Rodolphe Alexandre, Gaston Monnerville, un homme d’État de la République française, Actes du colloque des 14-15 octobre 1997 à Cayenne, Ibis Rouge, Guadeloupe – Guyane – Martinique – Réunion – Paris, 2001, 180 p.

Rodolphe Alexandre, Gaston Monnerville et la Guyane (1897-1948), Ibis Rouge, Petit-Bourg, 1999, 395 p.

La recension tardive de ces deux ouvrages s’explique entre autres par le fait que leur éditeur, spécialisé dans l’outre-mer, est encore assez peu connu du corps enseignant métropolitain. Cette maison d’édition des Antilles et de la Guyane s’est imposée au cours des dernières années comme l’éditeur de référence de nombreux ouvrages universitaires ou littéraires. A l’heure d’internet, cet éditeur ne saurait rester ignoré du lectorat.

Ces deux ouvrages abordent chacun sous des angles différents la biographie politique de Gaston Monnerville connu dans l’opinion pour avoir conduit l’opposition au référendum de 1962 ou tout simplement parce qu’il fut le premier Guyanais à parvenir au sommet de la République, comme président du Sénat. Dans la confusion des mémoires, il arrive que Monnerville soit perçu en France comme le premier homme noir à avoir intégré un gouvernement français. Cette dernière information est erronée mais il est vrai qu’il fut en 1936, le premier Guyanais secrétaire d’État, à la suite d’autres hommes noirs ou, selon une expression aussi désuète qu’ambiguë, « de couleur ».

Autre point commun aux deux ouvrages, Rodolphe Alexandre, né en 1953, auteur du premier et coordonnateur du second, est à la fois une personnalité guyanaise de premier plan et un historien. Docteur en histoire, il a enseigné à l’École normale et a joué un rôle important dans les collectivités territoriales guyanaises. Il est l’auteur de travaux concernant notamment le Parti socialiste guyanais, la Première Guerre mondiale, Vichy en Guyane et les tirailleurs sénégalais stationnés dans cette colonie.

La difficulté posée par les travaux guyanais concernant Monnerville tient au fait qu’il appartient à la fois à la mémoire locale et à la mémoire nationale. Il est difficile, en Guyane d’évoquer Monnerville sans parler de sa colonie d’origine, alors qu’il paraît toujours étrange d’aborder une personnalité de stature nationale en privilégiant ce même territoire d’origine. On ne l’a jamais fait pour Mandel à Bordeaux ou Herriot à Lyon. C’est d’autant plus vrai dans le cas de Monnerville qu’il s’implante après guerre dans une circonscription du Sud-Ouest de la France et que, malgré une carrière vraiment nationale à partir de 1936, il ne commence à être vraiment connu de l’électorat français que sous la IVe République.

Éléments de biographie

Il convient d’abord de rappeler quelques éléments biographiques sur cet homme dont le parcours sous la Quatrième et la Cinquième est mieux connu de l’ensemble des collègues que ses débuts sous la Troisième. Gaston Monnerville est un descendant d’esclave, né en Guyane dans une famille martiniquaise. Ayant obtenu une bourse d’étude, il quitte Cayenne pour Toulouse où il étudie le droit. Franc-maçon et radical, il devient après la Grande guerre avocat dans l’ombre de César Campinchi. La Guyane le découvre en 1928 lors du fameux procès Galmot, affaire politique et judiciaire d’une très grande portée dans l’histoire guyanaise. Pressé par son entourage, notamment Alcide Delmont et Campinchi, il se présente avec succès aux législatives de 1932, devenant ainsi député de la Guyane alors qu’il est, comme Daladier, un ce ces « Jeunes Turcs » du parti radical. Le Front populaire lui permet d’être sous-secrétaire d’État aux colonies dans le cabinet Chautemps de 1937-1938 au côté de Moutet. S’il s’agit d’adjoindre un radical à un socialiste dans un cabinet de transition, il convient aussi de remarquer la tendance depuis 1929 à adjoindre un colonial noir ou « de couleur » au ministre des ColoniesAlcide Delmont en 1929-1930, dans les cabinets Laval et Chautemps, Blaise Diagne en 1931 dans le cabinet Laval, Gratien Candace en 1932-1933 dans les cabinets Herriot et Paul-Boncour, Lémery en juillet-septembre 1940 comme secrétaire d’État aux colonies de Pétain..
Sous les drapeaux au moment du vote des pleins pouvoirs, Monnerville participe avec Candace, Satineau et Galandou-Diouf dans une protestation auprès de Pétain contre le racisme visant les coloniaux à la ligne de démarcation. Il passe ensuite à la Résistance. Chevalier de la légion d’honneur et croix de guerre à la libération, il préside la commission de la France d’Outre-mer à la Consultative. Rencontrant une forte opposition en Guyane en 1946, il est alors parachuté dans le Lot pour y être élu au Conseil de la République, dont il devient le président en 1947. Le Conseil redevenu Sénat, il poursuit une carrière de sénateur, conseiller général du Lot et Président du Sénat jusqu’en 1968, ce qui lui vaut de prendre la tête de l’opposition au référendum gaullien de 1962. Il siège à partir de 1974 au Conseil constitutionnel et meurt en 1991.

Rodolphe Alexandre, Gaston Monnerville, un homme d’État de la République française, Actes du colloque des 14-15 octobre 1997 à Cayenne, Ibis Rouge, Guadeloupe – Guyane – Martinique – Réunion – Paris, 2001, 180 p.

Publication des actes d’un colloque tenu en 1997 à l’occasion du centenaire de la naissance de Monnerville avec le soutien de nombreux partenaires, l’ouvrage regroupe donc 13 auteurs, loin d’être tous de la même spécialité. Le colloque suivait lui même un autre colloque tenu en 1996 au Sénat, avec, entre autres Gilles le Béguec, Marc Michel, Jean-Paul Brunet ou Philippe Martial.

Ce dernier, directeur des archives et de la bibliothèque du Sénat, évoque un Monnerville intime qui fut l’ami de son père. Il décrit un homme perçu en Guyane comme appartenant à la classe mulâtre mais qui se souvint toute sa vie de ses origines. Suit la description d’un Monnerville au comportement spartiate, s’imposant horaires stricts et exercices physiques qui le maintinrent en forme jusqu’à 95 ans. On apprend également son amour des arts et des lettres, son agnosticisme et sa passion pour le droit.
Jean Paul Brunet (aujourd’hui professeur émérite à Paris IV), auteur d’autres travaux sur MonnervilleGaston Monnerville, le républicain qui défia de Gaulle, Albin Michel, 1997, 2000, 332 p. cherche ici ce qui fait l’unité de la vie du parlementaire. Il revient sur l’acharnement, l’énergie, la certitude du sens du devoir et l’attachement aux institutions qui le conduisent en 1962 à s’opposer à de Gaulle au nom d’une loi qui lui paraissait sacrée. Il revient également sur son engagement maçonnique et résistant.

Rodolphe Alexandre aborde dans le chapitre suivant l’élection de 1932 qui porta à la Chambre le jeune avocat. L’auteur montre comment Monnerville incarna à 35 ans la jeunesse et le renouveau politique face à son rival sortant Saccharin. Jean-Jacques Becker revient sur le cadre politique de la carrière de Monnerville. Il souligne l’existence d’un préjugé sur le profil-type et l’âge du parlementaire de la IIIe République, rattachant Monnerville à la tradition de ceux qui commencent très jeunes. Alors qu’il appartient aux générations montantes de l’après guerre, auréolé par sa conduite de résistant, sa carrière est compromise par sa défaite de 1946 en Guyane contre René Jadfard. Il est par ailleurs le représentant d’un parti radical alors sur le déclin. Malgré tout, il sort de cette situation d’échec en se faisant élire dans le département où il a été résistant. Autre élément important de sa carrière, Monnerville est de cette génération qui a connu l’empire, l’Union française, la Communauté et les DROM actuels. De même, alors que Clemenceau ou Poincaré n’ont connu qu’un système politique, Monnerville en a connu quatre en comptant Vichy, ce qui explique l’intérêt de la confrontation entre ce parcours personnel et l’histoire de la France pendant cette période.

Odile Gaultier-Voituriez, conservateur à la FNSP, présente le fonds d’archives Gaston Monnerville. Elle en retrace l’historique et en résume le contenu avant d’exposer les différentes études réalisées à partir de ce fonds en même temps que les perspectives qui s’offrent au chercheur.
Maître de conférences à Paris X (aujourd’hui décédé), Eric Duhamel s’intéresse au rôle de Monnerville au sein du parti radical, montrant qu’il fut beaucoup plus important que ce que l’on a voulu en retenir dans la mémoire de ce parti, tout simplement parce qu’il fut une référence éminemment radicale. Jacques Augarde, ancien ministre et ancien sénateur s’intéresse au sentiment du marin Monnerville confronté à l’impensable que fut Mers-el-Kébir.

Francis Monnerville, avocat au barreau de Paris, présente son oncle dans son rapport à la loi. Danielle Donet-Vincent, docteur en histoire, expose son rôle dans le combat contre le bagne guyanais. Xavier Dectot, Nicolas Georges, archivistes, exposent le processus qui fait que la Guyane n’a pas attaché la réforme départementale de 1946 au nom d’un seul homme, contrairement aux autres DOM. Vergès est en effet associé à la départementalisation réunionnaise comme Césaire symbolise cette réforme en Martinique.
Dans une seconde contribution, Jean-Paul Brunet s’attache au rôle de Monnerville à la tête de la Haute-assemblée. Edmond Jouve (Paris V) clôt l’ouvrage sur les circonstances de l’élection de Monnerville dans le Quercy et sur son rapport à cette terre du Sud-Ouest.

Rodolphe Alexandre, Gaston Monnerville et la Guyane (1897-1948), Ibis Rouge, Petit-Bourg, 1999, 395 p.

L’ouvrage de Rodolphe Alexandre suit un plan chronologique en 5 chapitres. Le premier est consacré à l’enfance et à l’éducation de Monnerville en Guyane puis à Toulouse. Il évoque aussi les circonstances de l’arrivée de sa famille dans cette colonie à la suite d’une sanction politique du père. Le second chapitre s’ouvre sur le passage du barreau de Toulouse à celui de Paris durant les années vingt. Il revient largement sur la fameuse affaire Jean Galmot de 1928 qui fit connaître le jeune avocat en Guyane et nous montre un jeune élu organisant en Guyane la machine électorale qui devait le servir tout en travaillant sérieusement pour sa circonscription. Le réveil de l’opposition à Monnerville fait l’objet du chapitre 3 qui couvre la période 1936-1945. La Guyane est mise à l’honneur par l’entrée du député dans les cabinets du Front populaire. L’auteur développe ensuite la question de la résistance, qui commence avec celle de la défense de la dignité des coloniaux dans les démarches entreprises auprès de Pétain. Cette partie du chapitre est mise en parallèle avec la question du déclin du monnervillisme en Guyane. Les chapitres IV et V abordent les élections de l’après-guerre. Elles sont fatales à Monnerville, trahi, comme cela arrive souvent, par l’un de ses lieutenants (Darnal). Cette nouvelle période marque cependant le début d’une nouvelle carrière politique de dimension nationale.

L’auteur conclut son ouvrage en rappelant le changement que constitua en 1932 l’élection réellement populaire de Monnerville, Ti-Momo, dans un contexte qui était jusque là celui des candidatures officielles. Monnerville apporta également aux Guyanais un programme de développement beaucoup plus moderne que ce qui avait été proposé jusque-là. Bien que Monnerville n’y ait pas réellement été associé, Rodolphe Alexandre souligne que la départementalisation de 1946 appartient aussi parti à son héritage, tout comme la suppression du bagne.
La défaite de Monnerville en Guyane relève aussi d’une question de génération alors que le député représente déjà en 1946 un modèle ancien. Ce conflit est patent dans la relation entre Jadfard et Monnerville. Peu après la mort de Jadfard, l’élection du poète Léon Gontran-Damas relègue la députation de la Guyane à un rôle de second plan au parlement. Sans doute l’auteur est-il trop impliqué dans la vie politique guyanaise pour relever qu’il fallut attendre une présidente de région pour voir de nouveau un élu guyanais prendre une stature nationale.

Chacun à leur façon, les deux ouvrages présentés ici nous paraissent nécessaires à plusieurs titres. Ils trouveront aisément leur place dans un CDI où il importe de faire connaître aux élèves des personnalités qui tendent à disparaître de la mémoire alors que la seule connaissance de leur rôle pourrait nourrir le questionnement sur la diversité française d’aujourd’hui et sur la colonisation d’autrefois, autant dire sur les problématiques post-coloniales qu’il est urgent d’explorer mais ce commettre une erreur que de le résumer à la seule problématique de la dimension guyanaise. Les origines de Monnerville entrent très peu en ligne de compte dans la démarche qui fut la sienne en 1962 quand, en plus d’être un homme politique français opposé à de Gaulle, il illustra justement ce que pouvait être l’intégration d’un originaire de l’outre-mer à la trame historique nationale.

Dominique Chathuant

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