Avant tout, définir et briser les cadres chronologiques habituels
Comme pour tout sujet, il faut partir de la base et notamment de la définition des termes. Définir en effet permet de mettre à distance les idées reçues. Sur ce sujet, deux se disputent le marché : la célébrité est un phénomène universel ou, à l’inverse, elle est considérée comme un phénomène récent à relier aux médias de masse. Cela aboutit parfois à des formules lapidaires du style : auparavant les gens étaient connus pour ce qu’ils faisaient alors qu’aujourd’hui c’est le média qui crée leur célébrité.
Antoine Lilti s’attache d’abord à distinguer dans le vocabulaire possible les différences entre célébrité, gloire et réputation. Grossièrement, on pourrait dire que la gloire est liée à des exploits alors que la réputation correspond au jugement d’un groupe. La gloire est essentiellement posthume, alors que la célébrité nécessite l’immédiateté. Une des thèses fortes de l’auteur est donc de dire que « la célébrité est apparue au cours du XVIII ème siècle, dans le contexte d’une profonde transformation de l’espace public et des premiers développements de la commercialisation des loisirs ». Cette affirmation conduit de suite à passer par dessus les clivages traditionnels entre les périodes, et l’auteur souligne combien la coupure de la Révolution française est peu opérationnelle dans son sujet.
Voltaire évidemment !
Pour entrer dans le concret, l’auteur s’intéresse d’abord aux cérémonies autour de Voltaire organisées de son vivant à la Comédie française. Il était alors, selon la formule, « l’homme le plus célèbre d’Europe ». A l’époque, il faut bien préciser que Voltaire savait occuper l’actualité, maniant la polémique mais aussi les bons mots. Sa célébrité dépasse les simples cercles littéraires et on retrouve sa présence sous de multiples formes parfois inattendues comme le lever de Voltaire récusé d’ailleurs par l’écrivain. Toutes ces notations donnent une épaisseur à Voltaire, utile pour nos cours car, souvent, les grands hommes sont désincarnés dans la tête des élèves et encore plus les philosophes !
Les premières figures publiques : actrices, chanteurs et danseurs
Antoine Lilti rappelle ensuite le contexte du XVIIIème siècle. « Les sociétés urbaines d’Ancien Régime étaient régies par l’exigence de représentation ». Dans ce deuxième chapitre, il s’attache donc à décortiquer les mécanismes de la célébrité et pour cela il examine des trajectoires : un castrat italien qui fit carrière et scandale à Londres, un acteur français ou encore une tragédienne anglaise. Une étape est franchie car on constate à travers ces exemples que l’intérêt du public va au-delà de leur métier, et bascule vers leur vie personnelle.
Quels supports ?
C’est l’objet du chapitre trois qui bouscule quelques idées préconçues aussi sans doute sur un tel sujet. L’auteur s’attache à restituer la culture visuelle du XVIII ème avec des innovations techniques essentielles qui expliquent la plus grande diffusion d’images. Toutes les reproductions de personnes de l’époque alimentent la célébrité. Pendant longtemps, les portraits étaient à la fois rares et stéréotypés, ce qui n’est plus vrai à partir du XVIII ème. On assiste au développement des figurines en céramique, sans oublier la caricature. Le cahier central offre quelques exemples, comme un gobelet en porcelaine de Sèvres consacré à Benjamin Franklin ou un bol en faïence à son effigie.
Le cas Rousseau
On voit comment se développent, en même temps qu’elle se créent, des réflexions sur la célébrité. Le mot même change de sens. Antoine Lilti dit bien que Rousseau est à la fois un cas exemplaire et exceptionnel. En effet, il fut le propre commentateur de la célébrité qu’il était en train de vivre ; une sorte d’auto-analyste. Il faut tout de même rappeler qu’il n’a pas toujours été célèbre, mais la publication de « La nouvelle Héloïse » changea tout. Si vous ajoutez à cela la condamnation par le parlement de Paris de « l’Emile » et du « Contrat social », on comprendra mieux cette explosion de célébrité. De nombreux lecteurs et lectrices écrivent alors à Rousseau et lui qui avait été un censeur devient un guide : sacré retournement à vivre ! « Rousseau devient juge de Jean Jacques » selon la formule d’Antoine Lilti.
Une accélération du processus
Fidèle à son projet, l’auteur consacre le chapitre 7 à la période de la première moitié du XIXème siècle. Gardant l’approche par personnages, il propose à la fois des cas très connus comme Lord Byron, la reine Victoria ou Franz Liszt, mais il évoque également d’autres personnages comme Jenny Lind. Cette époque est marquée « par l’accélération du développement de l’imprimé et par la naissance d’une industrie culturelle ». L’autre tendance forte soulignée, c’est l’importance accordée à l’expression des sentiments. Il s’agit là de deux aspects complémentaires et non opposés. Byron, tout comme Rousseau, connait une célébrité qui dépasse le monde littéraire. L’ouvrage se termine en évoquant l’importance des nouveautés techniques et leur importance dans ce processus de construction de la célébrité : il s’agit en l’occurrence de la photographie.
En conclusion, Antoine Lilti revient une fois encore sur un point essentiel : « des phénomènes que nous sommes habitués à considérer comme le résultat de révolutions technologiques et culturelles récentes …plongent en réalité leurs racines au coeur de la modernité, soit deux siècles avant l‘invention de la télévision ». C’est sans doute cette inscription dans un temps long qui est l’information la plus utile au service de nos enseignements et notamment lorsque l’on évoque le XVIII ème au collège ou au lycée.
© Jean-Pierre Costille, Clionautes.