Note de l’éditeur. « Dans un futur proche, dans un monde en plein chaos, où le capitalisme sauvage et les dérèglements climatiques ont bouleversé l’ordre des choses, une jeune femme part seule rejoindre la rébellion. Pour cela elle va devoir faire un long voyage dans une nature hostile, un voyage qui l’amènera au bout d’elle-même. Entre Into the wild et Sur la route, Tom Tirabosco nous propose un voyage initiatique en forme de fable, et s’interroge sur notre avenir et sur l’évolution de notre planète».

 

Plusieurs œuvres arrivent spontanément en tête en lisant Femme sauvage. Les premières pages évoquent l’atmosphère du film de Richard Fleischer, Soleil vert (1973), la couleur en moins. Il se trouve justement que la seule date qui apparaît dans la bande dessinée de Tom Tirabosco est 2022, et que le film se déroule à New York, quand l’ouvrage prend pour premier cadre une ville des États-Unis. Le recueil de la « femme sauvage », narratrice qui reste complètement anonyme, rappelle irrésistiblement l’un des épisodes de Tintin au Tibet (1960), quand le héros est sauvé par le yéti qui apparaît (aussi) sous la forme d’une ombre en pleine tempête de neige. Et enfin, on a des références explicites à Walden ou la vie dans les bois, de Henry David Thoreau (1854), dont des extraits sont donnés dans le présent ouvrage. S’ajoute à tout cela un trait noir, au fusain, qui, tout en restant très élégant, vient alourdir encore le climat du récit.

En lisant cette introduction, on se lit qu’on tient là un ouvrage très pessimiste. On est d’ailleurs au moment où le dérèglement climatique produit ses effets les plus spectaculaires, notamment sous la forme d’un éclatement complet de ce qui permet de faire société. Et effectivement, il n’y a pas grand chose qui vienne sauver l’espèce humaine, tout entière obnubilée par sa propre destruction et celle de la Terre par la même occasion. On est d’ailleurs très clairement averti par la quatrième de couverture, quand l’auteur fait tenir ses propos à la narratrice : « j’ai toujours pensé que les humaines étaient une espèce toxique. Des super prédateurs. Les humains, à part tout bousiller et rendre ce monde plus laid, je ne sais pas à quoi ils servent…». On en est donc réduit à la suivre dans son périple solitaire, à travers champs et bois, tiraillée à la fois par son passé (l’homme qu’elle a perdu) et un avenir on ne peut plus hypothétique : les Rebels, qui se trouvent au Nord. Chaque jour, chaque nuit, est une étape franchie dans sa survie, dans un univers hostile, avec des moyens matériels réduits au strict essentiel : un sac, un couteau, une boussole… Le seul luxe est le livre de Thoreau, auquel son compagnon a eu le temps de l’initier.

Vu comme cela, la « nature » (si on veut continuer à qualifier de cette façon ce qui n’est pas humain, et reconnaître une séparation nette entre nature et humanité) et l’homme sont bien deux choses différentes, qu’on ne peut concilier. Pourtant, c’est de ce milieu hostile que viendra le salut et l’avenir.

Femme sauvage est assurément l’album le plus intéressant de ce début d’année, de par la trame du récit mais aussi par la façon dont Tom Tirabosco l’a traité, tant du point du scénario que de celui du graphisme. On peut le lire comme un espoir pour l’espèce humaine confrontée au cataclysme qui s’annonce, loin des illusions technologiques sur lesquels certains se fondent encore pour en faire une solution à toute épreuve. Or, l’auteur la situe, cette solution, dans les ZAD. Il se trouve justement que d’autres auteurs ont envisagé ces zones comme autant de portes ouvertes sur des formes de sociétés nouvelles, pas si utopiques que celaOn se reportera notamment à la bande dessinée de Thomas Azuélos (ill.) et Simon Rochepeau (sc.), La ZAD. C’est plus grand que nous, éditée en février dernier chez… Futoropolis (y aurait-il un hasard ?). Et on verra alors que l’affirmation préliminaire de la narratrice, que l’on peut lire en quatrième de couverture, se trouve fortement nuancée par l’évolution du récit.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes