« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? ». Cette phrase du président français Emmanuel Macron aurait pu servir de phrase introductive pour démontrer l’intérêt fondamental de l’ouvrage de Sylvestre Huet. Expliquer la réalité des changements climatiques, détailler la chronologie des multiples avertissements depuis plus d’un demi-siècle et questionner l’avenir de notre civilisation ; c’est un programme ambitieux parfaitement maîtrisé dans ce livre qui questionne d’autant plus les amnésies de certains responsables politiques.
Sylvestre Huet est journaliste, diplômé d’histoire à l’Université Panthéon-Sorbonne. Spécialisé dans les questions de science dès 1986, il créa le blog {Sciences²} pour le journal Libération en 2008 avant d’être hébergé à partir de 2016 sur la plateforme numérique du journal Le Monde. Il dispose d’une biographie imposante sur les questions scientifiques, notamment autour des questions climatiques (Quel climat pour demain ? (2000) ; Le climat en 100 questions (2020)) mais également autour du nucléaire (Nucléaire : quels scénarios pour le futur ? (2012). Il fut également récipiendaire de prix comme le Prix Diderot-Curien (2012), le prix de l’Union rationaliste (2015) et le prix de l’information scientifique à destination du public décerné par l’Académie d’agriculture (2019). C’est d’ailleurs dans un esprit de vulgarisation et de transmission que s’inscrit ce livre.
La préface est signée par le climatologue Jean Jouzel, membre lui-même du GIEC de 2002 à 2015. Présentant son parcours comme rédacteur principal du second et troisième rapport, il insiste sur la crédibilité du travail de Sylvestre Huet et permettre aux lecteurs de « comprendre le rapport sans en lire les milliers de pages » (p°12). Par la « vulgarisation des principaux résultats et explications complémentaires » (p°12), Jean Jouzel rappelle la qualité majeure de l’auteur par sa capacité à « faciliter la diffusion » (p°13).
L’auteur démarre son introduction par « Une brève histoire du changement climatique et du GIEC » (p°15). Il apparait vite évident que les causes ne sont plus questionnables (les sociétés humaines) et l’impact anthropique de nos consommations d’énergie fossile est mis en avant par le prix Nobel Svante Arrhenius « dès 1896 » (p°17). Cependant, l’accélération de cette prise de conscience durant les années 1970-1980 ont permis la prise en compte systémique des changements climatiques. L’introduction insiste sur la dimension politique du GIEC notamment sur son « organisation hybride » (p°21), servant à la fois de réponse à la demande d’informations des gouvernants mais avec un vote à l’unanimité (une voix par pays) pour chaque mot inscrit dans les différentes parties du rapport. La démarche reste scientifique, reposant sur l’ensemble des productions scientifiques mondiales et avec la participation des plus grands experts climatiques. L’auteur insiste d’ailleurs sur le rôle du GIEC qui n’impose ou « ne préconise » car ne peut « recommander une quelconque politique » (p°25). Cette introduction permet également de rappeler qu’au-delà de problématiques biophysiques, les enjeux sont également socio-économiques, notamment pour les pays en développement (p°35). La difficulté réside également dans la réception au sein de l’opinion publique, notamment face au climato-scepticisme (sous-partie « Un fleuve tranquille ? »). L’introduction s’achève sur un « Guide de lecture » de l’ouvrage. Chaque argument est présenté sous l’angle de la rédaction du GIEC (petit symbole « GIEC ») et accompagné de l’explication de l’auteur (petite flèche).
