L’enfant médiéval a bel et bien existé contrairement aux idées reçues sur le Moyen-âge pour lequel on pensait qu’il n’y avait pas, à cette époque, d’enfants mais seulement des petits adultes. Cet ouvrage est une Anthologie de textes consacrés à la vie de l’enfant du V° au XV° siècle. Il rassemble des textes dont le thème est l’éducation et l’instruction médiévale. L’auteur nous montre comment on s’est intéressé à la psychologie et à la vie de l’enfant pendant dix siècles.
L’histoire de la pédagogie médiévale a été longtemps sacrifiée nous explique l’auteur. Quand des recherches s’ouvrent enfin sur le thème de l’enfant à cette époque, elles souffrent d’idées préconçues et de jugements erronés repris pourtant par des historiens sérieux. Mais peu à peu les articles et les colloques s’intéressent à l’enfant médiéval. On découvre de nombreuses représentations de l’enfant sur des manuscrits, du matériel scolaire, des jouets, des traités pédagogiques.
L’auteur précise avant toutes choses ce que l’on désigne sous le terme « enfant » au Moyen-âge. Selon les cultures, les âges de l’enfance varient mais le plus souvent on suit la chronologie de l’Antiquité : jusqu’à sept ans c’est l’enfance ; de sept à quatorze ans, la jeunesse ; puis l’adolescence de quatorze à vingt-et-un ans.
Quelques documents authentiques viennent illustrer et nuancer ces définitions : L’enfance selon Isidore de Séville (VII° siècle),un texte de Charles d’Orléans du XV° siècle, un court extrait du Livre des Propriétés des Choses de Barthélémy l’Anglais pour le XIII° siècle, un extrait de Poésie hébraïque médiévale en Espagne et en Provence pour le XI° siècle. Tous ces documents sont traduits et rendus très accessibles à un large public.
Le nouveau visage de l’enfance
Dans l’Antiquité, l’enfant est souvent comparé au vieillard. Les chrétiens qui lisent l’Ancien Testament remarquent que l’enfant est dépourvu de sagesse et éduqué assez sévèrement. On retrouve les mêmes idées dans les livres d’éducation des Égyptiens.
Avec la diffusion des idées chrétiennes, l’enfant reprend toute sa valeur. Au V° siècle, le pape Léon le Grand fait l’éloge de l’enfance et les moines du début du Moyen-âge le suivent dans cette opinion. L’ignorance et l’inexpérience qui sont celles de l’enfant apparaissent comme une qualité que les adultes auraient tort de mépriser.
Il est par, sa pureté, semblable aux anges et peut être considéré comme un intermédiaire entre l’homme et la divinité. Dans une loi barbare du VIII° siècle, en l’absence d’un prêtre, c’est un enfant qui choisit un objet pour désigner le présumé coupable. Ils peuvent même jouer le rôle de médiums dans les pratiques magiques.
Les textes proposés nous montrent également que les éducateurs du Moyen-âge ne sont pas aussi sévères que les hommes de la Renaissance le disaient. Beaucoup réagissent contre la brutalité des maîtres.
Les débuts de la vie d’un enfant
L’auteur nous propose ici des textes portant sur les interdits des autorités ecclésiastiques qui réglementaient la continence conjugale. Le problème de la limitation des naissances, de la conception, de l’avortement se pose partout : les pénitences diffèrent s’il s’agit de l’embryon d’un garçon ou de celui d’une fille.
D’autres textes portent sur les soins apportés au nouveau-né et sur les nourrices qui pouvaient être plusieurs pour un même nouveau-né. Nous pouvons lire ensuite des textes émouvants comme la jolie berceuse de Charles d’Orléans ou les pages consacrées à la joie des parents ou à l’étonnement de voir parler le nourrisson (extrait des Romans de la Table Ronde)
Enfants et parents
Les traités d’éducation, abondants depuis le Haut Moyen –âge et surtout à partir des XII° et XIII° siècles fournissent de nombreux textes sur les recommandations des pères ou des mères à leurs fils. Les dominicains se sont également intéressés à l’éducation harmonieuse du corps et de l’âme des enfants.
L’auteur fait référence aussi à l’un des plus célèbres traités d’éducation du catalan Ramon Llull adressé à son fils. Il s’appuie sur les écrits de Jean de Gerson, qui en France s’est le plus intéressé à l’enfant au XIV° siècle, et sur les écrits des humanistes italiens des XIV° et XV° siècles.
Ce chapitre nous permet de comprendre les rapports entre enfants et parents empreints de sévérité mais aussi de douceur. Nous y trouvons quelques témoignages sur les petites filles, moins étudiées généralement. Des fabliaux et poèmes du Moyen –âge donnent vie à cette réflexion et en rendent la lecture instructive et agréable.
