Comte rendu par François Trébosc, professeur d’histoire-géographie au lycée Jean Vigo de Millau.

La Russie vue par les Russes

La Russie vient d’élire son nouveau président en la personne de Dmitri Medvedev. Ce pays bénéficie actuellement d’un regain d’intérêt aussi bien de la part du grand public que des professionnels avec son apparition au programme des concours. Or l’état de la Russie suscite de nombreuses interrogations.

Cet ouvrage a été écrit par des Russes qui apportent ainsi leur vision de la géographie de leur pays. Le Professeur Vladimir Kolossov a assuré la coordination de l’ouvrage. Directeur du Centre d’Etudes Géopolitiques à l’Institut de Géographie de l’Académie des Sciences de Moscou, ce n’est pas la première fois qu’il voit ses travaux traduits en français. A ses côtés, neufs géographes (5 femmes et 4 hommes) de l’université ou de l’Académie de Moscou.

L’ouvrage

Les articles abordent de nombreux sujets. Des plus classiques comme la situation géopolitique de la Russie ou l’organisation régionale, aux plus originaux sur la composition ethnique et la géographie religieuse, sans oublier l’évolution des différents secteurs de l’économie russe.

Un état transcontinental

Cet aspect du territoire russe est présenté en utilisant de nombreuses comparaisons avec les autres états continents, pour faire apparaître ses spécificités : continentalité, immensité, septentrionalité mais aussi asymétrie géographique et formidables ressources naturelles.
Un état transcontinental entre l’Asie orientale et l’Union européenne, avec de nombreux voisins (18 !), des frontières récentes et au tracé parfois imprécis. Celles-ci laissent à l’extérieur de nombreux russes qui sont utilisés par la diplomatie russe pour justifier des positions interventionnistes dans son étranger proche. Tandis qu’à l’intérieur, cette situation contribue à exalter le nationalisme.

De nombreux contrastes

Des contrastes que l’on trouve dans les structures économiques avec des survivances d’héritages de l’époque soviétique : coopératives agricoles, grands groupes énergétiques, un Etat qui n’a pas renoncé à intervenir dans l’économie, bureaucratie, datchas citadines… Et une libéralisation de certains pans de l’économie, en particulier le commerce et les services.

Mais contrastes également dans l’espace et à toutes les échelles. Le poids de la métropole moscovite est une évidence au vu de la concentration des pouvoirs et activités dans la capitale. Celle-ci sort renforcée de l’époque de transition. Elle est à la fois le centre de la Russie et sa principale ouverture sur le monde (accueil d’IDE et de FTN, liaisons internationales), pleinement entrée dans une économie postindustrielle. Le reste de la Russie centrale est parsemé de centres industriels entourés de ceintures d’agriculture périurbaine importante.
L’ouverture sur la Baltique concerne le Nord-Ouest qui va de Kaliningrad à Saint Petersbourg. L’ancienne capitale n’arrive pas à rivaliser avec Moscou sauf sur le plan touristique. Son économie reste largement industrielle et liée à l’exportation des ressources.

Il en est de même du Nord, où les activités du complexe militaro-industriel occupent les populations des ports de Mourmansk et Arkhangelsk. Tandis que les populations des zones rurales exploitent les ressources de la forêt et du sous-sol.

Le Caucase du Nord (qui va jusqu’au bassin du Don) est une zone de terres agricoles fertiles mais où le peuplement mixte entre Russes et non-Russes provoque de nombreuses tensions. Le port de Novorossisk connaît un développement important (1er port russe) pour les échanges de l’Asie centrale. Le tourisme se développe aussi, compensant la perte de la Crimée. Le tourisme d’hiver devrait être stimulé par l’attribution des jeux olympiques de 2014 à Sochi.

Les pays de la Volga et l’Oural restent les régions des grands centres d’industries mécaniques, métallurgiques et chimiques : Iekaterinbourg, Tcheliabinsk, Kazan, Samara, Oulianovsk… Une zone favorisée par la proximité relative des gisements de matières premières, mais qui en paie le coût écologique.

La Sibérie tire profit de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures dans le nord de la Sibérie occidentale et de minerais en Sibérie orientale. Selon les saisons, l’avion ou le bateau sont les moyens de communication privilégiés pour les hommes. Au sud, le long du transsibérien, les bassins industriels de Novossibirsk et du Kouzbass se situent au cœur d’une bande agricole.

