Les peurs des pénuries et pollutions : les trois « P » qui caractérisent aujourd’hui les perspectives énergétiques, poussent beaucoup de domaines d’étude à s’emparer de cette questions sensible. Si la géographie s’est lancé dans le grand bain de l’énergie il y a plus de cinquante ans, les ouvrages généraux et accessibles sont restés rares. Bernadette Mérenne-Shoumaker, professeur à l’université de Liège et spécialiste de géographie économique en publie depuis près de vingt ans.

S’y retrouver dans un monde et des espaces de l’énergie en bouleversement

Belin, dans sa collection Belin Sup, réédite ce manuel publié en 2007 ; lui-même faisait suite à des ouvrages du même titre édités dans les années 1990. Par rapport à cette période, toutes les données du monde de l’énergie qui peuvent intéresser le géographes ont été profondément bouleversées et continuent à se modifier très vite, d’où la refonte de 2007 et la réédition de cette année : mais la course à l’actualisation a ses limites : le bouleversement induit par la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima ne pouvait pas être envisagé dans un livre mis sous presse en avril dernier. Le rôle de ce manuel n’est de toute façon pas de coller lui-même à l’actualité la plus brûlante mais de fournir aux géographes les clés pour aborder ce domaine, en particulier pour se retrouver dans un maquis de statistiques de plus en plus épais.

Ce qui caractérise d’abord ce livre, c’est la densité d’information fournie; ainsi, le premier chapitre replace-t-il la question de l’énergie dans sa perspective historique, avec les grands sauts technologiques et jusqu’à la remise en cause récente de l’énergie abondante et bon marché, mais initie au passage aux unités utilisées dans ce domaine sans oublier un soupçon d’épistémologie et les enjeux géographiques des problèmes énergétiques actuels, le tout en 25 pages qui comprennent une dizaine de tableaux, cartes et schémas.

Les énergies :

Deux chapitres présentent les sources et les formes d’énergie ; pour les énergies fossiles qui représentent encore plus de 80% de la consommation d’énergie primaire, l’auteur rappelle les conditions de formation des charbons et hydrocarbures et leur conséquence sur la répartition des gisements. Les notions de géologie vulgarisées ici sont particulièrement utiles pour comprendre la diversité des différentes formes et qualités de charbon, tant le monde de ce combustible polluant mais abondant et déterminant pour l’avenir reste complexe. Le rappel des contraintes de coût d’installation et de production des énergies renouvelables permet de mieux saisir la part complémentaire qu’elle jouent dans la production énergétique mondiale : la série de planisphères montrant leur répartition, ressemble en effet à la cartographie des oasis dans le désert.

la mondialisation de l’énergie

Trois chapitres centraux qui représentent le tiers de l’ouvrage mettent en rapport la consommation, la production et les échanges énergétiques. La répartition de la demande ne révèle pas seulement la gloutonnerie des Etats-Unis et de la Chine, mais aussi l’inégale tempérance des pays développés -notamment européens-, reflet de leur contraintes géographiques, de leur modèle économique ou de leur niveau de développement. La mondialisation de l’énergie est inégale selon le type de ressource, mais tous les marchés tendent à se financiariser et à déterminer des prix parfois bien éloignés des coûts de production. La stratégie de différents types d’acteurs est également présentée : qu’il s’agisse des entreprises – des « majors » aux compagnies nationales-, des états, particulièrement la Chine ou les États-Unis ou bien des organisations comme l’OPEP . B. Merenne-Shoumaker soulève le paradoxe de l’Europe dont l’énergie a été au cœur de la construction communautaire au départ et qui peine aujourd’hui à définir une politique énergétique en dehors de la lutte contre le réchauffement climatique.

rêves et cauchemars

Les derniers chapitres évoquent les niveaux de dommages en fonction du type d’énergie exploité, que ce soit en terme de pollution ou en terme de risque : il n’y a pas d’énergie propre, mais l’on peut dresser un tableau hiérarchisé des nuisances. La présentation de la lutte contre le dérèglement climatique et le protocole de Kyoto sert donc de transition vers une dernière partie consacrée aux « futurs possibles » où se conjuguent les contraintes et les incertitudes liées à l’épuisement des réserves, les perspectives de maîtrise de la demande par les économies d’énergies et les horizons plus ou moins lointains de nouvelles ressources, renouvelables ou non (ainsi les huiles lourdes). Quoiqu’il en soit, l’énergie coûtera plus cher demain « ce qui n’est pas sans poser de graves problèmes aux pays les plus pauvres et aux populations démunies des pays développés. »

Et la géographie dans tout cela ?

La répartition des gisements, le décalage avec les lieux de consommation, les flux, mais surtout les contraintes d’installation des sites de production qui les concentrent dans des espaces possibles très limités (et donc souvent repris), les lieux de négoce et de commandement, tous ces aspects sont éminemment géographiques. Cependant, cet ouvrage ne peut établir une géographie détaillée de l’énergie malgré l’abondance des connaissances apportées : il constitue tout d’abord une formidable trousse à outils pour aborder le domaine de l’énergie en géographie, le tout avec un grand soucis pédagogique. Chaque chapitre s’ouvre en effet par une étude de cas dans laquelle un petit dossier documentaire fait l’objet d’une problématique et d’une synthèse ; au bout de l’ouvrage, les huit étude de cas auront permis d’apprendre à aborder la plupart des grands types de documents concernant ce sujet. C’est en cela, notamment, qu’il constitue un outil précieux pour les enseignants d’Histoire et Géographie du secondaire.