Le football s’éloigne parfois, parfois trop du rectangle vert où s’affrontent ses pratiquants. Economie, développement, diplomatie, géopolitique, régulation sont désormais associés au plus populaire des sports. Ce numéro de Géoéconomie en est l’exemple concret en mettant à contribution des acteurs directs de ce sport (Juan Laporta, Paul Le Guen), des scientifiques (Jacques Soppelsa, Paul Dietschy), des juristes et des économistes (Gaël Raballand, Jean-François Brocard).

Jérôme Champagne, ex-directeur des relations internationales de la FIFA, ouvre ce numéro par un plaidoyer en faveur d’une FIFA, acteur majeur du football mondial selon Wladimir Andreff. Un tour d’horizon rappelle les évolutions ayant touchés le « people’s game » : diffusion généralisée du foot au XIXème et XXème siècle, poids croissant de aspects économiques liés en grande partie à la place de la télévision et des droits de diffusion des compétitions. La FIFA a connu une croissance parallèle à ces mutations, rassemblant plus de pays que l’ONU, et restant la gardienne du temple, des valeurs et de l’équité sportive. Même si l’auteur rappelle les ponts que le foot peut jeter entre les nations (récentes rencontres Turquie/Arménie), il admet que l’organisation dirigée par Sepp Blatter ne peut pas tout. D’ailleurs, elle n’a pas toujours été exempte de tout reproche notamment vis-à-vis de l’Afrique du Sud et de son régime d’apartheid ou encore de certaines dictatures sud-américaines ou africaines.

Concernant le volet économique, hormis les rapports étroits entretenus entre football et médias, Jean-François Nys évoque les autres acteurs ont investi ce sport : les entreprises par le biais du sponsoring de clubs ou de joueurs (BWIN et le Real ; David Beckham et ses 25 millions d’euros de revenus publicitaires), de compétitions (Adidas, Coca-Cola pour la coupe du monde), de stades avec le développement du naming (l’Emirates stadium d’Arsenal). A noter le cas particulier du FC Barcelone, présidé par Juan Laporta, qui reste le seul club européens de haut niveau sans sponsor maillot, le club ayant décidé d’offrir cet espace à l’UNICEF, illustrant en cela les propos du président : « gagner et avoir une âme n’entrent pas en contradiction avec le fait d’être solidaire ! » Intervenants plus discrets mais omniprésents, les agents sportifs, au nombre de 3 000 en Europe selon Jean-François Brocard, servent d’intermédiaires entre joueurs et clubs, de facilitateurs, d’informateurs rémunérés par leurs clients mais parfois aussi, mais illégalement, par les clubs. Le football est donc devenue une activité économique, certes d’un poids relatif, les clubs n’étant au mieux que de grosses PME, mais, de par sa nature particulière, le besoin d’équité, la nécessité d’une concurrence réelle, nécessite, et les voix se multiplient pour la demander telle celle de Michel Platini, une régulation appelée par les uns fair-play financier, par d’autres DNCG européenne ou copiée sur les ligues professionnelles américaines (Salary cap). Néanmoins, les obstacles à sa mise en place sont légions, en provenance des grands clubs mais aussi à l’intérieure des institutions du football.

La diffusion quasi-mondiale du football cache de profondes inégalités soulevées par Jacques Soppelsa et Paul Le Guen à propos du continent africain. Chacun a sa façon évoque le « mal développement » du foot africain (manque de ressources, d’infrastructures, de techniciens compétents, fléau de la corruption) mais aussi le « muscle drain » soit le départ des joueurs africains sous des cieux plus rémunérateurs. L’ancien entraîneur du PSG confirme et aborde cette situation à plusieurs échelles : gouffre séparant l’Europe de l’Afrique à tous les niveaux, et plus concrètement au niveau des compétitions nationales et continentales, abysse disloquant le continent entre un groupe de ténors (Egypte, Afrique du Sud, Tunisie voire Cameroun) et les autres.

L’Afrique du Sud justement a obtenu en 2004 le droit d’organiser la coupe du monde 2010. Cette reconnaissance pour le continent africain ressemble à une course de fond car cette victoire est aussi celle du Maroc, premier pays africain candidat à l’organisation, celle des fédérations africaines dont le poids est allé croissant au sein de la FIFA, appuyé par Sepp Blatter, initiateur de la rotation continentale de l’événement, et bien sûr celle de la nation arc-en-ciel, qui après un étrange échec pour l’édition 2006, a obtenu « réparation » pour celle de juin 2010. Une telle nomination oblige l’Afrique du Sud et la FIFA à réussir cette première coupe du monde africaine. Pour cela, les uns et les autres ont réalisé un travail de fond que décrit Jérôme Champagne; la FIFA en engagé des fonds pour moderniser infrastructures et compétitions sur le continent tandis que l’Afrique du Sud a amélioré ses infrastructures de transport et mis l’accent sur la sécurité de l’événement.

Le mélange d’auteurs d’horizons différents est une heureuse initiative et ceux-ci font tous à leur façon un état des lieux du football actuel. La désignation de la France pour l’Euro 2016 ne fait que rendre plus crédible une partie des propos des contributeurs : une désignation entachée pour la délégation turque d’incertitudes sur le résultat représentant le 3ème échec de rang pour la Turquie et l’on comprend bien toute la portée géopolitique de la désignation ou non de la Turquie ; présence de Nicolas Sarkozy pour emporter la décision ; question des stades pour la France donc une question de finances mais aussi de chantiers pour les BTP ; question des droits télévisés pour une premier euro à 24 équipes qualifiées…
On pourra peut-être reprocher à l’ensemble d’être un peu trop optimiste et de n’aborder que la facette politiquement correcte de la FIFA.