Gérard de Vecchi, maitre de conférences en sciences de l’éducation et formateur d’enseignants, a écrit de nombreux livres autour de la pédagogie. Parmi ses ouvrages, on peut citer « Aider les élèves à apprendre » ou « Une banque de situations-problèmes tous niveaux ». Il est aussi directeur de série de manuels scolaires. Il publie aujourd’hui deux livres qui peuvent se lire individuellement, ou à la suite. Son objectif est de développer l’esprit critique chez les élèves.

Les ouvrages de cette collection « Pédagogies » chez ESF offrent une mise en page claire avec quelques petits encarts de synthèse et une présentation, parfois sous forme de liste, qui s’avère très pratique. Les deux ouvrages sont accompagnés de bibliographie et sitographie.

Qu’est-ce que l’esprit critique ?

Gérard de Vecchi précise d’abord différents aspects théoriques. Il y a, y compris dans ce volume 1, la volonté de la part de l’auteur d’illustrer par des exemples les principes qu’il met en avant. Des petits encarts intitulés « pour entrer dans le sujet » constituent l’amorce des chapitres. La première nécessité est de bien savoir de quoi on parle. Le point initial et fondamental est de faire comprendre à l’élève que l’esprit critique, ce n’est pas la critique systématique. De plus, l’esprit critique, c’est un peu comme la prise de notes parfois : tout enseignant pense qu’un autre l’a fait et finalement personne ne s’en charge.

Esprit critique, formation du citoyen et éducation aux médias et à l’information

Cette nécessité d’une approche critique doit être sous jacente à tout enseignement car, si le but est de former notamment un citoyen éclairé, difficile de laisser l’esprit critique de côté. A plusieurs reprises dans les deux ouvrages, Gérard de Vecchi aborde ce qu’on pourrait rassembler autour de l’EMI. En effet, dans des sociétés où les médias sont très influents, il faut éduquer à un regard distancié. A la page 47, Gérard de Vecchi, s’appuyant sur les travaux de Christian Balicco, dénonce les « artifices de l’imposture », c’est-à-dire les moyens qu’utilisent certains politiques dans leurs discours. De cette liste très utile, on peut extraire « l’effet cigogne », soit une confusion entre corrélation et causalité, ou le « syndrome de Galilée » ce qui signifie que toute personne qui adhère à une pseudo-théorie la « considère presque toujours comme révolutionnaire, et en outre s’estime persécutée si on la contredit. »
Dans la troisième partie du volume 1, l’auteur propose des pistes avec tout un travail sur les rumeurs. Il cite ce cas, qui avait été un peu médiatisé, d’un professeur qui avait piégé ses élèves sur Internet.

Un état d’esprit, une culture

Il s’agit de développer une compétence et cela ne peut se faire que progressivement. Cela implique aussi de la part de l’enseignant un changement de posture. Par exemple, on peut commencer déjà par parler d’erreurs et non de fautes. Il faut développer une culture du questionnement ou utiliser dès que possible des situations-problèmes. Reprenant certains de ses travaux antérieurs, Gérard de Vecchi livre d’ailleurs un mémo très utile sur les caractéristiques d’une situation problème à la page 124. On comprend pourquoi l’esprit critique n’est pas toujours sollicité, car certains enseignants sont davantage dans des postures uniquement de transmission et non de construction par les élèves. Parmi les outils à disposition des enseignants, il faut insister sur le rôle de l’étude de cas qui permet une discussion. Il faut « éveiller la curiosité » comme le dit le titre du chapitre 9. Il ne faut pas confondre non plus faire parler les élèves et les faire s’exprimer. L’auteur plaide donc pour que l’on cesse les faux questionnements et les devinettes permanentes. Il propose également de travailler sur les idées reçues. Il invite à travailler l’argumentation et donne un exemple avec la peine de mort et un chapitre sur le débat, particulièrement utile dans la logique de l’EMC. Il donne des cas très concrets aussi avec la question d’un débat possible sur le développement durable.

Des activités et des supports très variés

Dans cette troisième partie du volume 1, l’auteur développe encore d’autres pistes. Il propose un travail autour de Nutella. Il invite aussi à débattre sur « religions et créationnisme ». Parmi les autres points à travailler, il faut lutter contre les stéréotypes et, en cette matière, des exemples sont proposés dans de nombreux domaines. Il faut souligner combien tous les exemples traités sont abordés de façon réaliste, c’est-à-dire tout à fait transférables en classe après une adaptation par chacun. Il s’agit donc d’offrir des exemples et des idées de situations pédagogiques.

Du côté des disciplines

Dans le deuxième volume, Gérard de Vecchi choisit d’entrer par discipline pour montrer comment on peut travailler l’esprit critique dans chaque matière. En seize chapitres, dont plusieurs consacrés à la même matière, l’auteur détaille des propositions concrètes pour faire vivre l’esprit critique. Il traite d’histoire, de géographie, de sciences et, là encore, il fait l’effort de livrer des exemples pour le maximum de niveaux de classe. Il ponctue le tout de quelques documents utilisés ou de compte-rendus que l’on sent tirer d’expérimentations menées durant sa carrière.

Géographie et histoire pour former à l’esprit critique

Deux chapitres lui sont consacrés avec une activité à la fois « classique », mais toujours nécessaire, sur les cartes. Les projections déforment la réalité et il est bon de rappeler que l’Inde s’étend sur 3,3 millions de km2 et la Scandinavie 1,1 million seulement, ce qui est parfois difficilement croyable quand on voit certains planisphères. Un autre chapitre prend comme exemple «  l’eau représente le pétrole de la Turquie ». C’est une question ouverte qui oblige à « reformuler une problématique ». Gérard de Vecchi pointe ensuite ce que vont devoir découvrir les élèves. Il plaide également pour une façon de faire de l’histoire, c’est-à-dire de façon vivante. Rien que le sous-titre du chapitre résume l’esprit de la démarche en proposant aux élèves de « devenir un détective du passé ». Il insiste aussi sur le fait qu’il faut s’emparer des « questions socialement vives ».

 

Du côté des arts

L’approche par les arts doit permettre d’éviter deux écueils : soit la sacralisation, soit le dénigrement. Il ne faut pas hésiter à aller avec les élèves vers toutes sortes de questions. Ainsi, on peut s’interroger avec eux sur comment un objet devient une oeuvre d’art ? Il plaide pour parler de l’art contemporain : « l’expérience visuelle, auditive et intellectuelle de la collectivité doit être vécue comme une richesse ». Gérard de Vecchi livre une proposition de démarche pour une analyse critique de tableau. Ces deux pages se veulent très pratiques. Il ne faut pas limiter son approche à la peinture, mais aussi faire se confronter les élèves à la musique.

Même les sciences dures !euros. 

Poursuivant son tour d’horizon des matières, l’auteur aborde les mathématiques. Ici l’auteur insiste sur le fait que les exercices donnés aux élèves doivent avoir du sens. Il délivre quelques principes, qu’on espère de bon sens. Ainsi, il ne faut pas tout confondre car « une conception classique consiste à penser qu’une activité dans laquelle on pose une question est un exercice et que, lorsqu’on pose un certain nombre de questions successives, cela devient un problème ». Résoudre un problème, c’est « inventer un chemin possible ». Ce chapitre offre une déclinaison de la maternelle au lycée. L’autre chapitre consacré aux mathématiques est aux frontières de l’EMI car il invite à se méfier des graphiques ou des sondages. Les sciences aussi doivent être en débat. Pour cela Gérard de Vecchi conseille d’utiliser l’histoire des sciences car il y a eu des débats autour de points qui semblent évidents aujourd’hui. Un chapitre est intitulé « les activités expérimentales passées au crible ».

Discuter l’orthographe et philosopher

Il n’est pas nécessaire d’attendre la terminale pour faire philosopher les élèves. L’auteur propose des déclinaisons pour la philosophie à tous les âges. Il invite également à travailler avec d’autres matières, comme l’histoire, en prenant l’exemple du procès Eichmann.
L’exercice de la critique littéraire doit être autre chose qu’un exercice de style. De même, il consacre quelques pages à la « querelle » sur la simplification de l’orthographe qui a ressurgi récemment. Parmi les arguments qu’on entend souvent, il faut bien insister, selon lui, pour dire que l’étymologie n’est pas la réponse car il y a 3 000 mots dont l’étymologie est douteuse. Il règle aussi son compte à la question des règles d’orthographe en montrant comment trop souvent on privilégie l’apprentissage de l’exception au détriment du cas ultra-majoritaire. Sait-on, par exemple, que le mot apetisser a une chance seulement sur 78 000 d’apparaître dans une dictée !

On lira avec profit ces deux ouvrages à la suite. Si l’on est pressé, ou déjà convaincu, on aura tendance à privilégier le deuxième volume, mais il serait dommage de négliger la troisième partie du volume 1 qui offre aussi des pistes pratiques. Gérard de Vecchi privilégie l’exemple ce qui permet de voir concrètement comment faire et de se rendre compte que c’est faisable. Il offre le maximum d’exemples dans le plus de niveaux possibles. Former à l’esprit critique est peut-être finalement la mission sous-jacente de toute éducation scolaire : aider à penser, à réfléchir aussi sans le professeur. Un ouvrage à conseiller.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes