Bientôt la rentrée et, pour leur première fois ou comme chaque année, les enseignants s’interrogent pour savoir comment bien commencer l’année avec leur(s) classe(s). A cette question, Audrey Murillo, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation et de la formation à l’Ecole nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (Toulouse) apporte des réponses claires et argumentées. Ses recherches portent sur les enjeux des interactions entre enseignants et élèves en début d’année scolaire. L’objectif du livre est donc d’être très concret et de donner des pistes utiles. Il comprend des témoignages et des focus sur certains aspects.
Un moment vu comme décisif par tous les enseignants
Dans sa préface, André Tricot dit d’emblée que ce livre est celui qu’il aurait aimé lire quand il a commencé. Il cite l’auteure lorsqu’elle dit : « S’il n’existe pas de recette qui fonctionnerait systématiquement, il y a bien des ingrédients et des principes qui ont plus de probabilités que d’autres d’avoir des effets positifs ». Que l’on soit expérimenté ou non, le premier contact est vu comme essentiel. « Notre propos se centrera sur les dimensions pédagogique et éducative, qui sont communes aux enseignants des différentes disciplines » et il ne s’agit donc pas d’entrer dans le détail des matières.
Une méthode
L’ouvrage d’Audrey Murillo est le fruit de recherches et de témoignages. L’un n’est pas supérieur à l’autre et, si on peut parfois se fier à ses intuitions, on peut aussi être trompé par elles. Quand on est face à un problème, on a alors parfois tendance à chercher une réponse définitive et tranchante. L’essentiel, en tout cas, c’est de se construire une culture professionnelle qui doit se caractériser par le fait qu’on s’interroge et qu’on se questionne. Parmi les grands principes tout de suite mis en évidence, il y a le fait que les élèves s’engagent s’ils prennent plaisir et si les situations de classe sont cadrées par des principes qu’ils considèrent comme acceptables.
Quelle relation engager avec les élèves ?
L’auteure aborde clairement des questions que les jeunes professeurs se posent en commençant par la question de l’attitude à adopter. Audrey Murillo souligne que les études montrent que les enseignants experts, entendons par là les enseignants les plus performants si on peut dire, sourient beaucoup en tout début et en fin d’année. Sourire en début d’année correspondrait à la volonté d’établir un climat chaleureux et c’est bien cela qu’il faut retenir. Elle insiste aussi sur l’importance de la considération qui doit s’établir entre le professeur et les élèves, mais aussi sur le degré de proximité entre l’enseignant et les élèves. Celle-ci peut être verbale ou non verbale comme le montre le fait de se déplacer dans la classe. La proximité n’est pas la camaraderie. L’auteure évoque les travaux de Maël Virat qui a montré que la relation affective doit être asymétrique et responsable.
Comment installer un cadre de travail ?
Autrement dit, faut-il être dur au début pour pouvoir être souple ensuite ? Audrey Murillo souligne que l’enseignant doit avoir réfléchi en amont du premier cours à ce qu’il comptait faire. Lors de la première rencontre, il vaut mieux expliciter quelques règles fondamentales plutôt que de dérouler une liste que personne ne retiendra de toute façon. Il faut poser des limites raisonnables et ne pas oublier qu’après un temps d’observation de la part des élèves, des tentatives de remise en cause peuvent surgir. « L’autorité et le cadre de travail ne peuvent être le résultat de l’unique volonté de l’enseignant ». Il faut avant tout être mesuré et constant dans l’application des règles de départ.
Que faut-il attendre des élèves pour les aider à progresser le mieux possible ?
Il s’agit ici de passer en revue quelques effets bien connus comme l’effet Pygmalion. Une présentation rapide permet d’en dire l’essentiel et de se rappeler qu’il se produit dans certaines conditions et que sa puissance et sa fréquence doivent être relativisées. Le chapitre insiste aussi sur les effets des attentes des enseignants sur les élèves.
Qu’est-il utile de savoir de ses élèves ?
On trouve ici une très intéressante mise au point sur un classique du début d’année, la fiche de renseignements remplie par l’élève. On note d’abord qu’il y a de nombreuses formes possibles avec des questions plus ou moins personnelles. On peut argumenter positivement en disant que, en faisant ceci, un professeur cherche à mieux connaitre ses élèves. En même temps, ne risque-t-il pas de se faire gagner par certains biais selon les réponses fournies par les élèves ? En plus, on s’aperçoit que la fiabilité des réponses est à prendre avec distance. Enfin, ce qui est particulièrement intéressant, ce sont les résultats d’enquêtes auprès des élèves sur ces fiches : 58 % d’entre eux sont ennuyés par l’image qu’elle peut renvoyer à l’enseignant à travers les informations fournies.
Comment tenir sur la durée ou changer de cap ?
Les premières séances sont, on l’a dit, des temps d’observation. A ce stade les élèves s’attachent à des éléments comme les vêtements portés par l’enseignant. Dans un deuxième temps, ce sont des phases de test : c’est le moment où celui-ci ne doit pas s’en tenir à des propos énoncés mais à des actions concrètes. Il ne faut pas oublier tout ce qui se passe ensuite et plusieurs études montrent que rien n’est définitif dans la relation enseignants-élèves.
En conclusion, Audrey Murillo reprend certains des principes et conseils distillés tout au long du livre : être bienveillant par exemple ne signifie pas être laxiste. Il faut établir une relation de qualité car d’elle beaucoup de choses découlent. Cet ouvrage réussit donc à dire l’essentiel de ce qu’il faut savoir, tout en remettant en cause parfois la validité de certaines habitudes établies. Surtout, l’auteure n’établit pas de séparation ou de classement entre le terrain et la recherche car chacun a besoin de l’autre. Certains en doutent-ils encore ?
Jean-Pierre Costille