« Alors s’assit sur un monde en ruine une jeunesse soucieuse. » (Alfred de Musset, 1836)

La France doit beaucoup au XIXe siècle ! Comment résumer cette centaine d’années qui a tant compté pour la construction d’une nation exsangue après la Révolution et l’épisode napoléonien. Aurélia Dusserre et Arnaud-Dominique Houte, maîtres de conférence en histoire contemporaine ont réalisé l’exploit de synthétiser les bouleversements politiques, économiques et sociaux de cette période si riche autour d’une centaine de documents conçus par Guillaume Balavoine, cartographe indépendant.

Un récit chronologique de 1815 à 1914

Les visages du XIXe siècle sont multiples. Premier moment à populariser le décompte du temps par siècle. La Révolution est perçue comme une rupture pour le meilleur comme pour le pire.

Au lendemain des grands moments historiques, les élites se veulent être de leur temps, conscients des transformations des villes, des transports, des campagnes dues à la modernisation et à la remise en cause des hiérarchies sociales associées. Si l’exposition universelle de 1900 célèbre la modernité triomphante, la conscience « d’une société qui se regarde changer » induit une ambivalence entre nostalgie et foi en l’avenir : le romantisme précède le positivisme. Victor Duruy impose l’enseignement de l’Histoire « jusqu’à nos jours ». Le siècle intègre donc une réflexion sur l’avènement des libertés, sur la place de la religion et les évolutions politiques. Pourtant, les dirigeants tardent à accorder le suffrage universel en excluant les femmes et maintiennent longtemps l’esclavage.

Le XIXe en atlas à l’échelle nationale

Les érudits sont férus de cartes et de planisphères comme de dictionnaires dans un esprit encyclopédique. Cet ouvrage poursuit la tradition. Il garde une histoire hexagonale à l’aulne des progrès d’une histoire-monde et privilégie une démarche multiscalaire pour approcher au plus près les hommes et les femmes de cette époque.

Le combat des libertés (1815-1851)

Les difficultés économiques dues aux guerres napoléoniennes traversent la période. Le poids des contraintes naturelles reste important. L’année 1816 témoigne d’une catastrophe planétaire, l’éruption du volcan indonésien le Tambora dont les gaz relâchés atteignent toute l’Eurasie. On assiste à un été sans soleil ! Les aléas climatiques génèrent toujours des crises frumentaires qui cristallisent des troubles sociaux. Pourtant l’agriculture s’améliore et le spectre des disettes s’éloigne.

Fruits de recherche depuis le XVIIIe, les élites physiocrates et les notables favorisent « la révolution agricole ». L’introduction de nouvelles cultures (betteraves et pommes de terre) et des prairies artificielles consacrées à l’élevage bouleversent l’équilibre alimentaire et la polyculture existante. Inégale suivant les régions, la productivité augmente ainsi que les surfaces cultivées. Si l’hexagone reste morcelé de multiples terroirs, les paysages agricoles se modifient au gré des changements peu à peu intégrés.

La France passe de 30 millions à 40 millions d’habitants au cours du XIXe siècle. La vie reste fragile. Contrairement à ses voisins, le pays connaît un repli de la natalité : on passe de 5 enfants par famille avant la Révolution à 3 enfants avant la Grande Guerre. Cette mentalité malthusienne s’est développée dans l’ensemble de la société. La population croît avec l‘immigration précoce et la médicalisation de la société. Si les épidémies demeurent (choléra, syphilis, grippe), on meurt moins car les conditions de vie s’améliorent. Les professionnels de santé sont encouragés par l’État : les médecins dont M. Bovary en est l’incarnation, mais aussi leurs auxiliaires, les infirmières et les sages-femmes.

L’industrie (les activités productrices de richesse, de transformation des matières premières et de produits manufacturés selon les définitions de l’époque) et l’essor des villes qui en découle reste une spécificité du XIXe siècle. Le terme de « révolution industrielle » est aujourd’hui controversé.

Les transformations du secteur secondaire bouleversent l’organisation du travail : mécanisation, division des tâches, déracinement des ouvriers, travail des femmes et des enfants. Cette main-d’œuvre prolétarisée et exploitée a été largement dépeinte par les écrivains et les analystes sociaux. Il reste cependant beaucoup d’artisans (4,7 millions en 1851) qui travaillent en famille et en atelier. L’ancrage de ces ouvriers spécialisés, conscients de leur technicité, dans leur quartier, induit une culture particulière ouverte sur le débat politique et la contestation.

Pays à dominante rurale, la France connaît une urbanisation accélérée au profit des moyennes et grandes villes par l’exode rural selon une trame urbaine issue du siècle précédent. Cette densification entraine des catastrophes sanitaires comme l’épidémie de choléra à Paris en 1832. La bourgeoisie s’installe en périphérie tandis que les centres-villes concentrent les usines et les logements ouvriers.

