L’art du XVe siècle est le premier volume de la nouvelle collection des Presses universitaires de Rennes : « Histoire des arts – La petite bibliothèque ». Paru en juin 2021, cet ouvrage est rédigé par le directeur de la collection, Jean-Marie Guillouët, professeur d’histoire de l’art du Moyen Âge à l’université de Bourgogne. L’auteur, spécialiste de la sculpture et de l’architecture du XVe siècle en France et au Portugal, des transferts et des circulations artistiques dans l’Europe gothique et de l’histoire des savoir-faire techniques artistiques et artisanaux médiévaux, est également le secrétaire scientifique du Comité International d’Histoire de l’Art (CIHA).

Dès l’introduction, l’auteur affiche l’objectif de la rédaction de ce volume. Il s’agit de « présenter un panorama de l’art européen du XVe siècle ». L’historien est toutefois conscient des difficultés de cette entreprise et du caractère partiel de la synthèse ainsi rédigée dû à son format de manuel (400 pages). L’auteur a néanmoins l’ambition d’accompagner le lecteur parmi les œuvres, les hommes et les lieux du XVe siècle. En parallèle, il tient à proposer « quelques perspectives problématiques, quelques angles d’analyses », pour une meilleure compréhension de l’art de ce siècle.

J.-M. Guillouët présente le XVe siècle comme une période de basculement à la fois dans les formes et les savoir-faire mais également dans les œuvres et dans les styles. Il s’agit en effet du moment où l’on voit s’opérer la mutation d’un art gothique flamboyant sur le déclin à un art renaissant venu d’Italie. Toutefois, avec cet ouvrage, l’auteur souhaite « s’affranchir des schémas éprouvés ayant trop rigidement voulu distinguer l’œuvre du Moyen Âge de celle des Temps modernes ». Ainsi, J.-M. Guillouët étend son étude aux différents espaces du continent européen pour éviter de prendre uniquement en compte les pôles artistiques de Flandre et de l’Italie. L’ouvrage organisé en neuf chapitres thématiques permet ainsi à l’auteur de présenter les évolutions de l’art du XVe siècle.

Les 140 années du XVe siècle artistique

Dans un premier temps, J.-M. Guillouët questionne les bornes chronologiques du XVe siècle artistique. Il tient à mettre en relief les « phénomènes culturels, politiques, religieux et sociaux » donnant lieu à des moments de rupture. Pour l’auteur, le XVe siècle artistique déborde largement du XVe siècle calendaire : il fait débuter cette période vers 1380 et l’étire jusqu’en 1520, soit un siècle de 140 ans. L’auteur explique le choix de cette date haute car c’est « aux alentours de 1380 que prirent place différents évènements aux conséquences importantes, tant dans l’histoire politique que religieuse ou artistique du continent ».

Dans le domaine artistique, les années 1380 marquent l’apparition du gothique international. L’histoire politique et évènementielle apporte les jalons les plus prégnants pour la borne de 1520, par exemple les 95 thèses de Luther et leur condamnation par Charles Quint. Les historiens de l’art ont fait le choix de ces jalons car ils correspondent aux moments « où s’entrelacent des formes et des habitudes proprement gothiques et les nouvelles pratiques ou les nouveaux usages ».

Le gothique international

Ce concept a été formé à la fin du XIXe siècle et n’a cessé depuis de poser des difficultés aux historiens. Le mot gothique apparaît au XVIe siècle, sous la plume de François Rabelais, pour désigner l’art du Moyen Âge. Le terme de gothique était alors employé pour accentuer le mépris envers les productions antérieures au XVIe siècle. Le concept d’art roman n’apparaît quant à lui qu’au XIXe siècle pour caractériser les premiers siècles artistiques du Moyen Âge, réservant ainsi le mot gothique aux quatre derniers siècles de l’époque médiévale. L’expression gothique internationale est également élaborée au XIXe siècle et doit être comprise dans le sens de « courant international de l’art gothique ». Bien que l’emploi de cette expression soit ambigüe, les historiens ont néanmoins fait le constat d’un « phénomène d’hybridation stylistique et d’une diffusion européenne d’un langage formel commun ».

Après avoir interrogé le concept, J.-M. Guillouët présente plusieurs foyers artistiques considérés comme les plus riches et les plus féconds du XIVe siècle. C’est le cas d’Avignon qui est devenue sous l’action des papes une cité à la croisée des routes commerciales, diplomatiques et culturelles, lui permettant de devenir un centre de production artistique important. Malgré le retour des papes à Rome et le Grand schisme, Avignon a continué pendant un temps à rayonner grâce aux antipapes et aux cardinaux. La cité des papes attire sculpteurs, orfèvres et peintres d’horizons géographiques divers. La Bohème et l’Europe centrale forment un autre foyer artistique important sous l’impulsion de Charles V de Luxembourg, empereur des Romains, qui a grandi à la cour de France et a par conséquent développé une culture cosmopolite. Grâce à lui le rayonnement de Prague s’étend au-delà de la Bohème.

Cette influence se fait ressentir jusqu’à Vienne qui prend le relais des commandes sous le règne de Rodolphe IV de Habsbourg. De véritables dynasties d’artisans émergent au cours de cette période, comme celle des Parler. Les historiens mettent en évidence la cohérence artistique des espaces d’Europe centrale et germanique. Les expressions « beau style » ou « style doux » sont préférées à celle de « gothique international » dans ces régions par ailleurs. Enfin, la cour du roi de France est un autre grand foyer artistique important depuis le règne de Charles V, moment particulièrement riche tant dans la production artistique que pour le savoir et les lettres. Toutefois, avec la folie de Charles VI, ce sont les oncles et donc les grands seigneurs qui donnent le ton, tels que Jean de Berry, Louis d’Orléans et enfin le duc de Bourgogne Philippe le Hardi.

L’évolution de l’artiste et de l’art du XVe vers la modernité

Les cours aristocratiques jouent un rôle prépondérant dans l’évolution de l’art du XVe siècle. En prenant l’exemple de la cour de Bourgogne, J.-M. Guillouët montre comment l’art gothique international est le résultat de « configurations culturelles et sociales propres aux cours aristocratiques et princières ». Le phénomène de cour n’est toutefois pas nouveau, mais c’est à la fin du XIVe siècle que l’espace aristocratique devient un « cadre privilégié des échanges de formes, de modèles et de personnels ». Le statut privilégié de l’artiste des cours apparaît dans ce contexte, permettant à certains d’échapper aux contraintes corporatives du monde artisanal des villes. Bien que la part la plus importante de la population artisanale du XVe siècle exerçait au sein des espaces urbains, les deux univers n’étaient pas fermés l’un à l’autre.

La ville est un espace majeur de production artistique. Comme le souligne l’auteur, la ville a été à  plusieurs reprises idéalisée par différents artistes lors de travaux sur des projets urbains. Grâce à leurs places, fontaines, décorations urbaines, les villes sont également les lieux de l’expression artistique, jouant un rôle déterminant dans l’affirmation de la puissance publique.

Le XVe siècle est également celui de l’évolution des innovations techniques dans la production artistique et artisanale. Les acteurs de la création portent un intérêt particulier au processus et aux savoir-faire. Selon J.-M. Guillouët, cet intérêt tant dans la technique que dans sa mise en œuvre « semble avoir été, dans certains cas, porté par des considérations d’ordre symbolique et politique ».

Au sein du panorama du XVe siècle artistique, l’auteur rappelle que « la question italienne est une question centrale au sein du concert des arts européens du XVe siècle ». Toutefois, il refuse le scénario ancien d’un « affrontement entre une modernité conquérante et une tradition médiévale en repli ». J.-M. Guillouët, en s’appuyant sur les dernières recherches dans le domaine, met en lumière les continuités artistiques entre les deux périodes historiques. Ces continuités sont particulièrement visibles aujourd’hui grâce aux renouvellements effectués dans les représentations de l’homme et du monde pendant le XVe siècle. 

Pour accompagner le lecteur, l’auteur a décidé d’insérer à la fin de l’ouvrage une quarantaine de commentaires critiques d’œuvres d’art dont les images sont en couleur et de bonne qualité. Mise à part trois d’entre eux, les différents commentaires ne sont pas le fruit de l’auteur mais des extraits d’ouvrages présents dans la bibliographie. À la fin de chaque commentaire, J.-M. Guillouët indique la source d’où provient l’analyse artistique. Cette compilation est particulièrement intéressante tant pour la variété des œuvres que pour leurs origines géographiques.

La plupart de ces œuvres sont connues du grand public comme la Vierge au chancelier Rolin de Jan Van Eyck, le Palais Jacques Cœur à Bourges, La naissance de Vénus de Sandro Botticelli, La Cène de Léonard de Vinci ou encore la Tapisserie de la Dame à la Licorne. Si d’autres au contraire le sont moins, l’ensemble vise à fournir une meilleure compréhension du XVe siècle artistique.