La géopolitique est partout. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre l’actualité éditoriale des 3 dernières années. Armand Colin (mais ce n’est pas le seul éditeur, cf. Ellipses, Nathan…) a publié pas moins de 10 titres dans la collection Perspectives géopolitiques, dirigée par Yves Lacoste. Ici, comme le souligne René – Eric Dagorn (La géopolitique en mutation, Sciences Humaines, avril 2008, N°192), le titre a de quoi davantage surprendre. Pourtant, l’aménagement du territoire mérite que l’on s’y intéresse sous cet angle. Si les méthodes sont plus pacifiques (que les domaines où l’on a l’habitude d’entendre parler de géopolitique), on est en plein cœur des rivalités de pouvoir pour le territoire. La maîtrise du territoire par le biais des élections pimente les débats. Depuis 2005, et surtout depuis 2007, il y a véritablement territorialisation du débat politique. L’aménagement du territoire est devenu un enjeu politique majeur, parallèlement à la mise sur le devant de la scène de la démocratie participative (par le biais du débat public, notamment). De plus en plus de politiques d’aménagement sont contestées au niveau local (syndrome Nimby) par les habitants. L’époque de « l’ingénieur roi » est finie.
Philippe Subra est maître de conférences et enseigne à l’Institut français de géopolitique de l’université de Paris 8. Il est membre du comité de rédaction de la revue Hérodote.
Des aménagements de plus en plus contestés.
Aménager le territoire aujourd’hui implique d’abandonner une vision technicienne de l’aménagement. La conception conservatoire du territoire (déjà illustrée par le titre de l’ouvrage de Roger Brunet. La France, un territoire à ménager. 1993) implique que pour chaque décision d’implanter une infrastructure, le décideur tienne compte des intérêts contradictoires des acteurs et leurs représentations. Les riverains et les usagers d’un équipement ont bien souvent des visions souvent opposées : vision conservatoire / vision économique visant à accroître l’attractivité du territoire. Le territoire est un espace approprié, l’aménageur ne peut pas faire ce qu’il veut. Les politiques d’aménagement du territoire sont confrontées à des problèmes géopolitiques de tout premier ordre : la remise en cause du modèle français de citoyenneté et de la conception française de Nation avec la ségrégation des populations, par exemple. Il s’agit donc d’analyser les rapports de force entre les promoteurs du projet et ceux qui s’y opposent, de voir quelles sont leurs stratégies. Tel est le projet de Philippe Subra dans ce volume. Pour se faire, il brosse en 300 pages l’histoire de l’aménagement du territoire et montre comment on est passé d’un Etat aménageur tout puissant dans le contexte de l’après seconde guerre mondiale à une politique d’aménagement de plus en plus contestée à partir des années 1970 – 1980. Cette contestation croissante s’explique par un glissement progressif de la conflictualité du champ social vers celui du territorial.
Typologie de l’aménagement du territoire
Philippe Subra dégage trois types de conflits.
– « Le déménagement du territoire » : ce cas de figure touche les exemples où les acteurs locaux se sentent menacés par une décision extérieure (celle de l’Etat ou d’un groupe industriel qui décident de la fermeture de services publics ou d’une unité de production), synonymes pour eux de « désertification ».
– L’ « Aménagement convoité » : ici, les territoires entrent en concurrence pour l’installation d’un équipement.
– L’ « Aménagement rejeté » : cette fois-ci, l’aménagement est contesté par une partie des acteurs en raison des nuisances, y compris sociales (centre d’accueil de SDF, HLM, prisons…) que l’équipement est susceptible d’apporter (phénomène Nimby).
L’auteur décline ensuite ces trois modèles en les illustrant avec des exemples. Si les fermetures de services publics ou d’entreprises sont bien connues, grâce notamment au tapage médiatique qui les accompagnent souvent (ex : 2005, Guéret), en revanche, les cas d’ « Aménagement convoité » sont plus opaques (sauf pour les équipements à enjeux mondiaux comme ITER ou les JO de 2012).
C’est là que l’ouvrage de Philippe Subra apporte des compléments importants.
Ainsi, il décortique l’implantation du Stade de France, d’abord refusée par les maires communistes opposés à la mise en place d’un quartier de haute technologie autour du stade. Ce rejet s’explique par leur préférence pour des équipements industriels, plus porteurs au niveau électoral par la population qu’ils auraient pu employée. Forts du constat de l’échec de cette politique (les entreprises industrielles préfèrent s’installer dans des régions où elles toucheront des primes d’aide à la reconversion ou dans des régions peu syndiquées), les élus ont du se rendre à l’évidence (fortement aidés dans leur réflexion par l’Etat) que le Stade de France permettait de sortir l’espace local du statut de friche industrielle.
Par ailleurs, l’auteur montre bien que les choix d’implanter certains équipements à certains endroits ne tiennent pas du hasard. Ainsi, l’installation d’une antenne du Centre Pompidou à Metz doit beaucoup au rôle joué par J. L. Aillagon, ancien directeur de Beaubourg, devenu ministre de la Culture et étant par ailleurs conseiller régional UMP de Lorraine.
On l’aura compris, à travers ces deux exemples, les rivalités de pouvoir politique et économique sont à la base du type d’ « Aménagement convoité ». On est en plein cœur de la géopolitique locale dont l’enjeu est le contrôle du territoire.
Un bel ouvrage de géopolitique
Les exemples, bien développés et bien analysés, foisonnent dans cet ouvrage. Ce volume est une mine pour le professeur qui enseigne la géographie de la France. C’est un vrai régal que de revivre, par le récit de Philippe Subra, les coteries et autres coups bas qui sous-tendent l’adoption d’un équipement ici, plutôt que là ; ou bien de celui-ci, plutôt que celui-là. On regrettera, tout de même, que l’auteur insiste beaucoup sur les enjeux de la mise en œuvre des politiques d’aménagement et peu sur le fait que la manière d’aménager a profondément mutée. Il n’est plus question aujourd’hui d’offrir les mêmes équipements de manière uniforme sur le territoire. Cette idée est, malgré tout, sous-jacente dans l’ouvrage à travers les exemples des services publics et notamment celui des maternités.
Faire la géopolitique de l’aménagement du territoire est loin d’une idée saugrenue. Les enjeux justifient largement le choix de cette problématique. L’ouvrage de Philippe Subra trouvera donc toute sa place au prochain Festival International de Géographie de Saint Dié des Vosges dont le thème retenu est « Guerres et conflits : la planète sous tension ! ». Les élections municipales de 2008 qui viennent de s’achever, montrent, s’il était encore nécessaire de le prouver, à quel point la maîtrise du territoire est un enjeu crucial pour qui veut influencer sur les orientations de la politique nationale.
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