Publié aux éditions Les Arènes, ce livre nous plonge dans l’univers des dictateurs du XXe siècle. Afin d’être un « bon dictateur » (entendons ici un dictateur qui dure dans le temps et dans les esprits) un diptyque s’applique : Terreur et Culte de la personnalité. C’est sur ce dernier aspect que l’ouvrage insiste (sans négliger toutefois la répression dictatoriale).
Frank Dikötter, spécialiste – entre autres – de la période maoïste s’est attaché à montrer que le culte de la personnalité « considéré comme une dérive mégalomaniaque empreinte de folie et de paranoïa est au contraire indispensable au maintien d’un tyran au pouvoir.
L’ouvrage de 429 pages (dont 90 de notes et de références bibliographiques) se divise en 7 études plutôt homogènes : Mussolini, Hitler, Staline, Mao Zedong, Kim Il-Sung, Duvalier, Ceausescu et Mengistu. Chaque fiche biographique traite de la jeunesse du dictateur, de ses inspirations, de son arrivée au pouvoir et des méthodes employées pour le conserver.
Dès la préface, le ton est donné :
« Un dictateur doit inspirer la peur à son peuple, mais s’il parvient à se faire acclamer, il survira sans doute plus longtemps. Le paradoxe d’un dictateur moderne, en bref, est qu’il doit créer l’illusion d’un soutien populaire » (p. 9).
De même, le culte de la personnalité était nécessaire pour se débarrasser de ses rivaux et insuffler de la méfiance entre les citoyens.
Car le but premier pour un dictateur « ne visait pas à convaincre ou à persuader, mais à jeter le trouble, à détruire le bon sens, à forcer l’obéissance, à isoler les individus et à écraser leur dignité » (p.14).
Je ne vais pas vous détailler ici la politique de Terreur et la mise en place du culte de la personnalité des sept dictateurs de l’ouvrage. Soulignons toutefois les nombreuses similitudes :
- Ce sont souvent des personnes qui se sentent confiées une mission « divine ». Leur sacrifice pour le bien commun de la Nation est souvent rappelé.
- La méfiance envers les membres du parti, les ministres est omniprésente. Si eux ont réussi à prendre le pouvoir par la force, pourquoi d’autres ne parviendraient-ils pas à le faire ?
- Chaque dictature à son ennemi attitré (communistes, juifs, rebelles…)
- Les dictateurs inspirent d’autres dictateurs : Hitler s’est inspiré des actions de Mussolini en Italie, au point d’être surnommé en 1922 le « Mussolini allemand ».
- Les dictatures communistes se sont très fortement soutenues. Staline a grandement participé à l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong en Chine, qui à son tour est venue en aide à Kim Il-Sung en Corée du Nord. Les dictateurs communistes imitaient Staline : purge, collectivisation, industrialisation forcée (plans quinquennaux).
- Contrôler la presse est nécessaire pour diffuser la propagande et les idées du parti. Le dictateur doit être partout et tout le temps. Ainsi tous les faits et gestes de Kim-Il-sung étaient relatés dans les journaux.
- Les discours des dictateurs et la propagande étatique tournaient en boucle dans les médias (jusque dans les endroits les plus reculés).
- Le dirigeant doit être partout : l’art se met au service du dictateur. Peinture, sculpture, cinéma, photographie, poème… Cela permet dans un même temps d’humaniser. Le dictateur est montré comme proche du peuple.
- Les dictateurs mettaient par écrit leurs pensées et le livre qui en découlait était imprimé en plusieurs millions d’exemplaires. Ne pas en posséder était souvent synonyme d’arrestation/mort. La propagande coûte cher, mais elle est primordiale pour un dictateur.
- En parlant de Mao (mais cela semble pouvoir s’appliquer aux autres) : « il se voue un culte, il a une foi aveugle en lui, il s’adore, il s’attribue toutes les réussites mais il rejette ses échecs sur les autres » (p. 191)
En conclusion, cet ouvrage brosse un portrait très complet de ces dictateurs du XXe siècle. Frank Dikötter parvient à faire comprendre au lecteur comment ces hommes se sont emparés du pouvoir pour ne plus jamais le lâcher. Si les ouvrages contemporains sur Mussolini, Hitler et Staline sont nombreux, cet ouvrage met en lumière d’autres dictateurs « moins médiatisés » mais à la logique dictatoriale implacable.
On prend beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage, à comprendre la logique des dictateurs. Si le sujet vous intéresse je ne peux que vous le recommander.
Et dans un autre registre artistique, je ne peux que vous conseiller la série « le parcours des tyrans » qui complètera parfaitement cette lecture (avec d’autres exemples de dictateurs) : « que dois-je faire pour devenir dictateur ? »