Chacun des trois chapitres du livre reprend les trois principaux rapports constitutifs du GIEC. Le premier chapitre se nomme « La physique du climat » (p°47). Il est question d’interroger les évolutions du système climatique et leur causalité (« l’influence de l’activité humaine sur le réchauffement du système climatique a évolué de la théorie à un fait établi », p°48). Chaque critère est ainsi détaillé avec l’ajout parfois d’une infographie spécifique, dont on pourra noter la qualité et la lisibilité. Les problématiques apparaissent multiples avec des faits établis depuis longtemps et maîtrisés de tous (« L’effet de serre s’intensifie », p°49 ; « La température planétaire grimpe », p°57). De nouveaux enjeux sont également traités comme la transformation des océans (p°69), l’augmentation des extrêmes météorologiques (p°73). La dimension énergétique apparait comme le principal facteur explicatif et permet d’envisager les différents scénarios stratégiques pour le futur du 21ème siècle. Une carte permet d’ailleurs d’estimer le réchauffement futur pour un scénario moyen en émission et marquée par de fortes inégalités régionales entre des pôles qui se réchaufferont énormément par rapport au reste du monde (p°87). L’irréversibilité de certains changements est clairement expliquée (p°94).
Le rapport du groupe 2 concerne les « impacts, adaptations et vulnérabilités » (p°109). Cette dimension intègre les sciences économiques et sociales par l’intermédiaire des conséquences pour les écosystèmes et les sociétés. La géographie peut d’ailleurs servir de relais important comme le montre l’importance du concept de « risque » (p°111). Penser les problématiques biophysiques n’a pas de sens si l’on néglige les facteurs anthropiques nombreux et leurs possibles conséquences. L’intérêt du GIEC pour le développement permet de montrer que les inégalités accentuent les difficultés des populations pour s’adapter aux changements majeurs de la planète. Les impacts économiques de l’inaction climatique sont défavorables (p°124) et la vulnérabilité dépend aussi du développement économique (p°129). La santé, l’agriculture et la biodiversité connaissent tous une dégradation qui va en s’accentuant.
Le groupe 3 questionne la thématique de « l’atténuation du changement climatique » (p°165). Ce groupe d’experts questionne la réalité des progrès et des enjeux concernant les gouvernances étatiques, notamment en terme de sobriété. La classification « progrès-défi » (p°166 à 172) démontre un ensemble défavorable où les progrès sont largement déficitaires face à ce qui doit être réalisé pour progresser. Les gaz à effet de serre restent en augmentation (p°172) malgré l’amélioration du système économique des énergies renouvelables (p°179). L’action des politiques apparait également dans de nombreux États et questionne l’existence d’une politique globale climatique volontariste. Certains processus d’action montrent également des faiblesses comme la captation de dioxyde de carbone (p°191), la mutation de certains secteurs industriels (p°193) ou la transformation de l’offre de transports (p°199). Il ressort également d’un besoin de décroissance et d’une remise en cause du modèle capitaliste, très consommateur en ressources essentielles (même pour une industrie dite « verte ») et source d’inégalités (p°216). L’ouvrage se termine sur une série de réponses simples pour l’avenir de l’humanité (p°223) : renforcer l’action climatique via des taxations carbone, un manque d’investissement malgré des ressources financières existantes, une meilleure répartition des richesses et une meilleure coopération internationale.
C’est un ouvrage édifiant, parfois même déprimant face au gouffre qui s’offre à nous. La démarche de Sylvestre Huet se veut la plus neutre et précise, à l’instar de ce que produit le GIEC. Cependant, les révélations constitueront une prise de conscience majeure pour de nombreux lecteurs. Il permet de montrer le rôle conjoint des sciences naturelles et humaines pour expliquer les conséquences humaines de l’évolution du climat. Tout professeur de sciences de la terre mais également de géographie ou de sciences économiques et sociales trouvera les connaissances nécessaires pour traiter sérieusement ces problématiques. Sortir de l’idéologie pour s’appuyer sur les faits permet de dépassionner la question, battant en brèche le climato-scepticisme. Le livre joue aussi un rôle d’informateur citoyen, montrant ce qu’on peut attendre de nos gouvernants pour mettre en place une action climatique sérieuse. C’est donc un excellent compromis pour disposer d’une synthèse efficace et pédagogique du GIEC.