Un livre sur les épidémies, histoire de se changer un peu les idées ? Dite ainsi, la proposition pourrait sembler peu engageante et on risquerait à tort de passer à côté de ce passionnant atlas. Comme toujours, il faut souligner la qualité et la variété des documents proposés dans cet atlas. Guillaume Lachenal, professeur des universités à Sciences Po Paris, a précédemment publié « Le médecin qui voulut être roi » en 2017. Gaëtan Thomas est historien de la médecine et des sciences. Sa thèse a porté sur l’histoire de l’épidémiologie et de la vaccination.
Des épidémies et des lieux
L’épidémie ne se laisse pas définir facilement. En effet, c’est en se déclarant qu’elle accède à l’existence. L’approche par les lieux permet une approche empirique qui croise différents domaines de savoirs et qui rend possible une médecine politique prête à agir sur la société. Cet atlas s’organise selon cinq notions géographiques : planète, carte, territoire, lieux et paysage-environnement.
Du Néolithique à la Peste Noire
Quatre transitions rythment cette histoire. Les auteurs parlent d’abord du « cadeau empoisonné » de la révolution néolithique. La domestication accompagne la sédentarisation. Elle expose les humains à de nouveaux pathogènes aux effets dévastateurs. En une formule, on peut retenir que « les épidémies sont le cadeau létal du bétail ». Il ne faut pas oublier non plus le rôle de l’urbanisation car la taille des communautés est un paramètre critique. Plus tard, les conquêtes romaines ouvrent la voie à un envahisseur discret, le rat noir originaire du sud de l’Asie. La Peste noire du XIVème siècle décima en quelques années de 30 à 60 % de la population. Cependant, le choc démographique causé par la Peste noire n’est pas la conséquence mécanique de l’arrivée de la bactérie mais il s’explique par un effet de conjoncture dans une Europe déjà affaiblie.
Choc microbien et moustique
Un siècle et demi après l’arrivée des Européens, la population des Amérindiens est passée de 50 millions à 6 millions ! Plus tard se posa aussi le problème du moustique. La fièvre jaune véhiculée ne resta pas localisée aux îles sucrières. C’est l’utilisation de la quinine qui changea la donne. Au XIXème siècle, l’arrivée du choléra bouleversa l’Europe. Les vagues de la maladie tirèrent profit des environnements urbains et du progrès des transports, révélant l’envers de la mondialisation. Le livre évoque ensuite le choc de la grippe « espagnole » et montre aussi, qu’à part pour la variole, l’éradication reste un rêve. La partie historique se termine avec le Sida et ses 40 millions de morts.
Les détectives des maladies infectieuses
Au XIXème siècle, l’épidémiologie se constitue comme une discipline à la frontière des sciences mathématiques, de la médecine et de la politique. Des enquêtes menées à la même époque montrent comment la maladie est liée à la pauvreté. L’idée de santé publique émerge peu à peu. Un nom, autrefois inconnu, mérite d’être mis sur le devant de la scène : celui de John Snow. Il réalisa des cartes sur le choléra à Londres. Tout en démontrant la transmission par l’eau, elles permettent d’articuler une représentation visuelle de l’épidémie et une intervention sur sa course. Il faut se rendre compte également que l’élaboration d’une forme graphique de l’épidémie avec ses phases ne date que de la fin du XIXème siècle. Plus tard, en visualisant l’épidémie sous forme d’arbre phylogénétique, il est possible d’enquêter sur ses causes.
Les territoires de l’épidémie : une géographie politique
A partir du XVème siècle, les grands ports méditerranéens se dotent d’établissements permanents, les lazarets, pour se protéger de la peste en retenant en quarantaine les passagers et la cargaison des navires qui arrivent. Cette technique connut son apogée au XVIIIème siècle. En 1851, c’est le début des conférences sanitaires internationales. Les auteurs abordent ensuite le rapport entre épidémie et ségrégation socio-spatiale dans les villes coloniales. La lutte contre les épidémies a laissé une marque profonde dans les paysages urbains des grandes villes tropicales. A partir du début du XXème siècle, la ségrégation raciale est adoptée comme une stratégie de santé publique. A partir de 1902, un remake scientifique de la ruée vers l’Afrique s’engage. L’atlas évoque également la question du typhus et son utilisation par les nazis. Dans la deuxième moitié du XXème siècle, les épidémies passèrent du statut de problème international à celui de sécurité mondiale. Le chapitre se conclut évidemment par le Covid, avec des chiffres de morts qui hésitent entre 6 et 20 millions.
Lieux de confinement : de l’enfermement à l’invention de soi
L’atlas évoque d’abord la politique des sanatoriums. La mise au point des premiers antibiotiques efficaces dès la fin des années 1940 remet en question l’existence de ces établissements. Les auteurs reviennent également sur le cas étonnant de celle qui fut surnommée « Typhoid Mary ». Son cas montre qu’une personne en bonne santé peut tout de même transmettre une maladie. Elle passa 26 ans de sa vie en quarantaine ! Malgré la surveillance obsessionnelle des prostituées, l’Etat échoua au XIXème siècle à endiguer les maladies vénériennes. De façon originale, on trouve également une approche sur la façon de raconter les épidémies. Le récit d’épidémie sert à remettre le monde en ordre en donnant une signification morale à la crise.
Environnements pathogènes
Parmi les transformations liées à la conquête coloniale, le développement des villes, des chantiers et des voies de communication ont créé des milieux favorables à la transmission sexuelle du VIH. A propos d’Ebola ou de Zika, les auteurs soulignent qu’il faut surtout comprendre comment les sociétés humaines, en créant des écologies spécifiques à travers l’élevage du bétail ou l’agro-industrie, déroulent le tapis rouge aux pathogènes. A la page 82, on trouve une carte, un peu anxiogène qui répertorie les 100 principales épidémies d’origine animale depuis 1974. Il y a également une double page sur la maladie de Lyme dont la progression s’explique par la transformation des paysages urbains. L’atlas se clôt par une carte qui recense les traces des épidémies dans les noms de lieux en France.
En conclusion, Guillaume Lachenal et Gaëtan Thomas reviennent sur le fait que, quelle que soit l’épidémie, la courbe rassure car elle suggère une dynamique qui laisse espérer une fin. Quant au Sida, il marque une réinvention du statut des patients et l’émergence de nouvelles formes de militantisme. La forme atlas éloigne l’histoire des épidémies du registre « des leçons du passé » et du spectre d’une histoire répétitive et ennuyeuse. L’atlas permet aussi la reconnaissance de l’individualité des lieux, des évènements et des expériences. Un ouvrage à fortement conseiller.