Tocqueville décrit l’essor « d’un pouvoir plus habille, plus fort et plus entreprenant ». Le renforcement de l’État, initié au siècle précédent, prend toute sa mesure : service militaire inégalitaire de six ans où beaucoup sont réformés et d’autres paient un remplaçant, la levée des impôts, la mise en application des lois héritières de la Révolution et de l’Empire comme le permis de chasse ou le code forestier. Des cartes à l’échelle nationale déterminent une France rétive (l’Ouest, les Flandres, le Massif central), mais l’État réussit à faire valoir une certaine légitimité. La reconnaissance des droits comme celui de l’éducation des enfants permet de percevoir les dirigeants comme des accélérateurs de progrès.

Dans cette première partie du siècle, l’Église catholique imprègne encore fortement la société grâce à de nouveaux cadres et une nouvelle pastorale : la presse, la diffusion d’images de piété liées aux centres de pèlerinage. Le terrain scolaire devient un lieu d’affrontement entre les libéraux et les conservateurs.

Des graphiques (pages 24-25) marquent les profits générés par l’exploitation des terres d’outremer. Afin de consolider sa politique intérieure, la monarchie se lance dans l’expédition d’Alger en 1830. Louis-Philippe poursuit cette volonté d’une présence française dans le monde. La conquête de l’Algérie s’avère violente et brutale avec les excès que l’on sait. Ailleurs la France de la monarchie de Juillet s’établit sur les côtes de l’Afrique, dans l’océan Indien et en Polynésie, jetant les bases du futur empire colonial.

Le débat antiesclavagiste s’accélère et dans les tumultes de 1848, l’abolition, prononcée sous la direction de Victor Schœlcher, est conçue comme un mythe fondateur d’une République balbutiante. Si les « nouveaux libres » deviennent des citoyens avec de nouveaux droits, leur situation économique ne s’améliore pas. Le coup d’État de 1851 restaure le système colonial favorable aux colons.

Les dernières pages de cette première partie sont consacrées aux monarchies censitaires qui oscillent entre le conservatisme et le libéralisme, ce qui montre leurs difficultés à gouverner un peuple qui se sait désormais souverain. 1830 et 1848 sont les années des barricades parisiennes, en témoignent les plans établis de Paris, pages 28-29.

Issu de l’onde de choc international, « le printemps des peuples » dure en France trois mois. La Seconde République s’ouvre sur des compromis puisque le gouvernement provisoire rassemble toutes les tendances de l’ancienne opposition. Le suffrage universel conduit 8 millions de Français aux urnes (83 % de participation). A peine les institutions votées, la République « n’a plus grand chose de républicain ».
Si le régime survit trois ans, le parti de l’Ordre de par son ancrage local, impose des lois en faveur de l’Église. Louis-Napoléon Bonaparte séduit sur un programme flou. Comme la nouvelle constitution ne lui permet pas une réélection, il tente un coup de force, appuyé par des fidèles. Les monarchistes se résignent et les républicains ne peuvent avoir recours à des ouvriers qui se sentent trahis. De nombreux soulèvements ont lieu à Paris et en province mais la répression est sanglante (30 000 morts). Un plébiscite montre le ralliement des élites sociales en décembre 1851 tandis qu’un autre vote entérine un an plus tard le nouveau régime : le Second Empire est né.

La modernisation accélérée (1852-1879)

« Quand on a fait tout ce qui est bien et juste, on maintient l’ordre avec plus d’autorité parce que la force s’appuie alors sur la raison et la conscience satisfaite » explique Napoléon III.

Le Second Empire se caractérise par sa volonté du maintien de l’ordre en tenant le pays d’une poigne solide. Les décisions sont largement relayées par une administration pyramidale mise en place par Napoléon 1er : le préfet, le sous-préfet… Une propagande efficace s’emploie à favoriser la popularité de l’Empereur, mesurée par les plébiscites. Peut-on parler de régime autoritaire, de dictature ? Les auteurs parlent de démocratie « illibérale », un système politique hybride. Par ses transformations, il contribue à rendre possible une transition démocratique sous la férule d’Émile Ollivier.

Le troisième quart du XIXe siècle marque une accélération impressionnante de la modernisation en France. La croissance économique est soutenue par la politique volontariste du pouvoir ce qui génère une amélioration du niveau de vie, illustrée dans cet ouvrage par un graphique de la stature des conscrits en Limousin.

