À l’heure où le ciel s’ouvre petit à petit, dans cette période de post-confinement, quoi de mieux que de feuilleter le beau livre publié par les éditions lyonnaises Lieux Dits pour voyager dans le temps comme dans l’espace !
Conçu par Paul Damm, conservateur du Patrimoine de la Région Île-de-France, préfacé par Valérie Pécresse et par le président-directeur général du Groupe ADP, cet ouvrage se propose de revenir sur l’histoire de l’aéroport d’Orly, véritable vitrine de l’innovation française de 1961 à 1974. Mis en scène par Jacques Tati (Playtime, 1967), chanté par Gilbert Bécaud (Dimanche à Orly, 1963), ce lieu est devenu l’icône d’une époque.
Richement illustré, le volume offre un voyage dans le temps grâce aux images d’archives qui ponctuent le texte en français traduit intégralement en anglais. Cet emblème des Trente Glorieuses appartient à la mémoire française. « C’est le point de rencontre de plusieurs histoires : l’histoire sociale d’un pays qui embrasse la société de consommation ; l’histoire de l’architecture, avec la construction d’une aérogare moderne ; l’histoire de l’aviation, avec l’arrivée des jets : le Jet Age ; l’histoire économique, avec le début de l’histoire du tourisme de masse, et enfin l’histoire culturelle, avec l’invention d’une nouvelle esthétique faite de verre, d’acier, de logos et de publicités. » (p. 19). C’est effectivement ce qu’arrive à montrer la passionnante lecture de l’ouvrage. Au fil des pages, après être revenue sur la genèse de l’aéroport (la création d’un aérodrome sur le plateau de Longboyau pendant la première guerre mondiale, réinvesti par les occupants nazis sous l’occupation puis exploité par les forces américaines), le lecteur est embarqué pour une visite au sens propre comme figuré de l’ensemble de l’équipement. Rien n’est oublié : le design du mobilier, une réflexion sur les schémas de mobilités des passagers et des visiteurs à l’intérieur de l’aéroport, le statut patrimonial de l’architecture fonctionnaliste de l’aéroport conçu par Henri Vicariot, l’étalement urbain ayant accompagné le développement de l’aéroport et des équipements annexes (MIN de Rungis, centre commercial de Belle Épine). Se croisent ici ce que Pascal Ory résume en trois traits : « culture de masse, civilisation des loisirs et société de consommation » (2011).
Pour autant, le rayonnement de cet équipement est mis à mal rapidement, détrôné par l’arrivée des jets exigeant de repenser la largeur et la longueur des pistes et par l’inauguration de Roissy en 1974. Malgré tout, l’équipement accueille 32 millions de passagers (2018). D’importants aménagements ont été réalisé pour s’adapter à l’arrivée des compagnies low-cost (ouverture de Orly-Ouest, agrandissement d’Orly-Ouest, Orlyval, nouveau terminal inauguré en 2019, ligne 7 du tramway, prolongement de la ligne 14 jusqu’à Orly en 2024, ligne 17 entre Roissy et Orly). Ces mutations spatiales sont assez mal rendues par les croquis en plongée aux couleurs peu contrastées. L’essor de « l’aéroport Airbnb » (dixit G. Sauvé, directeur d’ingénierie et aménagement du groupe ADP) pose beaucoup de questions en raison de sa proximité avec les habitations construites autour de l’équipement exposant les riverains à des nuisances sonores importantes. Il reste à espérer que les réflexions sur l’avenir du transport aérien engagées dans le cadre du développement durable et renforcées dans le contexte du confinement apporteront des réponses aux inquiétudes des riverains.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes