L’histoire de « La France contemporaine » du Seuil, une collection maltraitée éditorialement ?

Les éditions du Seuil ont eu la volonté de faire une histoire de « La France contemporaine » afin de renouveler l’aventure éditoriale de la « Nouvelle Histoire de la France Contemporaine » (NHFC), soit 40 ans après cette dernière. Cette nouvelle édition est publiée d’abord en broché dans la collection « L’Univers historique » en 10 volumes sous la direction de Johann Chapoutot et rédigé par une nouvelle génération de 10 historiens « trentenaires ou quadras ». Les éditions du Seuil ont publié les trois premiers volumes en octobre 2012 :

Aurélien Lignereux, tome 1-L’empire des Français (1799-1814), Bertrand Goujon, tome 2-Monarchies postrévolutionnaires (1814-1848), Quentin Deluermoz, tome 3-Le Crépuscules des révolutions (1848-1871). Ils sont tous trois réédités dans la collection de poche du Seuil « Points Histoire », en août 2014. De 2013 à 2015, à raison d’un tome par an, La collection brochée du Seuil « L’Univers historique » a continué la publication avec Ludivine Bantigny, tome 10-La France à l’heure du monde (1981 à nos jours) en novembre 2013, Jean Vigreux, tome 9-Croissance et contestation (1958-1981) en janvier 2014, Arnaud-Dominique Houte, tome 4-Le Triomphe de la République (1871-1914) en octobre 2014 et Jean-Michel Guieu, tome 5-Gagner la paix (1914-1929) en novembre 2015. Puis, pendant trois ans, arrêt soudain et totale de la publication de la collection sans explication de l’éditeur jusqu’à la parution en janvier 2018, en « Points Histoire », des tomes 4 et 5 puis en avril 2018 des volumes 8 et 9 ainsi que du tome 10, en juin 2019. Mais l’ouvrage de Jenny Raflik, tome 8-La République moderne ? (1946-1958) constitue un inédit en paraissant directement en poche. Dès lors, quid des deux derniers tomes de la collection initialement écrit par Johann Chapoutot, tome 6-La République des expériences (1929-1940) et Alya Aglan, tome 7-Vichy contre la République (1940-1946) ? La réponse nous est donnée en novembre 2023 avec la publication en format poche « Points-Histoire » de la synthèse de Renaud Meltz, de l’inédit tome 6-La France des années 1930. Les épreuves de la République (1929-1940). Quant au tome 7-Vichy contre la République (1940-1946), il devrait probablement sortir en poche sous la forme d’un inédit également en étant rédigé par Julie Le Gac. La collection  sur l’histoire de « La France contemporaine » aurait dû être la réponse des éditions du Seuil à la collection « Histoire de France » des éditions Belin qui fut à la fois une réussite éditoriale et universitaire amplement méritée avec une version brochée puis compacte et enfin de poche dans la collection « Folio-Histoire » en 2019. Or, la qualités des auteurs et du contenu des 7 premiers tomes de la collection permettaient aux éditions du Seuil de nourrir de belles ambitions éditoriales mais les effets d’une publication chaotique ont eu raison de son impact dans le monde de l’édition et universitaire…

À l’origine des années 2010, l’ambition de cette histoire de « La France contemporaine » des éditions du Seuil était d’offrir au plus large public les conclusions des travaux novateurs qui ont profondément renouvelée et enrichie l’histoire de France de ces dernières années. L’histoire du genre et des femmes, l’histoire de l’empire colonial français et celle des relations internationales sont venues décentrer le regard, qui ne sera pas franco-français, ni parisiano-centré. Les auteurs ont en effet été très attentifs à étudier les phénomènes de l’histoire de France sur la totalité du territoire métropolitain. Les processus longs (industrialisation, urbanisation, tendances électorales, etc.) ont été également ressaisis, à travers des études de cas, dans une perspective réellement nationale qui a fait la part belle aux régions. Les auteurs de la collection ont été également soucieux de multiplier les comparaisons internationales, pour mieux évaluer et qualifier les processus qui ont affecté ou animé la France : cette dernière, dès lors, n’est plus un objet circonscrit et isolé mais bien une histoire connectée, qui a dû être écrite à la lumière de phénomènes plus englobants européens, occidentaux, mondiaux.

Renaud Meltz : un pur produit de l’université française au parcours atypique (de Mulhouse à Tahiti)

Né en 1973, âgé de 50 ans, Renaud Meltz, agrégé d’histoire à 26 ans (1999), a soutenu une thèse d’histoire contemporaine à la Sorbonne en 2005, consacrée à l’écrivain diplomate Saint-John Perse, Le mage et le régent. Alexis Léger (1887-1975), à 32 ans. Sa thèse a été publiée en 2008 aux éditions Flammarion sous le titre Alexis Léger, dit Saint-John Perse et distinguée par l’Institut (Prix Maurice-Baumont 2008). Ancien pensionnaire de la Fondation Thiers (2004-2006), il a été élu en 2007 maître de conférences à l’Université de la Polynésie française, où il s’est intéressé à l’histoire des rivalités impériales en Océanie au XIXe siècle et à l’émergence d’une opinion publique actrice des relations internationales. Telle était la matière de son Habilitation à diriger des recherches (HDR), soutenue en 2015 à Sciences- Po, à 42 ans. Après une délégation au CNRS (2011-2013), il a participé à la création en janvier 2017 de la première Maison des Sciences de l’Homme ultra-marine, la MSH du Pacifique (USR 2003).

De 2017 à 2022, il a été professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Haute-Alsace (Mulhouse), où il a dirigé le CRÉSAT (UR 3436), laboratoire pluridisciplinaire (histoire, géographie, droit, histoire de l’art, etc.) de 2018 à 2021. Après avoir été membre senior de l’Institut Universitaire de France (IUF) en 2020, il est devenu en tant qu’historien détaché au CNRS (fin 2022) directeur de recherche au CNRS, chargé du SOSI (Suivi Ouvert des Sociétés et de leurs Interactions) dans le cadre de l’Observatoire des héritages du CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique), rattaché à la MSH du Pacifique, UAR 2503, CNRS-UPF. Ses publications portent principalement sur l’histoire politique et culturelle de la France. Sa biographie de Pierre Laval. Un mystère français, Perrin, a été distinguée par le Prix Maurice-Baumont (2019). De plus, il a co-dirigé des ouvrages sur les Écrivains et diplomates. L’invention d’une tradition, XIXe-XXIe siècles, Armand Colin, 2012 et l’Europe centrale (De part et d’autre du Danube. L’Allemagne, l’Autriche et les Balkans de 1815 à nos jours, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, 2015). À la confluence de ses travaux sur l’impérialisme européen en Océanie et ses travaux sur la politique française au XXe siècle, il a fini une vaste publication collective, issue d’un programme de recherche qu’il pilotait depuis 2018 sur les essais nucléaires français dans le Pacifique : Des bombes en Polynésie. Les essais nucléaires français dans le Pacifique (De 1962 à nos jours), paru en 2022 chez Vendémiaire. Enfin, en juillet 2023, il a achevé une synthèse pour la collection « La France contemporaine » des éditions du Seuil (La France des années 30).

Les épreuves de la République (1929-1940), une lecture renouvelée de la France des « Années 1930 » ?

Les éditions du Seuil, dans son format poche « Points-Histoire » et pour le compte de la collection « Nouvelle Histoire de la France Contemporaine » (NHFC), avait édité, en 1976, le tome 13 d’Henri Dubief intitulé Le déclin de la IIIe République (1929-1938). Avant la mort d’Henri Dubief (en 1995), l’ouvrage de ce dernier avait été entièrement refondu et en grande partie inédit, en 1989, avec les signatures d’Henri Dubief et Dominique Borne, sous le titre La crise des années 30 (1929-1938), montrant l’évolution historiographique sur la période. Toujours concernant cette dernière, une nouvelle étape est franchie avec l’ouvrage de Nicolas Beaupré, aux éditions Belin, titré Les grandes guerres (1914-1945), publiée en 2012 (pour la version brochée) et comportant 1144 pages. La version de poche de la collection « Folio-Histoire » (1382 pages !), paru en 2019, a fait l’objet de rajouts bibliographiques en tenant compte des avancées historiographiques entre 2012 et 2019.

Dix ans après Nicolas Beaupré [1], l’ouvrage de Renaud Meltz [2] est ainsi donc la dernière synthèse en date sur la période de la France des années 1930. Fort de 640 pages, il comprend une introduction générale (15 pages), 4 parties, 13 chapitres (7 chronologiques et 6 thématiques), une bibliographie (de 50 pages), un index (10 pages) et des remerciements (2 pages). Au passage, il est à noter que les notes infrapaginales voire les permaliens font leur retour dans le cœur du texte. De plus, une des grandes forces de cette synthèse est d’être la dernière en date et, par conséquent, d’avoir une bibliographie la plus récente sur le plan historiographique. Enfin, chacune des quatre parties débute avec une introduction, systématiquement, en présentant les différents chapitres. Concernant l’inexistence des annexes (cartes, tableaux, chronologie etc…), ce fait est à imputer à l’éditeur du Seuil par économie et quant à l’absence de conclusions (générale et de parties), cela est due à l’auteur lui-même considérant que c’est au lecteur de tirer ses propres conclusions au vu des faits apportés par l’historien. Bien que nous respections le choix de Renaud Meltz pour la confiance qu’il met dans le lecteur, nous ne pouvons partager son optimisme dans la mesure où les médias actuels veulent nous vendre à l’envi une vision anxiogène de la France des années 1930 se répétant inexorablement dans l’actualité d’aujourd’hui !

Dans sa longue introduction de 15 pages, Renaud Meltz s’interroge sur l’étrange fascination des Français d’aujourd’hui pour les années 1930 en France (Éternel retour ?). Dès lors, à l’instar d’un manifeste, l’auteur en appelle au retour au temps long (Faire l’histoire des années 30 avec ou contre leur mémoire ?) pour que les Français se détachent du mythe de l’éternel retour et que l’historien fasse un autoportrait des années 1930 (décadence ou nouveau monde ?) où, déjà, les contemporains considéraient leur époque soit comme décadente ou comme un renouveau avec un après-guerre (1929) oscillant entre une victoire évanouie et une paix menacée puis un avant-guerre (1939) coincé entre l’anticipation d’une catastrophe et le laboratoire d’un nouveau monde en devenir. Mais les années 1930 sont aussi et surtout, selon l’historien, l’éternel retour de la crise de la modernité et de la démocratie libérale. Cette introduction est fondamentale pour comprendre l’état d’esprit dans lequel Renaud Meltz a rédigé sa synthèse.

Les parties I et IV aux (7) chapitres chronologiques

Les chapitres chronologiques, au nombre de sept, sont découpés de manière académique comme le montre la table des matières. Cependant, nous percevons dans ces sept chapitres deux unités de temps dans laquelle nous distinguons la première partie : La démocratie libérale à l’épreuve (1930-1936) de la quatrième et dernière partie : Le Front populaire face aux bellicismes fascistes (1936-1940).

La première partie (p. 25-146) : La démocratie libérale à l’épreuve (1930-1936) comprend les quatre premiers chapitres : chapitres I. Gouverner au centre pour éviter la crise (1928-1934), chapitre II. Le 6 février 1934 : abattre ou réformer la République ?, chapitre III. L’union nationale de Doumergue : l’échec de la réforme de l’État (1934-1935) puis le chapitre IV. La crise : experts et décrets-lois (1935). Renaud Meltz revient avec le chapitre I (p. 29-68) sur l’échec de la gouvernance au centre pour échapper à la crise politique alimentée par une crise de la représentation démocratique et une crise de l’autorité voire de l’efficacité de l’État, avec « L’usure d’une concentration républicaine menée par la droite : Tardieu et Laval (1930-1931) » et la division du deuxième « cartel des gauches » (1932-1933) qui échoue sur la politique étrangère et la crise économique avec un Herriot refusant un contrat de législature (1932-1936) à la droite et une alliance électorale avec les socialistes SFIO. Avec le chapitre II (p. 69-88) intitulé « Le 6 février 1934 : abattre ou réformer la République ? », l’auteur passe « De l’affaire Stavisky à l’affaire Chiappe : un régime corrompu à réformer ou remplacer ? » à l’émeute parisienne « Le 6 février 1934, origine du Front populaire ou de la Révolution nationale ? ». Ensuite, avec le chapitre III (p. 89-122) « L’union nationale de Doumergue : l’échec de la réforme de l’État (1934-1935) », l’historien revient sur « L’union nationale : l’échec de Doumergue puis de Flandin à réformer l’État » et sur « Une troisième voie entre socialisme et libéralisme ? » qui parle de cette génération d’intellectuels non-conformistes constituant la « relève des années 30 » selon l’historien Olivier Dard. Puis, avec le chapitre IV (p. 123-146) titré « La crise : experts et décrets-lois (1935) », l’auteur rappelle la situation financière de la France (moins touchée et plus tardivement que les autres nations européennes par le Krach de 1929 mais ne s’en relevant que plus lentement) ; il définit également l’expert (économique et financier) comme une nouvelle autorité politique ; il revient sur « La déflation par décrets-lois » dû à la politique du cabinet Laval IV qui se révèle être un échec car elle soude le Front populaire et mine le réarmement de la France.

Avec la quatrième et dernière partie (p. 427-564) : Le Front populaire face aux bellicismes fascistes (1936-1940), l’historien termine son ouvrage par trois chapitres allant du Front populaire à la drôle de guerre. Avec le chapitre XI (p. 431-476) intitulé « Le Front populaire, un tournant sans lendemain ? », il rappelle « La constitution du Front depuis la base et Moscou » avec la victoire aux législatives de mai 1936 du Front populaire (composé électoralement des socialistes SFIO, des radicaux et des communistes du PCF) et la constitution du gouvernement Blum I du 4 juin 1936 (sans la présence de ministres communistes)  entre la fête et le désordre puis terminant sur la terrible expression « A l’épreuve du pouvoir » montrant la fin du Front populaire, de l’été 1936 à la pause de février 1937 via les gouvernements Chautemps IV et Blum II. Quant au chapitre XII (p. 477-520) intitulé « La lente fin de l’apaisement (1936-1939), Renaud Meltz remémore au lecteur la chronologie de la politique étrangère et diplomatique de la France durant les années 1930 : « La hantise de la guerre : une approche plus juridique que politique (1936-1937) », « La concaténation des renoncements : Anschluss, Munich et Bohême-Moravie (mars 1938-mars 1939) » et, enfin, le point final : « L’apaisement se termine là où il a commencé : le tournant britannique de mars 1939 ». Le chapitre XIII (p. 521-560), dernier de l’ouvrage et appelé La drôle de guerre : « du somnambulisme au grand soleil » raconte les évènements sous les gouvernements Daladier et Reynaud : « Les pleins pouvoirs : la fin du Front populaire… et du régime parlementaire ? » puis « La déclaration de guerre : Daladier l’emporte sur les pacifistes de son gouvernement » suivi de la constatation « Pas d’union sacrée : Daladier entre les durs de son gouvernement et les pacifistes de l’opposition ». Renaud Meltz termine ce chapitre par la conclusion suivante : « Le gouvernement Reynaud menacé par les pacifistes… et Daladier ».

Les parties II et III aux (6) chapitres thématiques

Les parties thématiques, au nombre de deux, sont concentrées au milieu de l’ouvrage en six chapitres consécutifs comme l’indique la table des matières. Ces deux parties thématiques sont probablement les plus novatrices de l’ouvrage car ces chapitres, en plusieurs dizaines de pages chacun, s’appuient sur l’historiographie la plus récente dans chacun des thèmes abordés. 

La deuxième partie (p. 147-358) « La France en miettes ? Fractures et dynamiques de la société française » comprend les quatre chapitres suivants. Avec le chapitre V (p. 153 à 198), Renaud Meltz revient sur les « Nationalités, population et religion : vieilles fractures françaises » en décrivant un nationalisme assumé mais un eugénisme invisibilisé (« aux sources du transhumanisme »), en revenant sur la question de « Qu’est-ce qu’être français ? » et les ambiguïtés de la naturalisation « pronostics » ainsi que celle « Des religions solubles dans la République ? ». Avec le chapitre VI (p. 199 à 260), il évoque longuement les « Trois sociétés françaises vers l’uniformisation ? » avec une société divisée par les classes sociales et le genre, par des mondes lointains rapprochés par des transformations synchrones comme la culture de masse démocratisant les loisirs (cinéma et BD, presse et publicité, TSF, etc.). Avec le chapitre VII (p. 261 à 322), il évoque les « Forces centripètes, forces centrifuges » de la société françaises des années 1930 avec des institutions républicaines qui démocratisent la société (enseignement secondaire, université et armée), un patriotisme impérial totalement contradictoires (apogée avec l’exposition coloniale de 1931 à Paris, conservatismes avec l’inégalité coloniale ainsi que goût de l’exotisme) et les contestations de l’universalisme républicain (anticolonialisme, autonomie de l’Alsace-Moselle et la naissance de la négritude). Avec le chapitre VIII (p. 323 à 358), l’historien revient sur la longue polémique historiographique qui dure depuis plus de 40 ans sur une « Une France fasciste ? » en revenant sur « Les termes du débat : une controverse qui fait progresser la définition du fascisme ? ». Avec des fascismes français à la France fasciste, c’est l’historiographie qui passe d’un dualisme à un dégradé avec l’exemple du PSF de La Rocque, premier parti conservateur de masse en 1940. Entre le temps long et l’approche transnationale, le refus de la modernité n’est pas le fascisme comme aurait voulu le démontrer l’historien israélien Zeev Sternhell ; avec beaucoup de subtilité tout en étant précis et concis à la fois, Renaud Meltz signe probablement son meilleur chapitre avec une introduction vigoureuse et une conclusion tranchante sur la singularité du PSF de La Rocque, parti de masse conservateur mais républicain et non fasciste.