Enfin, l’Extrême-Orient, quitté par les Russes, manque de main d’œuvre alors qu’il fait face à des régions chinoises très peuplées…
Inégalités à l’intérieur des régions entre centres urbains et Russie rurale. Seuls les espaces périurbains, la zone des terres noires et le Nord Caucase développent une agriculture performante. Ailleurs les campagnes et villages se vident, le territoire est laissé à l’abandon à l’exception des villages miniers.

Enfin, les contrastes sont aussi importants dans les centres urbains. Sur le plan résidentiel, avec des immeubles de standing moderne qui poussent au milieu des grands ensembles des années 50 et 60 destinés à loger rapidement une population ouvrière. A la périphérie les datchas des nouveaux russes côtoient celles des ouvriers qui y cultivent fruits et légumes. Contrastes spatiaux dans la répartition des activités, ces villes construites pour et autour des usines, voient celles-ci fermer et devenir des friches. De nouveaux centres apparaissent aux fonctions tertiaires affirmées : centres commerciaux, centres d’affaires…

Des pesanteurs importantes

Les conditions naturelles sont présentées dans les articles généraux ainsi que dans les études régionales ce qui fait ressortir les contraintes liées au climat et à la distance ainsi que les nuances existantes dans l’occupation de l’espace à l’échelle régionale.

La place accordée au facteur historique est importante dans la plupart des articles. Elle nous permet de mieux appréhender la complexité de la mosaïque ethnico-religieuse de cet état fédéral aux 89 sujets.

La situation dans le Caucase du Nord et en Tchétchénie apparaît sous un angle nouveau une fois replacée dans le contexte général de la recentralisation du pouvoir dans toute la Russie après la période de désorganisation qui a suivie la fin de l’URSS. Une lutte d’influence entre le pouvoir central et les régions qui entraîne de nombreux compromis et a des retombées sur le développement économique et le partage des revenus tirés des ressources.

Le poids de l’héritage soviétique et de son complexe militaro-industriel est mis en valeur pour expliquer les difficultés de nombreux secteurs de l’économie qui ont sinistré des régions entières de Russie. Mais cet héritage se trouve aussi dans l’agriculture où les paysans préfèrent encore les fermes collectives tandis que les lopins individuels continuent à assurer une part importante des productions.

Les problèmes d’un réseau de transport hérités de l’époque soviétique sont mis en évidence. Il faut faire face à la disparition des débouchés traditionnels sur le monde (ports baltes et ukrainiens) en modernisant les ports existants et en renforçant leurs liaisons avec l’arrière pays. Des liaisons doivent être aménagées vers les partenaires prometteurs que peuvent être la Chine ou le Japon. Le réseau routier insuffisant et en mauvais état, est en cours de modernisation pour gérer un trafic en pleine expansion.

Les transports sont un élément clef du développement de la Russie, nécessaires pour le transport des ressources pour l’industrie russe et pour l’exportation des produits énergétiques qui fournissent les devises sources de redéveloppement. Ils pourraient être amenés à jouer un nouveau rôle en permettant à la Russie d’être un lieu de passage entre l’Asie orientale et l’Europe.

L’évolution démographique n’est pas oubliée faisant apparaître l’originalité de la démographie russe tout au long du 20° siècle : urbanisation tardive, nombreux accidents démographiques liés à l’histoire. Ainsi que la situation actuelle : une Russie au solde naturel faible mais foyer d’immigration…pour les Russes et les ressortissants de l’étranger proche.

Un ouvrage intéressant

Un ouvrage qui permet de mieux décrypter la nature de la Russie actuelle et qui est intéressant à divers titres. Par la nationalité de ses auteurs, il apporte un regard différent dans la perception de certains sujets. Les documents fournis sont récents, nombreux, et de nature diverse, on peut juste regretter qu’il n’y ait pas plus de carte thématiques.

Ce livre comblera ceux qui préparent les concours, comme les professeurs du secondaire soucieux de mettre à jour leurs connaissances sur ce pays ou ceux soucieux de mieux connaître cette ex-(future ?) grande puissance.

©Les clionautes