Cent fois sur la jeunesse remettre son travail
Les éditions du Cavalier bleu proposent un nouvel ouvrage dans leur collection Géopolitique, « état des lieux du monde contemporain » qui a pour objectif d’aborder les questions dans leur globalité afin de « saisir les nouvelles relations de pouvoir ». Valérie Becquet et Paolo Stubbia sont sociologues et s’intéressent dans cet ouvrage à la jeunesse, plus particulièrement, en fait, à l’engagement des jeunes (ou à leur absence d’engagement). Évidemment, ces deux sociologues présentent rapidement la diversité des jeunesses et leur rapport différencié à l’engagement voire les différentes formes d’engagements de ces jeunesses. Un des intérêts de l’ouvrage réside dans le fait qu’il ne s’en tient pas à l’espace hexagonal ni même européen.
En effet, les auteurs n’ignorent pas les autres continents. Ils repèrent, emprunts, circulations des causes et des répertoires d’action ainsi que les différences d’engagements mais aussi de réceptions de ceux-ci entre les espaces. L’ouvrage est organisé en trois parties. La première est un retour sur l’histoire des engagements juvéniles depuis la fin du 19ème siècle avec un accent plus fort sur leurs évolutions depuis les années 1968. La deuxième porte sur quatre grands types de causes et enfin la troisième, la plus novatrice peut-être, sur les injonctions des institutions à l’engagement des jeunes.
« D’hier à aujourd’hui : des jeunesses (dé)mobilisées ».
Cette partie historique a le mérite de commencer avant les événements de mai-juin 1968. Le lecteur y apprendra que l’UNEF (Union nationale des étudiants de France) est née, en 1907, que les communistes comme les catholiques, les fascistes ou les nazis s’intéressèrent de près aux jeunesses et cherchèrent à les encadrer. Après 1945, pendant un temps, seule une minorité des jeunes s’engagent, et, en France, au début des années 1960, nombre de jeunes préfèrent notre Johnny national aux slogans politiques.
Néanmoins, à la veille de 68, « on observe la formation d’une identité spécifique à la jeunesse, ainsi qu’un accroissement de l’intérêt pour et de la participation à la politique » mais sur un mode différent des adultes (p. 34). Les années 68 voient les jeunes s’engager davantage avec des luttes de solidarité internationale, des révoltes étudiantes et lycéennes et la diffusion d’un anti-autoritarisme, aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Italie, au Japon mais aussi au Mexique, à Dakar… et sous des formes propres dans les pays de l’Est… Ce modèle s’essouffle à partir du début des années 1980. Les auteurs, se demandent s’il y a eu « décomposition ou recomposition des mobilisations des jeunes » mais semblent privilégier la deuxième hypothèse.
Les grandes causes juvéniles
La deuxième partie est consacrée aux principales causes qui mobilisent, selon ces auteurs, les jeunes depuis le début de ce siècle. Les causes démocratiques ont participé du développement du mouvement altermondialiste. Malgré le déclin de celui-ci, ces causes ont été portées dans de nombreux pays sous des formes variées : « printemps arabes », Indignés en Espagne, Nuit debout en France, mouvement des parapluies à Hong-Kong et sous d’autres noms aux EU ou au Burkina-Faso… Les causes environnementales se développent partout dans le monde et ce à différentes échelles. Elles peuvent être locales (ZAD, parc Gezi à Istanbul…) ou mondiales (Friday for future). Les causes civiques entendent défendre des « minorités de plus en plus visibles ». Les auteurs regroupent dans cette catégorie : la défense des homosexuels et minorités sexuelles, les luttes antiracistes, les causes féministes qui ne sont pas cantonnées aux EU ou à la France…
Des mouvements de résistance à ces causes, très présents en France de nos jours, se sont affirmés et des jeunes (pas les mêmes sociologiquement souvent) agissent en défaveur du mariage gay, de la libération de la parole des femmes ou des migrants. Par ailleurs, les auteurs présentent la circulation internationale des causes et des répertoires d’action utilisés : recherche de l’horizontalité, refus des leaders, recours aux médias numériques… L’engagement des jeunes est toujours présent mais il est très différent de celui des années 1960-1970. Une sous-partie sur ceux qui s’engagent dans des causes religieuses qui débouchent pour quelques-uns sur le terrorisme aurait pu être ajoutée ici nous semble-t-il.
« L’engagement des jeunes : quand les institutions s’en mêlent »
Cette dernière partie nous semble par nombre d’aspects la plus novatrice. En effet, depuis un certain nombre d’années, les institutions internationales (l’ONU, l’UE) ou nationales (les différents gouvernements) incitent fortement les jeunes à s’engager. Et ce, du fait d’un triple constat : la « défaillance » (celle de la participation des jeunes à la vie politique), la « nécessité (de cette participation pour la vie démocratique) et enfin le « désir » (de s’engager des jeunes). Mais ces injonctions sont contradictoires. En effet, les pouvoirs publics multiplient, le phénomène n’est pas nouveau[1], les commissions, les rapports et les organismes afin d’inciter les jeunes à s’engager.
Néanmoins, il faudrait qu’ils s’engagent comme les autorités le veulent. Ainsi, il est important qu’il y ait des délégués de classe dans les lycées et maintenant des éco-délégués mais quand ils protestent dans les rues ou critiquent une réforme gouvernementale cela ne saurait aller. Pensons aussi à Greta Thunberg, vilipendée par une partie des médias car elle en ferait trop, s’exprimerait avec trop de force et dont l’engagement juvénile serait… excessif. Il y aurait là encore, une volonté d’encadrer les mouvements de jeunesse.
Un ouvrage bref (mais telle est la l’esprit de cette collection), intéressant, stimulant, ouvert à l’international, qui étudie les engagements sous des facettes diverses.
[1] L’anecdote est connue mais croustillante. En janvier 1968, à Nanterre, le ministre de la Jeunesse et des Sports François Missoffe, qui vient de rendre un rapport sur les jeunes est interpellé par un étudiant : « Monsieur le ministre, j’ai lu votre Livre blanc sur la jeunesse. En trois cents pages, il n’y a pas un seul mot sur les problèmes sexuels des jeunes ». Le ministre répond à Daniel Cohn-Bendit : « Avec la tête que vous avez, vous connaissez sûrement des problèmes de cet ordre. Je ne saurais trop vous conseiller de plonger dans la piscine ».