Aujourd’hui, la gestion des forêts tropicales est un enjeu majeur. Elles représentent la moitié des forêts de la planète et 80 % de la biodiversité terrestre. Élément important de la régulation du climat par le stockage du carbone , elles jouent un rôle important pour la préservation des sols, la régulation des réseaux hydriques, mais elles disparaissent rapidement (plus de 400 Mha dans les 30 dernières années), transformées en terres agricoles, en pâturages ou en plantations industrielles, au détriment des populations locales.

Dès 1992, la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement alertait sur la nécessité de préserver et de conserver les forêts tropicales. Faut-il les sanctuariser ou mettre en place une gestion raisonnée des forêts tropicales ?

C’est à cette question que Plinio SistDocteur en biologie tropicale, est directeur de l’Unité de recherche « forêts et sociétés » du Cirad. Il est écologue forestier avec plus de 25 ans d’expérience en Amérique du Sud (Brésil, Équateur, Pérou, Costa Rica) et en Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie). Il a publié en 2021 Vivre avec les forêts tropicales. cherche à répondre. Il propose un bilan de l’impact de l’exploitation de bois d’œuvre des forêts tropicales.

Les forêts tropicales

Ce premier chapitre est une présentation des forêts tropicales, leur diversité dès qu’on s’éloigne de l’équateur, en fonction de la pluviométrie. Ce sont des écosystèmes très riches en espèces végétales et animales.

« On a dénombré sur une parcelle de forêt de 1 ha, en Amazonie péruvienne au pied des Andes, plus de 300 espèces d’arbres. Les forêts françaises les plus riches en recensent rarement plus de 20 ! »p. 10

Elle varient en fonction de l’altitude, de la capacité des sols à retenir l’eau, de la salinité (mangroves).

Ce réservoir de biodiversité rend des services environnementaux inestimables. Leur potentiel pharmaceutique est encore largement inconnu. C’est un lieu ressource pour les communautés qui y vivent. C’est une ressource en bois, bambous, et autres produits comme le latexEncart sur le caoutchouc p. 16-17..

L’auteur insiste sur leur rôle dans le cycle de l’eau et la protection du climat.

« Les forêts tropicales renferment plus de la moitié (55 %, soit 471 milliards de tonnes) du stock de carbone des forêts de la planète, l’équivalent d’environ 40 ans d’émissions de CO 2 liées aux activités humaines (utilisation des combustibles fossiles et production de ciment) ».p. 19

Un paragraphe est consacré à l’histoire, ancienne, de l’exploitation des forêts tropicales, des premières traces vers – 20 000 ans en Amazonie aux agroforêts à dammar en Indonésie ou à caféier en Éthiopie. La déforestation s’amorce au début du XXe siècle avec une expansion des terres agricoles et l’exploitation du bois.

L’exploitation sélective des forêts tropicales

Selon les objectifs de gestion : préservation de la ressource, production de bois, protection des communautés autochtones, les pratiques sylvicoles seront très diversifiées et adaptées aux types de forêts et de plantations.

Après un bref historique de la foresterie tropicale depuis la fin du XIXe siècle qui avait comme objectif une production soutenue de bois, l’auteur définit les principes d’une exploitation sélective. Elle vise à récolter les arbres matures les plus gros, ayant un intérêt commercial et à permettre le maintien de la régénération naturelle. La conservation d’une grande partie de la canopée préserve les fonctions de la forêt : la régulation du climat, la filtration de l’eau et la préservation des sols. En 2022, 4,1 Mha de forêts tropicales naturelles ont été exploités de façon sélective.

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Dans la forêt tropicale, la durée de rotation varie de 20 à 35 ans. Cette forme d’exploitation concerne un très faible nombre d’arbres, les essences varient selon les régions.

7 à 12/ha en Asie du Sud-Est, 4 à 7/ha en Amazonie, et rarement plus de 2/ha en Afrique centrale.

L’auteur décrit le travail d’exploitation sélective en forêt : avant la coupe, le délianage pour assurer la sécurité du bûcheron et limiter les dégâts aux arbres avoisinants, après la coupe, la sélection des essences à favoriser. Il est possible d’implanter des plantules d’arbres d’espèces commerciales dans les ouvertures d’abattage, activité peu pratiquée.

Les essences de bois recherchées, en Amazonie et en Afrique centrale sont celles destinées au sciage et au déroulage (contreplaqué). Certaines sont aussi recherchées pour les produits non-ligneux, comme l’andiroba pour ces graines dont on extrait une huile médicinale.

Statut des forêts tropicales de production dans le monde

En 2020, la FAO estimait que l’exploitation sélective concerne potentiellement plus de 680 Mha de forêts tropicales humides, soit environ 1/3 des forêts tropicales du monde. Le plus souvent, elles sont propriété des États, les plantations sont très minoritaires. L’auteur aborde une question difficile à évaluer, l’exploitation illégale, un obstacle à la gestion durable des forêts tropicales.

Des chiffres sur la place des bois tropicaux sur le marché international montrent le rôle de la Chine sur ce marché. D’autre part, le secteur forestier occupe une place importante dans l’économie de nombreux pays tropicaux, par exemple au Cameroun, le secteur forestier contribue à hauteur de 5 % du PIB.

L’impact de l’exploitation

Ce chapitre permet de définir l’exploitation à faible impact, et les études de suivi de cette pratiqueArticle du site The Conversation : Dans les forêts tropicales, des observatoires pour évaluer l’impact de l’exploitation du bois.

Les différentes étapes de l’exploitation, le tracé de route, l’abatage, le débardage, ont des impacts spécifiques sur le peuplement forestier, comme l’érosion des sols, les dégâts sur les arbres voisins qui affaiblissent mes arbres, mais aussi des puits de lumière qui favorisent la régénération naturelle du couvert forestier.

Des études visent à évaluer les impacts à long terme, comme le réseau TmFOEncart p. 53-54.

Elles montrent que l’intensité d’exploitation et des dégâts associés, est déterminante dans les processus et dans la vitesse de reconstitution de la production de bois et de la biodiversité. Le percement de routes a des effets certains sur la faune : perturbation, pression de la chasse et augmentation du braconnage. Les atteintes sur la faune peuvent nuire à la régénération forestière en limitant la dispersion des graines.

L’auteur aborde ensuite les impacts sociauxSur ce thème, on pourra se reporter à cet ouvrage : Habiter la forêt tropicale au XXIe siècle, Geneviève Michon, Stéphanie M. Carrière, Bernard Moizo (dir.), Marseille, IRD Éditions, 2019, entre intérêt économique, création d’emplois, mais aussi attentes aux droits des communautés forestières.

La durabilité en pratique

Si le terme est très actuel, le souci est beaucoup plus ancien. Le premier Code forestier français date de l’ordonnance de Brunoy édictée le 29 mai 1346, par Philippe VI de Valois. La définition qu’en donnent les Nations unies est la suivante :

« La gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés, d’une manière et à une intensité telle qu’elles maintiennent leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes aux niveaux local, national et mondial ; et qu’elles ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes. »

p. 67

 

Ce chapitre aborde la durabilité selon le rôle de la forêt. La durabilité de la production de bois impose de revoir les régimes d’exploitation actuels.

La gestion confiée à une entreprise privée, souvent dans des régions enclavées donne beaucoup de pouvoir économique, politiqueL’entreprise remplace l’État dans la construction d’infrastructures comme les routes, les transports, parfois les écoles et les dispensaires. à l’entreprise. Les contraintes économiques sont un obstacle à la durabilité économique de l’exploitation. Le système de concession peut être amélioré par un suivi plus grand.

L’auteur développe l’idée d’une foresterie sociale, une exploitation gérée de façon autonome et durable par les populations locales. Il donne un exemple en Amazonie brésilienne. La gestion communautaire des forêts est sans doute à développerUn exemple au Guatemala, encart p. 81-82 , mais la faiblesse des capacités d’investissement, les difficultés d’accès aux marchés et la connaissance insuffisante de leur fonctionnement constituent des obstacles majeurs au succès économique de ce type de gestion.

La demande croissante de bois, à l’échelle mondiale, impose , à côté d’une exploitation raisonnée des forêts naturelles, de développer des sources alternatives de production de bois. Il s’agit de miser sur la restauration des paysages forestiers, là où ils ont été fortement dégradés, une restauration écologique des écosystèmes. Les engagements chiffrés sont réels, mais la réalité de terrain est complexe. La plantation d’arbres ne suffit pas et la mobilisation des populations indispensable.

Deux solutions existent : la « restauration active », consiste soit à planter des arbres et la « restauration passive » qui compte sur la capacité des écosystèmes forestiers à se régénérer par eux-mêmes. Elles ne s’opposent pas, mais se complètent.

L’ouvrage se termine sur le rôle des instances internationales : normes, marché carbone.

 

Un éclairage très abordable pour le non-initié.