La troisième partie (p. 359-426) « Une France provincialisée (1930-1936) » comprend les deux chapitres suivants et abordent la politique étrangère et diplomatique de la France des années 1930 de manière thématique. La France n’est plus au centre du monde en dépit de son empire colonial, deuxième derrière celui des Britanniques. Avec le chapitre IX (p. 367 à 392), le biographe d’Alexis Léger revient avec aisance sur « La fin de Briand et le retour au vieux concert européen (1930-1934) » en décrivant le déclin de Briand et de la sécurité collective (1930-1931), la diplomatie du dollar où la France subit l’isolationnisme américain, le retour au concert européen grâce à Paul-Boncour en 1933 et où la question de la continuité ou de la rupture face à l’Allemagne nazie (1932-1934) se pose avec acuité pour la diplomatie française avec le choix de l’affrontement du péril nazi par Barthou. Avec le chapitre X (p. 393 à 426) et « Le tournant de 1935 : apaiser l’Allemagne nazie », Le biographe de Pierre Laval évoque l’arrivée de ce dernier au Quai d’Orsay constituant un tournant majeur (méconnu par l’historiographie jusqu’à la parution de la biographie de Laval par Renaud Meltz) qui consiste à une rupture avec le multilatéralisme de Briand et la politique d’encerclement de Barthou mais aussi avec un choix de la conciliation avec l’Allemagne nazie en 1935 qui débouche fatalement sur une crise du concert européen et son corollaire avec une Allemagne qui se réarme librement.

Une synthèse sur la « France des années 1930 » appelée à faire date ?

En guise de conclusion provisoire, le tome 6 intitulé La France des années 1930. Les épreuves de la République (1929-1940), paru aux éditions du Seuil en novembre 2023, remplace avantageusement chez le même éditeur le tome 13 d’Henri Dubief et Dominique Borne, sous le titre La crise des années 30 (1929-1938), de la collection « Nouvelle Histoire de la France Contemporaine » (NHFC), paru en 1989, autant par son contenu que sur le fond. En revanche, pour la chronologie sommaire et autres documents (tableaux, infographies, cartes, etc.), l’édition de 1989 est à conserver ! Cependant, l’originalité de la synthèse écrite par Renaud Meltz est qu’elle est très accessible et repose sur un triple choix : traiter à parts égales Paris, province et colonies ; accorder toute leur place aux destins individuels des hommes et des femmes ; articuler l’histoire socio-économique, diplomatique et culturelle au récit politique national et international.

Pour appréhender les enjeux de cette période, il convient de s’affranchir de tout regard rétrospectif qui n’envisagerait les événements qu’à la lumière de l’évolution tragique de la fin des années 1930, avec la déflagration de la Seconde Guerre mondiale. Loin d’être une sorte d’« entre-deux », les années 1930 possèdent leur propre cohérence et leur propre dynamique, qu’a illustrées une floraison d’idées réformatrices et d’expériences inédites. Une France nouvelle fut bel et bien en train de s’inventer, malgré les pesanteurs et les conservatismes, qui s’épanouira sous les IVe et Ve Républiques.

En faisant appel à l’historien Renaud Meltz, les éditions du Seuil avaient pour ambition de faire un ouvrage entre 600 et 700 pages accessible au grand public ainsi qu’aux enseignants et étudiants. L’objectif est pleinement atteint mais, à nos yeux, cet ouvrage est complémentaire à celui de Nicolas Beaupré dans la mesure où ce dernier dispose d’une iconographie autrement plus riche (cartes, tableaux, etc.). Malgré ce regret (qui est, selon nous, une lacune énorme), Renaud Meltz a réussi la gageure d’une synthèse qui répond à son objectif de vulgarisation de qualité universitaire et à la lumière des derniers travaux historiographique sur la période 1929-1940, en seulement 640 pages. Les étudiants et les enseignants pourront se plonger avec profit dans ce volume qui nous font apparaître la France des années 1930 sous un jour beaucoup plus contrasté et nuancé.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)

[1] Parmi les autres synthèses couvrant la même période chronologique concernant la France des années 1930, entre autres, nous pouvons ajouter celles de Serge Berstein, La France des années 30, Paris : Armand Colin, 1988 (Cursus), 188 p. ainsi que Serge Berstein & Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle – Tome II. 1930-1958, Paris : Perrin, 2009 (Tempus), 745 p.

[2] La première de couverture est une photo de Tours en 1930, tirée de la collection Bridgeman, qui a été prise du pont de pierre pavé enjambant la Loire et où l’on peut voir l’avenue de la Tranchée dans son ensemble.