Parmi les aspects de la Seconde Guerre mondiale, la science tient une place importante, souvent réduite à quelques faits comme la bombe atomique ou les expériences menées par les nazis. Jean-Charles Foucrier, docteur en histoire contemporaine de l’université Paris-Sorbonne et auteur d’une thèse sur « Les bombardements aériens sur la France en 1944 », fait revivre dans ce livre des itinéraires de scientifiques au sein du conflit. L’ouvrage comprend une quarantaine de pages de notes ainsi qu’un index. Il souhaite ici retracer des itinéraires de scientifiques, souvent peu connus,  tout en évitant deux obstacles : l’exhaustivité et l’approche très technologique.

La recherche opérationnelle

Jean-Charles Foucrier retrace d’abord la mobilisation des scientifiques britanniques sans oublier de souligner les intrigues de palais qui ont eu lieu au même moment et qui ont pu avoir une influence décisive dans le développement des projets. Il évoque la question de la maitrise des mers et précise l’importance du radar. On voit également dans quelles conditions s’est préparé le débarquement du 6 juin et les redoutables défis techniques qu’il a posés. Il était indispensable de bien connaitre les lieux où l’on projetait de débarquer. La zone autour d’Arromanches paraissait idéale mais, pour en être certain, John Bernal lança une demande pour obtenir des photographies de vacanciers  passés par la côté française. Il réussit ainsi à se faire une idée plus précise de la configuration exacte des lieux. Le chapitre 4 s’attaque à un aspect plus connu à savoir les origines de la bombe nucléaire. Dès 1933, de nombreux savants allemands d’origine juive décident de quitter l’Allemagne affaiblissant la recherche. On lira avec intérêt la fameuse lettre d’Einstein adressée au président des Etats-Unis où il souligne tout le potentiel et le risque de l’atome. Si au départ, Etats-Unis et Allemagne semblent au même point, la puissance, notamment financière, des Etats-Unis fait la différence avec un projet Manhattan crédité de 2 milliards de dollars et servi par plus de 120 000 scientifiques et techniciens. Contrairement à certaines idées reçues, la recherche allemande est loin d ‘être efficace et peut même être comparée à une « boite de scorpions » selon les termes de l’historien François Kersaudy. 

Gloires et hontes de la recherche médicale

La deuxième partie enchaine sur une autre épopée, celle de la pénicilline. Jean-Charles Foucrier s’arrête sur ses trois inventeurs : Ernst Chain, Norman Heatley et Howard Florey. Il montre aussi que dès le 15 mars 1945, la pénicilline est disponible dans les pharmacies américaines. Comme le dit l’auteur :  « attisée par le catalyseur de la Seconde Guerre mondiale, la pénicilline vient de révolutionner la médecine ». On découvre ensuite les ravages du typhus. Alors qu’il avait été traité efficacement durant la Première Guerre mondiale, une partie de ce qu’on savait a été oublié en Allemagne. Jean-Charles Foucrier évoque le docteur Erwin Ding-Schuler, médecin en chef du camp de Buchenwald. Il est notamment responsable  de 24 séries de tests sur le typhus depuis 1942, sur un millier de prisonniers. Le chapitre 7 évoque le paludisme, mais, dans ce cas, aucun vaccin n’existe au début du XX ème siècle. Les autorités américaines doivent absolument réagir car en 1943 l’armée perd 250 000 soldats et marins foudroyés par des attaques de fièvre. L’auteur parle ensuite de la guerre biologique  avec l’unité 731. Il évoque aussi le cas du sujet CH-1 patient intoxiqué par le plutonium, dans le cadre du projet Manhattan. Mais, comme le dit Jean-Charles Foucrier, « on ne juge pas un vainqueur ». 

La guerre secrète

Dans cette troisième partie, l’auteur reprend et développe le dossier Enigma. Ce projet  « aurait pu errer dans les oubliettes de l’histoire si en 1926 la nouvelle armée allemande ne s’était intéressée à la machine ». Un des mérites de son ouvrage est de faire resurgir des noms oubliés et si aujourd’hui  on connait Alan Turing, même s’il a fallu du temps, Jean-Charles Foucrier plaide pour qu’on n’oublie pas non plus  Gordon Welchman. Le chapitre 11 s’intéresse à la naissance de l’informatique. Il reste des domaines à explorer comme l’histoire des décodeurs soviétiques car les archives ne sont toujours pas accessibles. On découvrira peut-être la figure de John von Neumann, l’un des concepteurs de l’ENIAC. Celui-ci était doté d’une mémoire prodigieuse puisqu’il pouvait mémoriser une page d’annuaire en quelques minutes. 

Cet ouvrage éclaire donc d’un angle original la Seconde Guerre mondiale. Cette période a vu apparaitre de formidables inventions comme la pénicilline, mais a donné naissance aussi aux armes les plus destructrices comme la bombe atomique. Partant des acteurs, le livre montre les hésitations, les pistes parfois non abouties et comme le dit Jean-Charles Foucrier, certains scientifiques ont alors « trouvé la gloire, beaucoup d’autres l’indifférence, et quelques-uns la mort ». 

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes