Georges Duby (1919-1996), historien médiéviste et compagnon de route de l’Ecole des Annales, s’est consacré à l’étude des sociétés, en France, entre le Xe et le XIIIe siècle. Il est le premier historien contemporain à faire son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade.
Le volume regroupe les textes majeurs de l’historien : Des sociétés médiévales, Le dimanche de Bouvines, Le temps des cathédrales, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Guillaume le Maréchal, Dames du XIIe siècle (1. Heloïse, Aliénor et quelques autres 2. Le souvenir des aïeules 3. Eve et les prêtres). Ces ouvrages sont assortis de textes épars : Histoire des mentalités, Les « jeunes » dans la société aristocratique, Le plaisir de l’historien, L’art, l’écriture et l’histoire (entretien avec Pierre Nora).
Pierre Nora, rappelle dans sa Préface, le contexte d’une génération de médiévistes brillants et d’un accès des historiens de la « Nouvelle Histoire » au grand public. Georges Duby a abordé des domaines variés : l’historiographie, l’idéologie, les mentalités, les femmes. Il a été influencé par des courants intellectuels successifs : marxisme, structuralisme, anthropologie, histoire des mentalités, féminisme.
Ce volume de la Pléiade s’ouvre par la leçon inaugurale de Georges Duby au collège de France, le 4 décembre 1970 : Des sociétés médiévales. Il revient sur la division en trois ordres qui implique une triple domination : économique, politique et spirituelle. Il rappelle que ce modèle entend diminuer les antagonismes mais se place ainsi en porte-à-faux avec la réalité et les évolutions du XIIe s. : l’accélération de la croissance agricole qui entraîne une augmentation de la production ainsi qu’une concentration des richesses entre les mains des seigneurs et le développement du luxe. Ces besoins nouveaux favorisent le développement de l’artisanat, des échanges et des villes, faisant de la société médiévale occidentale une civilisation dominée par le fait urbain. Ce modèle est enfin remis en cause par un développement des inégalités internes aux trois ordres, par le développement de structures horizontales et par une rupture générationnelle. Georges Duby met en avant son souhait d’une histoire totalisante, en rupture avec la fragmentation du champ historique. Il recherche un équilibre entre l’histoire économique et celle des mentalités.
Le dimanche de Bouvines a renouvelé l’histoire événementielle en étant à la fois une anthropologie de la guerre féodale et un travail sur la mémoire de l’événement. L’ouvrage répond à une commande éditoriale de Pierre Nora pour la collection Trente journées qui ont fait la France. Cette demande est paradoxale puisqu’à contre-courant du courant historiographie incarné par Georges Duby. Le médiéviste analyse l’idéologie des mouvements de paix de Dieu à travers une journée, révélatrice d’un long processus de transformation des rapports de domination et du statut de l’homme de guerre. L’événement constitue aussi, à travers sa mémoire, un vecteur de cohésion sociale et un élément de formation des grands mythes nationaux. L’historien contribue à la réhabilitation de l’histoire militaire débarrassée de ses élans patriotiques et désormais pensée comme une histoire totale, à la fois sociale (composition des troupes), économique (coût des armements, transfert et destruction de richesses) et ethnographique (porosité de la frontière entre la guerre et le sacré, représentations, système de valeurs). Bouvines symbolise à la fois l’apogée de la chevalerie et son essoufflement dû à la reprise en main du pouvoir par le roi. George Duby fait aussi une histoire de la mémoire de la bataille de Bouvines et met en évidence trois moments de résurgence : au XVIIe s. comme appui à la construction d’une légende de la monarchie absolue ; sous la monarchie de Juillet comme symbole de l’alliance entre le roi et son peuple ; à la fin du XIXe s. comme emblème du triomphe de la civilisation sur la féodalité et comme incarnation de l’esprit de revanche sur les Allemands à la veille de 1914-1918.
Le temps des cathédrales, initialement paru en trois volumes illustré chez Skira, explore l’art médiéval, tentant de saisir les liens entre création artistique d’une part et structures sociales sensibilités et évolutions de la pensée d’autre part. La production artistique accompagne le transfert des centres du pouvoir. Il ne limite aux grands oeuvres, mais aborde la musique, l’orfèvrerie, les enluminures, les bijoux, les objets exotiques, le vêtement, les jardins… Des illustrations en noir et blanc accompagnent le texte.
Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme est la suite de travaux menés avec Jacques Le Goff. Georges Duby étudie la répartition tripartite de la société féodale : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. L’inégalité entre les hommes constitue un projet de société. Le rapprochement entre l’ancienne noblesse et la chevalerie a abouti à la création d’une classe sociale définie par sa fonction militaire. Servir Dieu par les armes les autorise à exploiter la masse des non-nobles. L’innovation par rapport à la période carolingienne est surtout l’ajout d’une catégorie regroupant les hommes de labeur, il s’agit surtout d’une opposition entre ceux qui ont le droit de commander et ceux qui ont le devoir d’obéir.
Guillaume le Maréchal est d’abord une commande radiophonique puis éditoriale pour ouvrir une collection dédiée aux « inconnus de l’histoire ». Georges Duby s’intéresse au régent d’Angleterre et plus précisément à la manière dont son fils va construire sa mémoire à travers L’histoire de Guillaume le Maréchal écrite en vers dans les années 1220. Ce récit contribue à la mémoire chevaleresque à un moment où l’éthique chevaleresque n’est plus qu’un idéal. L’ouvrage s’intègre dans le renouveau du genre biographique, mais s’en éloigne. Il est davantage une démonstration du travail de l’historien à partir d’une source isolée.
Dames du XIIe siècle constitue une enquête sur la représentation des femmes aux XIe et XIIe siècle. Le travail de Georges Duby contribue à la légitimation d’un champ historique alors récent. Il a également codirigé, avec Michelle Perrot, L’histoire des femmes en Occident en 5 volumes. Georges Duby est confronté au silence des femmes dans les sources, il n’entrevoit que des « ombres flottantes ». Il tente de recevoir non pas la réalité des femmes au Moyen Age mais la vision de ces femmes par la société masculine.
Parmi les textes épars, L’art, l’écriture et l’histoire est un entretien avec Pierre Nora où Georges Duby revient sur son rapport à l’écriture de l’histoire, à l’ouverture de la discipline à un large public et au regain d’intérêt pour les essais. Les sciences humaines doivent aussi plaire, G. Duby cite Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss et Les mots et les choses de Michel Foucault. Il faut aussi évoquer la présence de Georges Duby à la télévision, dans des émissions comme Apostrophes ou à travers l’adaptation télévisée du Temps des cathédrales.
Georges Duby percevait son travail comme une oeuvre cohérente. Pierre Toubert le décrivait comme « l’historien des structures d’un monde féodal sans anges morts ». L’unité de son œuvre se fait autour de son terrain, la chrétienté occidentale entre l’an mil et le début du XIIIe s mais aussi autour de sa réflexion épistémologique sur la subjectivité du travail de l’historien. Ainsi, Georges Duby pointe toujours la fragilité des sources, la prédominance des « vides » sur les « pleins » auprès de ses lecteurs. Duby met en scène ses doutes, le cactée fragmentaire des sources et supprime l’appareil critique et réduit à l’essentiel les préfaces.
L’ouvrage est assorti d’une chronologie, de notes abondantes et d’une bibliographie. Les références précises, les citations en langue originales sont ainsi indiquées, une présentation de chaque œuvre et de son contexte accompagne également la lecture.
Jennifer Ghislain pour les Clionautes