Nourris par la même illusion que les Britanniques du début du XXe siècle, les Européens d’aujourd’hui ne semblent pas voir venir le péril. Au tournant de la Première Guerre mondiale, l’ancienne métropole qui dominait le monde se voyait bientôt rattrapée puis dépassée par la puissance montante de l’autre côté de l’Atlantique. Dans les temps présents, alors que les prédateurs ne manquent pas, les Européens peinent à élaborer une stratégie cohérente pour leur résister.

Ce constat bien sombre est mis en évidence dans un essai très bien documenté que l’on doit à François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et ancien président de l’International Institute for Strategic Studies de Londres. Géopolitologue chevronné, l’analyste tente de mettre en évidence les logiques de prédation que subit l’Europe de la part de la Chine, la Russie et les États-Unis.

Ancien partenaire sur lequel les Européens ont pu compter tout au long du XXe siècle, les États-Unis semblent désormais faire cavalier seul. Cette logique atteint son paroxysme avec Donald Trump qui érige l’unilatéralisme en boussole des relations internationales. Mais le chercheur montre bien que cette incapacité américaine de faire confiance à ses anciens partenaires remonte au début des années 2000. La guerre de Georges W. Bush en Irak ou encore le revirement de Barack Obama concernant une potentielle intervention en Syrie en 2013 l’avaient déjà mis en évidence.

Ne sachant plus compter sur ce partenaire, les Européens se retrouvent désormais bien seuls face à la Russie qui semble ne plus se satisfaire du déclin qu’a symbolisé pour elle la fin de l’URSS. Puisque l’appétit vient en mangeant, l’annexion de la Crimée en 2014 n’a pas permis d’assouvir la faim de puissance de la Russie postsoviétique qui témoigne au Moyen-Orient ou en Asie centrale de ses ambitions. Le récent changement de constitution entérinée par les Russes ne fait qu’illustrer cette ambition incarnée par Vladimir Poutine.

La principale menace vient cependant de la Chine qui a érigé 2049, date du centenaire de la proclamation de la République populaire de Chine, en horizon à la fois proche et lointain pour retrouver sa puissance passée. La restauration de l’Empire du milieu n’en est encore qu’à ses débuts mais ses ambitions dépassent désormais son seul environnement proche comme le prouvent tour à tour sa politique des nouvelles routes de la soie ou de manière plus insidieuse encore son ambition technologique. Avec la précision dont seul le spécialiste a le secret, François Heisbourg s’appuie notamment sur le déploiement mondial de la 5G comme moyen mobilisé par la Chine pour « profiter, influencer, détacher, intégrer et intervenir », au cœur d’un chapitre au nom évocateur : « Chine : que le cauchemar commence ».

Face à cette triple menace, l’Europe ne semble plus être sous la plume du géopolitologue qu’un « mot qui tue ». Faute de véritable vision stratégique continentale, les Européens semblent condamnés à subir un inéluctable déclin. Confrontée de surcroît à des défis transversaux tels que le terrorisme où les migrations, l’Europe semble incapable de réagir et au contraire condamnée à la division. Vous l’aurez donc compris, l’auteur nous propose à travers ce Temps des prédateurs une analyse implacable des relations internationales contemporaines qui n’invite pas à l’optimisme, même s’il se défend de sombrer dans le déclinisme à travers un Post-scriptum qui invite au sursaut : « il ne tient qu’à nous d’éviter une telle issue ».