Le dernier numéro de la revue géoéconomie, publié par l’institut Choiseul s’inscrit dans la continuité de la revue française de géoéconomie qui avait été créée en 1997. L’institut Choiseul avec lequel la Cliothèque entretien depuis de nombreuses années des relations constantes, mène parallèlement une activité d’édition et anime différents cercles et groupe de réflexions sur des questions de géopolitique en lien avec les évolutions de la mondialisation.
Cette nouvelle maquette de la revue, se révèle particulièrement agréable à lire, d’autant que Pascal Lorot, le président de l’institut Choiseul, nous annonce une périodicité plus resserrée. L’objectif est clairement affiché, rendre intelligibles tous les grands mouvements qui structurent la nouvelle gouvernance mondiale ainsi que décrypter, le plus précisément possible, les stratégies de puissance les postures des acteurs variés qui composent la scène internationale.

Ce numéro de la nouvelle mouture tient en effet toutes ses promesses. La thématique centrale est consacrée au « village global », tandis que la première partie est consacrée à des « apartés ». Le numéro est également enrichi par des articles qui susciteraient très largement l’intérêt de nos amis géographes, avec « puissance géographie au XXIe siècle », « l’alliance du Pacifique », et « l’hôtellerie de luxe, enjeux et mutations ».
Dans le premier article, Dov Zerah, directeur général de l’agence française de développement, présente les lignes de force de son dernier ouvrage, qui donne d’ailleurs son titre l’article, : « l’exigence d’une gouvernance mondiale ».
Dans cet article, il dresse un tableau général de la construction de cette gouvernance mondiale, essentiellement après la seconde guerre mondiale, et bien entendu à la réponse que celle-ci doit apporter à ce qu’il appelle « les enjeux globaux ». Ces enjeux globaux sont qualifiés de systémiques, pour ce qui concerne les évolutions démographiques et l’épuisement des ressources, ou consubstantiel à la mondialisation, comme les phénomènes migratoires, le terrorisme ou les grandes pandémies. Cette globalisation des risques exige une plus grande solidarité internationale qui se manifeste déjà par des institutions comme la banque mondiale, mais qui ne semble pas, en l’état, suffisantes.
Penser la gouvernance mondiale de demain suppose que la gouvernance mondiale soit rénovée, pour éviter une catastrophe humaine, écologique, économique ou financière. La question de la représentativité des institutions internationales et évidemment posées, tout même le renforcement des capacités d’intervention des institutions existantes.
Dans le cas dans l’environnement, la succession de sommet ne semble pas pouvoir constituer une gouvernance suffisante. L’auteur estime qu’il faut des institutions permanentes. Il se prononce également pour une intervention plus importante, au sein de ces institutions pour les représentants de la société civile, les O.N.G., mais également les groupements technico-scientifiques sur le modèle du GIEC dans les négociations climatiques.

Pascal Lorot, réalise un entretien avec Edward Luttwak, qui est le promoteur du concept de géoéconomie outre-Atlantique. Chercheur au centre d’études internationales et stratégiques de Washington, il a été, à plusieurs reprises, conseiller auprès de différentes instances gouvernementales aux États-Unis.
L’ouvrage qui a fait le plus parler de lui a été : « le rêve américain en danger ».
Edward Luttwak introduit sa présentation en expliquant que la géopolitique, (puissance militaire plus renseignements plus diplomatie traditionnelle) a laissé la place à la géoéconomie. Le phénomène est devenu global, même s’il affirme que l’on assiste aujourd’hui, du fait du changement de posture et attitude de la Chine depuis 2008, à un retour des préoccupations strictement géopolitiques. Cela peut se traduire par la politique d’expansion maritime de la Chine, qui correspond certes à des préoccupations économiques, comme la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques, mais également par des volontés de puissance, face à une autre puissance, en l’occurrence les États-Unis qui ont d’ailleurs redéployé en conséquence leur présence navale dans le Pacifique.
La géoéconomie, telle qu’elle avait été définie lors de la fondation de la revue, est présentée comme : « l’analyse des stratégies d’ordre économique notamment commerciale, décidé par les états dans le cadre de politique visant à protéger leur économie nationale ou certains pans bien identifiés de celle-ci, a été leurs entreprises nationales à acquérir la maîtrise de technologies clés et à conquérir certains segments du marché mondial relatif à la production la commercialisation d’un produit ou d’une gamme de produits sensibles, en ce que leur possession ou leur contrôle confère à son détenteur, et au entreprise nationale, un élément de puissance du rayonnement international et concours au renforcement de son potentiel économique et social. »
La conception de Edward Luttwak est effectivement celle qui a été présentée plus haut. Les instruments de la géoéconomie comprenne les entreprises nationales présentes sur les secteurs stratégiques, avec un positionnement qui peut être assimilé à des dispositifs militaires, comme l’artillerie, la cavalerie, la suprématie aérienne ou navale.
La dimension spatiale de la géoéconomie qui s’explique par la spécificité de l’activité économique dans laquelle les frontières peuvent se matérialiser sous différentes formes, les banques de dépôt agissent dans un cadre national alors que les opérations d’investissement se déroulent dans un espace globalisé.
Enfin la capacité des gouvernements qui mettent en place les instruments et dispositifs nécessaires à la réussite de leurs objectifs dans le domaine géoéconomique.
Dans l’échange entre le président de l’institut Choiseul et Edward Luttwak, la partie sans doute essentielle est celle de l’analyse qui est faite du modèle chinois, qui semble évoluer d’une approche géoéconomique à une démarche de puissance.