L’enfant va à l’école
A partir de sept ans l’enfant peut apprendre à lire et à écrire. Les textes présentés dans ce chapitre nous montrent que des petits enfants paysans veulent quelque fois apprendre à lire très tôt et les premières tentatives pour les instruire.
Les recueils épistolaires, un règlement d’école du XV° siècle, les plaintes d’un groupement de bourgeois (sorte d’association de parents d’élèves !) au sujet d’un maître, l’inquiétude d’une mère au sujet de la brutalité d’un maître, un extrait du Livre de la connaissance de Moïse Maimonides sur les écoles juives en Espagne au XIII° siècle sont autant de pages authentiques et chargées de sens que l’auteur réunit dans ce chapitre.
Éducation des enfants de l’aristocratie et du peuple
Ici, l’auteur regroupe des textes sur les conseils prodigués aux précepteurs et gouvernantes des futurs princes, rois et fils de nobles dans l’Espagne wisigothique ou plus généralement la littérature médiévale.
Pour ce qui est du monde des humbles on y voit l’éloge du goût du travail et de la droiture. Quelques textes nous introduisent dans le monde paysan à partir de témoignages d’adultes se souvenant comment ils gardaient les oies ou empêchaient les oiseaux de dévaster les vignes .
Ces textes sont riches et variés : apprendre la courtoisie, la chasse, à manger correctement, nécessité de connaître un métier pour faire face à l’adversité en cas de perte de sa fortune….il s’y trouve même un contrat d’un très jeune apprenti dans l’Espagne du XV° siècle….
Bonheur et misères des enfants du Moyen-âge
L’auteur aborde ici les jouets, méconnus dans les textes ; il nous livre quelques récits d’espiègleries d’enfants puis cite des textes qui parlent de leurs misères : abandons, enfants considérés comme des marchandises (vendus comme esclaves), brutalités dont ils sont parfois victimes, accidents de la petite enfance, mortalité infantile.
Ce chapitre se termine sur la douleur des parents au décès d’un enfant comme en témoigne une épitaphe versifiée en Italie à la fin du XV° siècle qui exprime le désespoir d’un père ayant perdu sa petite fille.
Les enfants moines
Le monastère était souvent un refuge pour eux. Les parents avaient l’assurance que leurs enfants y seraient bien traités. Le monastère était également une école (le cloître s’opposait à l’école de la ville). En général on attend sept ans pour confier son enfant aux moines et cet engagement, jusqu’au XI° siècle est irrévocable .Des textes nous précisent la journée d’un petit moine anglo-saxon au début du XI° siècle.
L’éducation des petits moines à Cluny semble être un modèle. Le chapitre contient également de petits textes contant des facéties de jeunes moines lors de matines pour le moins peu ordinaires.
La vie religieuse des enfants
Le premier souci des parents est de faire baptiser le nouveau-né car le dogme du péché originel est établi. A l’époque carolingienne, les parents attendent que l’enfant puisse répondre au prêtre avant d’être baptisé mais il court des dangers s’il meurt avant cette cérémonie.
Quelques textes témoignent du rôle des enfants lors des fêtes religieuses comme la fête des Saints-Innocents, Pâques ou Noël. D’autres indiquent comment l’enseignement religieux était donné après le baptême.
L’auteur nous propose également dans ce chapitre trois textes témoignant de miracles lorsque des enfants très malades étaient conduits au tombeau de saints.
Vers l’adolescence
A quatorze ans, l’enfant devient adolescent. Nous voyons dans quelques textes comment certains le regrettent estimant que l’enfance est préférable à l’adolescence. Les effets de la puberté se font sentir. Dans l’un des textes proposés, Froissard se souvient de cet âge et de ses aspirations à l’amour. Dans d’autres extraits, les pédagogues préviennent les parents de bien surveiller leur fille et de ne pas la marier trop tôt. Une autre page choisie nous commente l’attitude des mères qui voyant leur fils les quitter pour aller à la cour royale leur donnent des conseils.
Pierre Riché a enseigné l’histoire médiévale à la Sorbonne puis à Tunis, Rennes et Nanterre. En dehors de nombreux travaux sur l’histoire du Haut Moyen-âge il a soutenu des thèses sur « L’éducation et la culture dans l’Occident barbare » et sur le « Manuel de Dhuoda ».Il a récemment collaboré à deux livres dirigés par Jean Houssaye sur « Premiers pédagogues : de l’Antiquité à la Renaissance » et sur « Les femmes pédagogues » publié en 2008 par les Editions Fabert
Noëlle Bantreil Voisin ©