse de 1580 pages a pour ambition de reprendre le flambeau de l’ouvrage de Pierre Verlet, Le château de Versailles, paru dans sa première édition en 1961. L’auteur analysait les étapes successives de la construction du domaine et ses aménagements. L’évolution de l’usage des lieux jusqu’à la Révolution était abordée. Dans l’édition remaniée de 1985, l’ouvrage comptait alors plus de 740 pages.
Depuis le milieu des années 80, de nombreux travaux ont été publiés. Une véritable « versaillologie » s’est emparée de divers chercheurs et auteurs. Cette « science du lieu et de son histoire » s’échafaude autour de vastes champs de la recherche : architecture, histoire de l’art, littérature, arts de la table, histoire des sciences, histoire des mentalités ou des institutions…
Cette monographie ne se restreint pas à étudier seulement le château de Versailles proprement dit, elle inclut aussi la ville et le territoire environnant.

Du Versailles avant Versailles au Versailles après Versailles

Il est particulièrement pertinent dans cet ouvrage de ne pas montrer un Versailles figé dans une temporalité louisquatorzienne. En effet, ce domaine royal est en constante évolution jusqu’à aujourd’hui.

Alexandre Maral élargit donc cette nouvelle monographie à la période antérieure à Louis XIV, déjà étudiée par Jean-Claude Le Guillou. A noter qu’une coquille apparaît dans le préambule de la première partie, « Versailles avant Versailles » (titre emprunté justement à un livre de Le Guillou) : il est indiqué que deux chapitres composent cette première partie, mais elle en comporte en réalité trois ! Certes le court chapitre III, Le Versailles de la jeunesse de Louis XIV, serait plutôt à placer à la jonction de la première et de la deuxième partie, celle-ci étant intitulée « Versailles, lieu de fêtes et résidence de prédilection de Louis XIV (1661-1678) ».

Dans ce choix éditorial d’ouverture chronologique, la sixième partie « Versailles après Versailles » (1792-2023) nous paraît d’un intérêt majeur. L’auteur aborde longuement le Versailles du temps de Napoléon, de Louis-Philippe, ou encore de Pierre de Nolhac, conservateur de 1892 à 1920 qui œuvre patiemment à redorer l’image du domaine et à valoriser de manière inédite le patrimoine.

Un imposant guide, très structuré, pour comprendre Versailles

L’ouvrage est pensé comme un guide dans lequel on peut, sans trop de difficulté, chercher un élément précis. Pour cela, le plan très détaillé de l’ouvrage, repéré dans la table des matières, est rassurant et indispensable, pour qui veut rapidement explorer un lieu précis du domaine de Versailles ou cibler une période donnée. Il ne fallait donc pas moins de trente trois chapitres, insérés dans six parties. Chaque partie est très renseignée, parfois, presque page par page.
Cette construction particulièrement réfléchie et intelligente rend le livre accessible et permettra de rompre avec une lecture linéaire, qui pourrait s’avérer quelque peu fastidieuse.

A cet égard l’index des noms de personnes est bien utile. On dénombre presque 3000 noms ! Il ne se limite d’ailleurs pas aux acteurs ou témoins de cette histoire de l’époque moderne, puisque l’on retrouve nos contemporains… Macron, Hollande, mais aussi des historiens de l’art, Alexandre Gady, Xavier Salmon ou des historiens comme Gérard Sabatier …

L’index topographique très complet, d’une soixantaine de pages, s’avère aussi très pratique. Il facilite grandement la recherche d’un lieu précis dans cet épais volume. Cependant dans un premier temps, on pourra se référer à la table des matières pour une vision plus globale et synoptique du contenu de cet index, condensé en six pages. Salles, appartements, salons, pavillons, cours, corps de logis, escaliers, galeries, vestibules… des différentes ailes du château sont passées en revue. Les allées, bassins, bosquets, fontaines, parterres sont répertoriés, tout comme les composantes de Trianon, du Petit Trianon et du hameau de la reine. Puis tous les éléments qui se situent sur le Domaine de Versailles sont identifiés, comme le Grand Canal, la Ménagerie, la pièce d’eau des Suisses, ou bien encore le célèbre Pavillon de la Lanterne investi aujourd’hui par la présidence de la République. Enfin, un recensement, méticuleux et détaillé, concerne des entrées correspondant à l’espace urbain actuel de Versailles.

Quelques planches couleur rassemblées au milieu de l’ouvrage aident à se repérer dans ce complexe domaine et à localiser efficacement tous les lieux décrits.

Une déambulation dans tout l’univers versaillais

Pas-à-pas, au gré des périodes étudiées, on découvre l’affectation des lieux, ses usages et leur évolution au fil du temps. Alexandre Maral s’appuie sur les inventaires successifs (par exemple ceux de 1776, 1785 et 1788 sous Louis XVI). Il décrit méthodiquement les décors, le mobilier de chaque espace, ainsi que leur destinée après 1789 (installés à nouveau à Versailles, ou intégrés à d’autres collections).
Pour exemple, dans le cabinet intérieur de l’appartement du roi à l’époque de Louis XVI, se trouvait une commande de Jean-Henri Riesener sur laquelle avait été placé à partir du 4 août 1785 le célèbre candélabre dit de l’Indépendance américaine, dû à l’orfèvre Pierre-Philippe Thomire. Revenu à Versailles dans les années 1970, cet objet en bronze doré, de biscuit de porcelaine dure et de porphyre vert, qui commémore la victoire de la France sur la Grande-Bretagne, a cependant perdu « la figure sommitale du jeune Noir ou Indien tenant un arc et une massue et foulant aux pieds le joug de l’esclavage et portant en triomphe l’étendard de la liberté ».

L’ouvrage ne se contente pas d’égrener les artistes et leur œuvre, pas plus que de décrire les nombreux lieux parcourus, il redonne aussi les clés de compréhension de la vie de cour, du système Versailles, théâtre de la royauté, avec ses continuités et ses ruptures, de Louis XIV à Louis XVI, en relatant les récits des contemporains, de Saint-Simon en passant par le marquis de Sourches, au comte d’Hézecques (Souvenir d’un page de la cour de Louis XVI) ou à Arthur Young. L’auteur fait revivre les temps forts, comme les journées d’octobre 1789, s’appuyant sur les témoins de l’époque : Mme de Tourzel, Mme de La Tour du Pin.

 

Saluons ce travail très complet, méthodique et érudit d’Alexandre Maral. La fascination pour Versailles opère toujours. Avec cette somme, ce livre va bien au-delà de l’essentiel. Une démarche encyclopédique conséquente.