Éric Dénécé directeur du centre français de recherche sur le renseignement, a également réalisé un entretien avec l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la république islamique d’Iran en France depuis 2012, S.E. Ali Ahani.
Dans cet article, l’ambassadeur réaffirme les positions traditionnelles de l’Iran, en rappelant que le programme nucléaire que l’on reproche à son pays n’a pas vocation à des usages militaires. L’ambassadeur retourne les arguments traditionnellement utilisés par les occidentaux à propos de l’enrichissement de l’uranium, en expliquant que c’est à cause du refus de voir installer en Iran 20 centrifugeuses, l’Iran en a développé près de 10 000 ! De la même façon, c’est l’erreur stratégique des cinq pays membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies plus l’Allemagne, de refuser de vendre du combustible nécessaire pour un réacteur nucléaire de recherche, qui a conduit la république islamique a procédé à un enrichissement atteignant 20 %, pour disposer d’uranium à usage médical.
À propos du renforcement du potentiel militaire de l’Iran, l’ambassadeur justifie la position par la nécessité de remplacer les armes qui ont été détruites lors de la guerre contre l’Irak, entre 1999 et 1988, et bien entendu l’embargo qui oblige l’Iran à développer une industrie nationale de défense.
Enfin, à la question qui a été posée à propos de la guerre secrète menée par les puissances occidentales pour ralentir le programme nucléaire de l’Iran, l’ambassadeur tient Israël comme responsable de ces tensions, et considère que toute attaque contre les installations nucléaires actuelles pourrait conduire à une escalade mortelle.
Sur les questions sensibles de la Syrie, l’officiel iranien pratique la langue de bois, et, même si la question ne lui a pas été directement posée, considère qu’il n’y a pas d’intervention directe de l’Iran dans la guerre civile en Syrie. Il souligne simplement que le gouvernement de Damas conserve la maîtrise de la situation.
Il ne faut pas s’attendre, lorsque l’on s’entretient avec un ambassadeur, à de véritables révélations, ou à l’expression de désaccords à propos de la ligne officielle de son gouvernement. Pour autant, cet article présente l’immense intérêt de proposer au lecteur une synthèse tout à fait accessible des positions officielles de la république islamique, ce qui n’est en soi, jamais inutile.

Les autres articles de ce numéro 64 de la revue géoéconomie, sont tout aussi passionnants, ils augurent bien du suivi attentif que la Cliothèque fera de cette publication, qui vient se rajouter à celles de l’institut Choiseul que nous traitons déjà, comme « sécurité globale », « monde chinois », « « Maghreb – Machrek », « problèmes d’Amérique latine », etc.

Le sommaire du Numéro 64

Apartés

  • L’exigence d’une gouvernance mondiale …
  • Dov ZERAH
  • Un monde sous tension . Edward LUTTWAK
  • Iran, sortir du malentendu
  • S.E. Ali AHANI
  • Réindustrialisons la France Jean-François DEHECQ
  • L’Italie, l’Europe et la crise …
  • Enrico LETTA

Village global

  • Tensions sur les marchés agricoles „
  • Thierry POUCH
  • Derrière la compétition économique,
  • la bataille des modèles pour la gouvernance mondiale
  • Claude REVEL
  • La Chine dans les négociations climatitiques
  • Jean-Paul MARÉCHAL
  • L’industrie de défense russe, le tournant …
  • Alexander GOLTS
  • La nouvelle Libye ou les enjeux des prochaines échéances électorales
  • Christian GAMBOTTI

Horizons

  • Puissance et géographie au XXIe siècle
  • Pierre BUHLER
  • L’Alliance du Pacifique. Défis et perspectives
  • Camlilo MARTINEZ
  • L’hôtellerie de luxe, enjeux et mutations
  • François DELAHAYE
  • Temps, terreur, crime
  • Xavier RAUFER
  • France, l’horizon Pacifique
  • Eugène BERG