Les progrès de l’instruction permettent la diffusion de l’imprimé, vecteurs de la modernisation culturelle mais aussi technologique. L’écrit se banalise jusque dans les campagnes. Industrialisé, l’objet livre est moins cher et plus petit. En 1870, 50 % des conscrits savent lire.

Ceci s’accompagne du développement des sciences : les mathématiques au service de la médecine (Claude Bernard, Louis Pasteur). Le mot microbe apparaît en 1877. L’homme et la société deviennent des objets d’étude. Les historiens remettent en question les thèses religieuses sur les origines : Darwin énonce sa théorie de l’évolution.

Une révolution des transports (extension du réseau ferroviaire en étoile à partir de la capitale, la marine à vapeur) modifie les rapports au temps et aux distances. L’espace national est redessiné. Certaines régions agricoles se spécialisent sur le modèle de l’agriculture commerciale. Hommes et marchandises circulent plus facilement, ce qui modifie les mœurs. Les villes constituent les points nodaux où se concentrent les hommes et les industries. Ainsi les paysages sont remodelés : terroirs reconquis, nouveaux sites industriels (les pays noirs) et nouvelles cités (les corons), nouvelle capitale sous Haussmann (pages 46-47), siège des plus belles fêtes et des expositions universelles (pages 48-49). Si le terme pollution apparaît dans les années 1870, les effets sanitaires de l’industrialisation ne doivent pas être minimisés : rejets dans les fleuves et les mers, nuisances sonores des usines. Cependant l’espace urbain intègre de plus en plus souvent des trottoirs, des réseaux d’adduction d’eau (les particuliers l’utilisent de plus en plus selon les normes des hygiénistes) et des égouts.

La politique étrangère de Napoléon III rompt avec les usages antérieurs. L’Empereur entend que la France retrouve une place en Europe afin de rompre avec l’ordre du congrès de Vienne. Après la guerre de Crimée, le traité de Paris (1856) marque la fin des alliances des monarchies conservatrices. La France sort victorieuse de la guerre d’Italie à Magenta et Solférino (1859) ce qui provoque l’annexion de Nice et de la Savoie.

Les revers au Mexique ruinent l’image internationale de l’Empereur et dégradent les relations avec l’Espagne, l’Autriche et la Grande-Bretagne.
L’Algérie appelée « un royaume arabe » devient l’expression de la politique napoléonienne. Influencé par des Saint-Simoniens, l’Empereur fait arrêter la confiscation des terres agricoles au profit des colons. « L’indigène musulman est français » mais régi par « la loi musulmane ». Si les Algériens ont des droits civiques et politiques, ils ne sont pas des citoyens puisqu’ils gardent leur statut personnel. Pourtant la priorité est donnée à la mobilisation des capitaux privés et la colonisation industrielle. La guerre de conquête a déstructuré la société « indigène » et des calamités naturelles font plonger la population dans une grande misère. Le système colonial est désormais installé.

La guerre franco-prussienne révèle une impréparation militaire et l’incompétence des chefs. La défaite française précipite la chute de l’Empire et l’arrivée d’une République sur fond de Commune de Paris et ses inépuisables controverses. Les Républicains recherchent un régime politique qui concilie des libertés tant désirées et le respect de la propriété et de l’ordre revendiquées après une onde de choc révolutionnaire. S’établit alors une République dont Gambetta est le commis voyageur.

La République affirmée (1880-1914)

L’école de Jules ferry est restée LA réforme fondatrice de la République : l’ouvrage prend appui sur la carte des lycées de jeunes filles (des compagnes instruites pour les républicains selon Camille Sée) et une chronologie des lois scolaires au XIXe qui curieusement n’inclut pas l’année 1905. Les hussards noirs (Péguy) incarnent les valeurs de la République et bénéficient d’un grand prestige dans la vie locale. Cependant l’enseignement est genré et le secondaire reste payant, seulement accessible à une élite.

La liberté de la presse et de réunion sont votées en 1881 tandis que le suffrage universel « restreint » est rétabli (les femmes sous la coupe de l’Église ne peuvent pas penser seule !).

La loi Freycinet (1889) fixe le service actif à trois ans mais il faut attendre 1905 pour que soit voté un service égalitaire national et obligatoire de deux ans.

L’unité de la nation repose sur une assise sociale élargie, stimulée par la culture diffusée à l’école et l’espoir d’accéder à la propriété (le roman national de l’Histoire, le respect de la hiérarchie). Chaque époque a son épée : Victor Hugo entre au Panthéon, Pasteur est étudié de son vivant dans les manuels scolaires. La célébration du centenaire de la Révolution française est l’occasion de stimuler la mémoire collective. A l’Exposition universelle, la Bastille est reconstituée. La devise décore les bâtiments publics ainsi que les lettres « RF » de la République. Maurice Agulhon parle de « statuomanie » pour expliquer le développement des représentations sculptées souvent allégoriques, à la ville comme à la campagne. Rodin, Dalou ou Rude excellent dans ces commandes officielles et patriotiques.

