Un glaciologue Bernard Francou et une climatologue Marie-Antoinette Mélières font le point sur les effets du changement climatique en montagne : Retrait rapide des glaciers, effondrements, menaces sur l’avenir des stations de ski… depuis trois décennies. Ils en décrivent les mécanismes et leur spécificité en zone de montagne où ils sont lus spectaculaires.

Ce que les montagnes ont à nous dire

Partant de l’imaginaire collectif les auteurs montrent que les montagnes jouent ont un grand rôle dans la régulation du climat à l’échelle de la planète, notamment dans la circulation atmosphérique et ses effets sur la pluviométrie. Ils en décrivent les grands mécanismes, l’intérêt pour la biodiversité et l’adaptation ancienne et récente des hommes à ces environnements : « Des chasseurs-cueilleurs néanderthaliens vivaient dans le Vercors il y a 50 000 ans, alors que de grands glaciers remplissaient encore les vallées principales. » (p. 11). Cette capacité d’adaptation a permis qu’existent de fortes densités de population avant de devenir des lieux d’exode rural avant le développement du tourisme.

Mais aujourd’hui les montagnes sont confrontées au changement climatique.

« Quel avenir se dessine pour les montagnes ? »

C’est à cette question que ce livre entend répondre en prenant appui sur la situation dans les Alpes mais avec des incursions dans d’autres régions du globe.

Le climat se réchauffe

Sous la plume de Marie-Antoinette MélièresEnseignante-chercheuse à l’université Grenoble-Alpes en sciences du climat, elle a été responsable scientifique du site Saga-Science Climat du CNRS, et initié et rédigé la Lettre Changement Global sous l’égide du ministère de la Recherche et de l’Académie des sciences., cinq chapitres décrivent l’ampleur du réchauffement et sa vitesse. Les causes de ce phénomène et les scénarios à venir.

Le climat des montagnes, un écrin pour la vie

La description du climat de montagne est claire et complétée de schémas très parlants : gradient des températures avec l’altitude, effets sur la pluviométrie, dissymétrie des versants, étagement de la flore et de la faune.

Les mécanismes du changement climatique

Du climat local au climat moyen global, les mécanismes sont ici abordés : rôle du soleil, effet de serre, variation solaire et ses conséquences sur les glaciers. Ce qui permet de mettre en évidence les grandes évolutions : glaciations, cycle climatique de 100 000 ans, rôle du CO2.

Brève histoire des climats passés

Les auteurs proposent des repères bien utiles. A noter une intéressante carte de l’emprise alpine du Wurm (p. 40). Les auteurs montrent aussi l’intérêt de ces fluctuations pour la biodiversité : habitat de niche, relictes de la dernière glaciation. Ils décrivent la période interglaciaire de l’Holocène depuis 12 000 ans, le petit âge glaciaire et les effets sur les glaciers alpins

Reproductions de peinture de la Mer de glace (glacier des Bois) en 1820 p. 45
Reproductions de peinture de la Mer de glace (glacier des Bois) en 1820 p. 45
Prendre la mesure du réchauffement en cours
echauffement-2000-2009

Le chapitre 4 est consacré aux données des dernières décennies à l’échelle de la planète : La température globale a augmenté d’un peu plus de 1 °C de 1880 à 2020.

L’augmentation en montagne est, comme aux pôles, plus importante. Les techniques de mesure et des exemples pris sur tous les continents rendent compte du phénomène. Les auteurs rappellent que cette évolution est anthropique. Ils montrent les conséquences sur la banquise, l’enneigement et le pergélisol.

Trois scénarios pour l’avenir du réchauffement

A partir des travaux du GIEC auxquels ils ont été associé, les auteurs décrivent trois scénarios et leurs conséquences, notamment l’impact sur les précipitations.

 

 

Les effets du réchauffement climatique

Les cinq chapitres de cette seconde partie sont l’œuvre de Bernard FrancouDirecteur de recherche émérite en géosciences. Auteur de nombreux articles parus dans des revues scientifiques internationales, contributeur à des rapports du GIEC (Groupe d’experts internationaux pour l’étude du climat). Il est aussi alpiniste, écrivain et photographe..

L’agonie des glaciers

Ce premier impact est très visible sur tous les continents. Son étude progresse chaque jour et le constat est sans appel : un repli synchronisé sur l’ensemble des Alpes mais aussi Amérique, Asie, régions polairesGraphiques d’évolution de 4 glaciers alpins p. 75 et 76 – Graphique de la variations cumulées de la masse des glaciers de montagne dans 17 régions du monde p. 81, les variations portent autant sur la masse de glace que sur les zones d’ablationUn lexique compète utilement l’ouvrage, une fonte accélérée par le déneigement précoce. Des glaciers, comme le glacier d’Argentière ou le glacier d’Aletsch, vont disparaître d’ici 2100.

Le recul de la neige

Dans l’hémisphère nord, depuis les années 1980 l’extension de la couverture neigeuse au sol a diminué. La durée de la saison d’enneigement est, également, devenue plus courte. Ce sont des données difficiles à mesurer du fait de la variabilité interannuelle qui brouille l’impression des usagers du tourisme d’hiver. Cette évolution est surtout sensible en dessous de 1 500 m. Si cette donnée impacte l’économie du tourisme elle a aussi des conséquences sur la disponibilité en eau notamment dans les Rocheuses américaines.

La fonte du pergélisol et les écroulements

Le changement climatique par son intensité et sa rapidité, peut provoquer des catastrophes. L’auteur décrit le phénomène de pergélisol en altitude et ses effets sur la fragilisation des roches susceptible de provoquer des vidanges de glaciers rocheux (glacier rocheux de Marinet, dans les Alpes-de-Haute-Provence) , des écroulementsGraphique du nombre d’éboulements et évolution de la température depuis les années 1930 dans le massif du Mont-Blanc d’après les études de Ludovic Ravanel, Philip Deline et l’équipe de chercheurs basée du laboratoire EDYTEM de Chambéry dangereux qui peuvent déséquilibrer et menacer des installations comme des remontées mécaniques : « Le cas de l’aiguille du Midi retient notre attention, car ce promontoire rocheux de moins de 100 mètres d’épaisseur situé à 3 842 mètres d’altitude surplombe la vallée de Chamonix et supporte depuis 1955 d’importantes infrastructures dont une gare de téléphérique et des constructions annexes. Sur ce site aux multiples faces coexistent un pergélisol froid en face nord à (– 4,5 °C à 10 mètres de profondeur), et un pergélisol tempéré en face sud (– 1,5°C à 10 mètres de profondeur). Les mesures effectuées sur ce site indiquent que le réchauffement du pergélisol est déjà sensible. D’après Ludovic Ravanel (2020), le réchauffement à 10 mètres de profondeur au cours des dix dernières années s’élève respectivement à + 0,8 °C en face sud » (p. 119).

Un château d’eau en péril

Quelle que soit la région du monde les montagnes, en tête de bassins hydrographiques, jouent un rôle déterminant dans la ressource en eau car pour certains fleuves la fonte des neiges et des glaciers représente près de la moitié de leur débit (Indus, Colorado…). Une réduction de l’enneigement affecte le régime de nombreux cours d’eau sur tout ou partie de l’année. Selon Hamish Pritchard, chercheur au British Antarctic Survey à Cambridge, près de 800 millions de personnes qui dépendent des bassins de l’Indus, du Gange, du Brahmapoutre en Himalaya, et plus au nord dans le Pamir et les Tien Shan. L’auteur évoque le cas de la Durance. Pour la saison estivale faut-il s’attendre à des épisodes orageux plus intenses et à des crues torrentielles ?

La haute montagne verdit

C’est un constat la végétation gagne en altitude mais c’est aussi une nouvelle concurrence tant pour la flore que pour la faune avec l’exemple des marmottes qui pourraient bénéficier d’un allongement de la période chaude mais dont on observe une diminution des portées.

Les nouveaux visages de la montagne

Bernard Francou traite dans cette troisième partie des adaptations à trouver : « Finalement, doit-on s’attendre à ce que la montagne devienne de moins en moins attractive et qu’elle subisse un choc économique comparable à celui qui l’a vidée il y a un siècle ? »

La montée des menaces

Comme déjà évoqué dans la partie précédente, la montagne avec la fonte des glaciers et les risques d’inondations va devoir faire face à une montée des risques : rupture des langues glaciaires comme au Weisshorn dans le Valais, l’effondrement de la calotte sommitale et de la paroi nord du Huascarán Norte (6 654 m) au Pérou en 1970 ou en 2016 l’écroulement de deux glaciers au Tibet. Une autre menace bien répertoriée est la vidange brutale des lacs glaciaires ou les grandes avalanches comme le montrent divers exemples (surveillance du glacier de Taconnaz en vallée de Chamonix). On peut ajouter la déstabilisation d’infrastructures par fonte du pergélisol. Dans les Alpes françaises en 2019, le laboratoire EDYTEM a répertorié 950 structures construites entre 2 450 et 4 350 mètres, 12 ont connu des dommages sérieux.

