Les récentes entraves au transport mondial causées par la pandémie de Covid 19 ou le blocage du canal de Suez par le porte-conteneur Evergreen montrent l’importance cruciale des déplacements dans notre société actuelle. Pourtant, la géographie des transports semble effacée derrière celle des mobilités, concept chargé d’une connotation positive indéniable. C’est pour mieux la faire connaître que Eloïse Libourel, Matthieu Schorung et Pierre Zembri se sont attelés à la rédaction de cet ouvrage articulant les approches scalaires et modales autour de six chapitres.

L’ouvrage débute sur quelques concepts incontournables : l’accessibilité (brute ou intégrant une dimension socio-économique), les modes, les réseaux, la multimodalité et l’intermodalité et bien sûr la mobilité. La géographie des transports s’intéresse à deux branches qui demeurent cloisonnée : celle des marchandises, plutôt mal aimée et celles des personnes qui reste prédominante.

La notion de réseau fait l’objet d’un traitement fourni du fait de son caractère fortement polysémique. Il peut être le support infrastructural (les rails, les câbles…), la catégorie modale (un réseau de métro, un réseau de bus…) et le produit de l’exploitant (le réseau de transports urbains d’une agglomération). On peut également parler de réseau technique (ou réseau support) ou de réseau de service. Les typologies montrent que les réseaux peuvent être en étoiles, maillés ou, mixte des deux, hiérarchisés. Il y a là un véritable enjeu d’aménagement du territoire. La question des connexions est centrale pour éviter au mieux les ruptures de charge. Un bon document, à la page 65, permet d’aborder la comparaison de la chaine intermodale sur deux parcours.

Le lien entre l’échelle spatiale et un type de transport fait l’objet de longs développements. Le transport maritime, par exemple, absorbe 90 % du commerce mondial dont la moitié est organisée autour de 5 compagnies majeures. Le dessin des routes maritimes répond à deux contraintes : physiques (étroitesse, dangerosité) et réglementaires (sens de circulation). Le transport aérien concerne surtout les voyageurs mais aussi un peu un fret précis pour les denrées périssables exotiques. Il demeure sûr malgré quelques crashs. La pandémie récente et une forme d’éco-conscience le remettent un peu en cause.

L’échelle locale permet, quant à elle, d’observer la congestion, les nuisances (sonores, atmosphériques…) et la vulnérabilité. La place de l’automobile est à repenser. Pour la limiter, on tente les péages urbains, les contraintes spatiales (zones 30, interdiction des véhicules les plus polluants avec un système de vignettes) mais ces pistes ne sont pas si probantes car elles ciblent les publics les plus captifs de l’automobiles (les plus loin des centres-villes). Le développement des transports doux (marche, vélo…) doit se renforcer.

Une expression très présente dans l’ouvrage est celle du « dernier kilomètre », une question chère, complexe mais éminemment stratégique. Cela se heurte à la densité : en Ile de France, 80 % des mouvements de marchandises se concentrent sur 20 % du territoire. La pollution des nombreux petits véhicules (qui sont, de fait, adaptés à cette densité) est plus importante que celle des poids lourds qui seraient là. Les livraisons se font à domicile (pour 2/3) ou sur un lieu alternatif (pour 1/3). La comparaison culturelle Paris/New-York est intéressante sur ce point : la récupération en point relais représente 21 % à Paris contre seulement 1 % à New-York (qui, grâce à une forte présence de concierges, voient les livraisons se faire surtout à domicile).

Les politiques publiques se saisissent des enjeux d’accessibilité et de désenclavement, les conflits d’usage à motifs variés et fluctuants (le syndrome NIMBY, la crainte de destruction de sites écologiques, le passage à proximité de sites dangereux…), les futures tensions relatives aux ZFE (les « zones à faibles émissions » déjà rebaptisées « zones de forte exclusion ») qui semblent révélatrices de la déconnexion des dirigeants parisiens avec une base ne pouvant faire autrement que de prendre sa voiture. Les premiers tests concernant la gratuité des transports publics montrent hélas un report de la marche et du vélo vers ces transports publics plutôt qu’une provenance de la voiture.

Le livre évoque également le fait que les infrastructures de transport ont influencé la répartition de la population et les activités humaines mais aussi les formes urbaines. Le rail a accompagné l’exode rural, la voiture a étalé la ville. Les transports aident à structurer l’activité économique et l’emploi mais mesurer un « effet structurant » n’est pas si simple tant de multiples paramètres interviennent dans l’équation. Il est important de tenir compte des territoires et des contraintes in situ pour ne pas proposer de réflexions qui soient trop « hors sol ». Le focus sur les gares est intéressant puisqu’elles sont à la fois nœuds de réseaux mais aussi lieux dans la ville d’où l’importance des aménagements à leurs alentours qui suscitent de grands enjeux économiques et urbanistiques.

Un ouvrage très détaillé qui permet de remettre à jour ses connaissances et ses données sur la question et qui s’agrémente d’un dernier chapitre présentant quelques études de cas, notamment les Etats-Unis, le Grand Paris, la Suisse et le corridor méditerranéen.

A signaler une petite coquille sur le graphique 4.5 de la page 143 qui comporte 5 niveaux de gris dans sa légende alors que la figure n’en montre que 4.