Berlin sera notre tombeau, voici un titre évoquant un sujet est particulièrement compliqué. Il s’agit en effet d’aborder les derniers combats des volontaires français engagés de la « Charlemagne » des Waffen-SS, au cœur des ultimes combats d’avril-mai 1945, dans les entrailles de Berlin.
Michel Koeniguer s’est spécialisé depuis quelques années dans la bande dessinée militaire et historique. Son dessin est très lisible, avec une attention toute particulière pour le traitement du matériel militaire. Je l’ai pour ma part découvert dans la série « Bomb Road », également aux éditions Paquet, consacrée à la guerre du Vietnam. C’est donc avec plaisir, eut égard à son travail précédent, que je me suis plongé dans cette nouvelle série.
Le premier volume nous avait fait découvrir un groupe de volontaires français qui, à marche forcée, se rapprochaient de l’ultime champ de bataille européen de la guerre. Après quelques planches consacrées à la présentation des personnages, le décor avait été planté : un combat désespéré, au milieu d’un enfer absolu, pour une cause perdue d’avance. Ce second tome reprend là où nous avions laissé Christian, l’écrivain maudit, par un flashback. Si l’on devait regretter quelque chose dans cet album qui arrive au milieu du gué du cycle Berlin sera notre tombeau, comme dans le précédent, c’est cette difficulté que l’auteur a de susciter de l’empathie vis-à-vis de ses personnages. La structure même de ces deux premiers albums repose sur une série de combats, duels inégaux entre des hommes qui n’ont plus rien à perdre, ni rien à gagner, et des masses de blindés et de soldats soviétiques avides de vengeance. Entre deux combats de rue, les hommes échangent et quelques flash-backs doivent permettent de commencer à construire un parcours personnel en remontant dans les entrailles de la guerre, au tournant de l’année 1942 1943, point de bascule de Christian pour son intégration dans la Waffen-SS. Si l’effort est tout à fait louable, la mayonnaise a du mal à prendre et ces hommes dégagent plutôt une certaine froideur et il est difficile de s’attacher à eux. L’humanité existe néanmoins à travers le parcours et de civils que l’on croise, au gré des combats dantesques, et notamment à travers la figure d’un jeune garçon qui suit ses hommes avec admiration autant qu’une forme de fatalité face à cette fuite en avant.
Cette difficulté à dégager de l’empathie ne doit cependant pas occulter les réelles qualités de ce travail. L’alternance des flash-backs entre la France occupée et les combats au cœur de Berlin permettent de souligner la dureté de ces derniers, au regard une occupation qui semble paisible, même si on n’en devine, au détour d’un dialogue, la dureté. La grille de lecture essentielle de ce tome est centrée sur le chemin menant à l’ultime assaut porté par les troupes de Joukov, à la fin du mois d’avril 1945. C’est le crépuscule des dieux, plusieurs fois cité, une course vers la mort, la destruction absolue, dans le vacarme d’un Ragnarok porté par l’artillerie soviétique, ses hordes de fantassins et de blindés. C’est d’ailleurs un point très important qu’il faut souligner : le travail technique de Michel Koeniguer, ses recherches, son application à décrire ici un T34–85, là un IS-II Staline. Au cœur de l’action on retrouve surtout l’inventaire totalement hétéroclite des derniers combattants nazis, allant du bon vieux Stug-IV aux blindés les plus modernes, Hetzer, Panther, Tigre royal, prototype Waffentrager 88mm PAK-43 ou encore le spectaculaire et meurtrier canon antichar Pak 44 L / 55 de 128 mm.
Berlin sera notre tombeau. Petit à petit le lecteur s’enfonce donc, derrière ces combattants presque déshumanisés, armés de Panzerfaust pour affronter des hordes de T-34. L’objectif ? Reculer l’inéluctable, espérer une hypothétique arrivée des Américains, reprendre un coin de rue qui sera perdu lors du prochain assaut soviétique. Les adversaires sont assez uniformes ; les soviétiques se ressemblent presque tous, sont souvent réduits à des hordes de soldats avides de vengeance. La dureté de certaines scènes est à souligner, à l’image de celle d’un viol, ce qui correspond à une réalité malheureusement éprouvée du terrain. Il ne fait pas de doute quant au destin de ses personnages : il sera terrible et funeste. Le 29 avril, à 2 heures du matin, les Allemands se terrent auprès de ces combattants français, dans les entrées de Berlin, en attendant le coup fatal. La mort et la destruction semblent la seule rédemption à attendre dans ce dernier album qui marquera la fin de cette série de qualité, sur un sujet particulièrement difficile.