Le tourisme hivernal en danger

Le réchauffement climatique affecte l’enneigement et donc l’activité des stations de ski, surtout à basse altitude. Faut-il continuer à développer les retenues d’eau pour alimenter les canons à neige  ou développer de nouveaux espaces à haute altitude pour le ski aux dépens des espaces protégés ? L’auteur fait un état des lieux de cette activité économique si importante dans les Alpes. Il décrit les nouvelles pratiques touristiques et les efforts de diversification des petites stations, vers un tourisme centré sur le « village de montagne »Exemple de Drouzin-le-Mont dans le Chablais.

L’alpinisme contraint de s’adapter

Une réalité déjà bien présente pour les professionnels de la montagne : itinéraires modifiés, refuges moins accessibles voire fermés (Refuge de la Pilatte en Oisans), évolution de la saisonnalité (de nombreux itinéraires ne sont plus praticables en été) qui entraîne une évolution du métier de guide.

Stress sur l’économie agropastorale et les forêts

Risque de gel printanier accru quand le manteau neigeux n’est plus protecteur, variation pluviométrique, sécheresse sont des facteurs qui affectent aussi bien la forêt que les pâturages. L’auteur constate un recul de l’élevage laitier en zone de montagne. Le maintien d’une activité agropastorale est déterminant et passe par une meilleure valorisation des productions. La description des pratiques d’alpage montre les contraintes mais peut-être aussi les atouts de zones qui devraient conserver un accès à l’eau et peuvent contribuer à l’économie touristique. L’auteur évoque de nouvelles pratiques tant pour l’élevage que pour la sylviculture confrontée à des ravageurs (scolyte de l’épicéa, processionnaire du pin) favorisés par le dépérissement de sécheresse. Or la forêt joue un rôle fondamental en montagne contre l’érosion et l’instabilité des pentes.

Vers une nouvelle vision de la montagne

« Après s’être vidée massivement il y a un siècle et être devenue désormais un espace fréquenté au gré des saisons touristiques, la montagne peut-elle devenir une zone où il fera bon vivre et attirer de nouveaux habitants ? » (p. 207)

Les montagnes ont toujours et en tous lieux été des espaces à la forte symbolique. Des chercheurs se sont penchés sur le lien ou non que les populations font entre recul des glaciers et réchauffement climatiques dans trois régions du monde : dans la Cordillère Blanche (Andes péruviennes), dans les Alpes au Sud-Tyrol, et dans la chaîne des North Cascades, autour du mont Baker (État de Washington). Au Pérou le lien est fait entre le recul du glacier et la baisse de la ressource en eau, Au Tyrol les glaciers sont perçu comme un élément du paysage touristique et le lien est établi avec le réchauffement climatique. Aux Etats-Unis dans cette vallée les habitants se sentent peu concernés par le phénomène.

En France en général la vie en montagne est perçue de manière positive et les données démographiques confirment cette vitalité. D’autre part on assiste à ce que certains nomment « migrants d’agrément », de « touristes résidentiels » qui constituent un atout pour ces territoires en permettant un maintien des services publics. Peut-on pour autant parler d’exode en sens inverse ?

L’heure des choix

« On pourrait dresser une liste des atouts que la montagne conservera dans le monde plus chaud qui nous attend, et elle serait longue….

Encore faut-il qu’elle choisisse le bon modèle de développement pour en bénéficier et en faire bénéficier la société tout entière. De cette question, on n’a pas fini de débattre ! Puisse ce livre apporter de l’eau au moulin… ». (p. 221)

 

Un essai de synthèse destiné au grand public, clair et compréhensible qui a toute sa place dans un CDI de collège comme de lycée. Un cadeau pour un ami climato-sceptique !

Entretien avec les auteurs in La Montagne et alpinisme, 1 décembre 2021 – N°286