Un album futuriste pourtant pleinement inscrit dans le présent et le passé.
Dans ce contexte d’appropriation de l’espace par l’Homme, nous suivons les destins croisés puis mêlés de Ji-Soo, une scientifique désabusée, Camina, une mercenaire combattante mais aussi effrayée par sa propre violence et Alex, qui est né est a vécu toute sa vie dans l’espace, sans jamais poser le pied sur n’importe quelle terre.
Les personnages se trouvent confrontés à ce qu’est devenu l’espace pour l’Homme : un potentiel de ressources illimité, à exploiter librement car aucune juridiction n’existe dans l’espace. En réalité, ce sont les firmes qui font la loi. Non contentes d’exploiter la matière, elles exploitent aussi leurs employés asservis par leurs dettes, éliminés si besoin par des mercenaires chargés des sales besognes.
Même si cet ouvrage s’inscrit dans un futur plus ou moins distant, on perçoit aisément tous les échos avec l’actualité. Nous vivons dans un monde aux ressources limitées, ce dont nous avons conscience, et ces dernières sont soumises à la volonté d’appropriation des grandes firmes, à l’influence désormais comparable à celle des États. De plus, ce sont bien également les grandes firmes qui se lancent aujourd’hui à la conquête de l’espace. Les projets de SpaceX ou de Blue Origin sont là pour nous le rappeler.
Mais le récit peut aussi faire écho à un passé plus ou moins éloigné. Le terme « Frontier » rappelle la colonisation des terres d’Amérique du Nord. Il s’agit d’un nouveau temps des colons, plongés dans un espace fascinant, à fort potentiel mais aussi dangereux et qui rappelle, en cela, le Far West. L’exploitation des ressources spatiales apparaît comme une nouvelle ruée vers l’or. Mais certains « spatiaux » décident aussi de mener des projets d’existence alternatifs, fondés sur le respect de la nature et l’esprit de communauté à la manière des mormons.
Un ouvrage qui invite à la réflexion
Au cœur de l’ouvrage, nous retrouvons une critique de l’ultra-capitalisme, de son caractère prédateur et de la dégradation de l’environnement qu’il engendre. Pourtant, le propos n’est pas moralisateur : les personnages et leurs points de vue sont complexes : Ji-Soo, la scientifique, ne supporte pas cette appropriation de l’espace, mais manque cependant d’énergie pour s’y opposer. Alex, sans défendre le système, montre que sans ce travail, il ne pourrait vivre, …
Le propos ne se veut donc pas moralisateur. Il nous invite à réfléchir aux enjeux de cette appropriation de cette « Frontier », au chemin qui est aujourd’hui emprunté et à ce qu’on voudrait qu’il devienne. Il n’existe pas une bonne solution, mais différents projets plus ou moins viables, aux conséquences plus ou moins positives ou négatives. Et cette réflexion peut très bien s’appliquer à la crise écologique que nous vivons aujourd’hui sur Terre.
Mais cet ouvrage invite également au voyage poétique, par son esthétique remarquable, par les réflexions, pensées et craintes de ses protagonistes. L’auteur parvient ainsi très bien à retranscrire la fascination pour l’espace, nouvelles frontières, que l’on retrouve chez l’Homme. Et il nous rappelle qu’aller dans l’espace n’est pas qu’une question technique, mais aussi une question philosophique.