Au nom de ses intérêts financiers, sous prétexte d’idéaux civilisateurs, la République se lance dans une course colonisatrice pour retrouver un rang international. Une faible opposition existe en France. Clemenceau dénonce le sort des colonisés. Cependant les guerres coloniales consolident la présence française dans le monde. On organise les terres conquises au profit de la métropole : infrastructures vers les ports exportateurs, plantations d’arachide ou de tabac, extraction minière. La République pratique « un modèle de l’association » plutôt que celui de l’assimilation. En effet si le décret Crémieux de 1870 accorde aux Juifs la citoyenneté en Algérie, l’accès des colonisés à l’école ou aux droits dus à la citoyenneté s’avère une exception car ils sont des « sujets ». Voté en 1881, le code de l’indigénat révèle la peur des gouverneurs à de possibles révoltes des autochtones.

Des menaces intérieures pèsent sur le régime. A gauche comme à droite, les adversaires sont nombreux. Les affaires alimentent l’antiparlementarisme et la crise boulangiste dévoile l’ampleur des idées des nationalistes qui renforcent leur position.

L’Europe est frappée par une crise économique de 1870 à 1890 appelée « la grande dépression ». Des faillites d’entreprises provoquent une montée du chômage. S’opère alors une recomposition du monde du travail : les petits commerçants subissent la concurrence des grands magasins, les artisans se confrontent au monde industriel.

Les campagnes se recentrent sur l’agriculture tandis que les villes concentrent les usines souvent reléguées en périphérie, pour rejeter les nuisances loin des beaux quartiers. Le monde ouvrier s’organise. Si la grève est autorisée depuis 1864, sa répression est sévère et meurtrière. Néanmoins, on voit à la fin du siècle, des revendications apparaître avec l’importance des syndicats, légalisés en 1884.

Devenue terre d’immigration (carte page 71), la France connaît une vague de tensions xénophobes dont le point d’orgue aboutit à l’affaire Dreyfus.

Les crises politiques élargissent le champ des oppositions. La question religieuse montre l’anticléricalisme profond de la gauche et les positions tranchées de l’Église. La loi de Séparation du 9 décembre 1905 est le fruit d’un compromis subtil mais les divisions subsistent jusqu’à 1914.

Si, selon Aristide Briand, les Français ont trouvé le régime qui leur convient, les inégalités se sont creusées, en témoignent les graphiques page 76. La domination masculine s’impose partout tant la vision traditionnelle du rôle des femmes est ancrée dans une France malthusienne.

Le nouveau siècle est le temps d’une bourgeoisie triomphante avec ses codes (le piano) et ses lieux (villégiatures et cures thermales). Le nouveau siècle est celui de la science comme le montre l’exposition universelle de 1900 et son fameux trottoir roulant. La Belle Époque porte bien son nom puisqu’elle est lumineuse (électricité), rapide (le métro) et inventive (les avant-gardes artistiques). Pourtant le temps de l’impérialisme (l’extension de l’empire colonial français a doublé de 1876 à 1914) et de la course aux colonies bouleversent les relations internationales. Les alliances annoncent des rivalités qui s’amplifient. La crise économique et la montée des nationalismes accentuent les tensions. La crise de l’été 1914 déclenche l’engrenage des alliances.

En fin d’ouvrage, les auteurs s’interrogent sur ce qui reste du XIXe siècle. « Lourd et poussiéreux, le XIXe siècle serait à l’image de ce mobilier bourgeois que les antiquaires ne parviennent plus à vendre ». Faut-il réduire son héritage aux noms des plaques de rues ?
Dans son questionnement et fruit d’une historiographie renouvelée, ce siècle montre les balbutiements de la mondialisation et une nouvelle circulation des hommes et des objets pour la France. Des voix, certes peu audibles, s’élèvent déjà contre la dégradation des cadres de vie. Plus fortes, d’autres voix revendiquent des droits peu à peu concédés. Le XIXe siècle est celui de la diffusion de l’image (la photographie puis le cinéma) et des écrits privés beaucoup plus nombreux.

L’atlas des éditions Autrement mérite une lecture attentive. Cet ouvrage ne se contente pas du récit événementiel d’une histoire si souvent comptée, mais il pose un regard réflexif sur les changements politiques, économiques et sociaux, si importants de l’époque. Il conviendra parfaitement aux néophytes comme aux lecteurs plus avisés soucieux d’actualiser leur questionnement sur ces temps fondateurs en France.