De façon très provocatrice, le critique de cet ouvrage aurait envie d’écrire en accroche, que l’Arabie Saoudite, état de construction récente, repose sur une sainte trinité : une famille royale issue des tribus de la péninsule arabique, l’islam « pur », appelé wahhabite, et le pétrole sous contrôle indirect des États-Unis. Les trois colonnes de cet édifice actuellement ébranlées résistent pour l’instant.
Les défis socio-économiques d’une Arabie plurielle
Divisé en trois parties l’ouvrage s’ouvre sur une présentation de l’Arabie plurielle, plus complexe, et moins homogène que ce que l’on croit généralement.
Le premier État saoudien naît en 1744 d’une alliance entre un chef de tribu, Ibn Saoud et Abd El Wahhab, un prédicateur musulman.
Ce dernier prône une version rigoriste de l’Islam, du point de vue de ses principes, notamment la conception d’une unité absolue de Dieu, très éloignée de celle des Chiites par exemple.
Les wahhabites ne s’appellent entre eux que muwahhidun, les unitaristes. Parmi les quatre écoles juridiques de l’Islam, ils se réfèrent aux hanbalites.
Le second État saoudien, qui est fondé par un descendant de Ibn Saoud est détruit par les Turcs en 1891, date de naissance de Abd El Aziz Abd El Rahman Ibn Saoud, le fondateur de l’Arabie Saoudite moderne en 1932…
Six ans plus tard, les premières gouttes de pétrole jaillissaient d’un sous sol censé contenir pour près de 80 décennies d’or noir, au rythme actuel.
Au passage, et pour en rajouter un peu dans les contentieux, l’un des chefs de la dynastie, Abd El Aziz Saoud Al Qabir, (dit le grand), a été à l’origine de la destruction de Kerbala, en Irak, la ville Sainte des Chiites.
La population de ce pays est difficile à quantifier, en raison de la mauvaise volonté des autorités. Elle est raisonnablement estimée à 17 millions d’habitants dont 4,6 millions d’étrangers, ce qui représente quand même 27 % de la population. La population augmente rapidement, avec un taux de croissance de 3.3% et un indice synthétique de fécondité de 6.3 enfants par femme.
Par contre, le caractère nomade la population appartient désormais au folklore, même si c’est un mythe fondateur, avec 5 % de non sédentaires, contre 85 % d’urbains.
Dans cette population, et nous touchons là un sujet sensible avec l’Irak et l’Iran voisins, on trouve 7% de chiites, qui représentent 59 % de la population active.
Dans ce pays où les femmes sont considérées comme des créatures inférieures, celles-ci commencent à jouer un rôle important, même si elles n’accèdent pas au droit de vote, timidement introduit pour des élections muncipales cette année, d’abord grâce à la scolarisation mais également grâce à un accès aux médias occidentaux. Inexorablement l’on assiste à une montée de la contraception et des divorces. Pourtant, les femmes ne conduisent toujours pas de voiture!
Des réformes nécessaires, recherche de stabilité interne
Les institutions du royaume suscitent évidemment l’étonnement. On y trouve un parlement dont les membres sont cooptés sans pouvoir de décision, le Majlis. Bien entendu, dans cette monarchie absolue, la décision finale appartient au Roi, mais ce parlement aurait tendance à s’exprimer actuellement d’avantage sur l’évolution de la société et sur les défis que ce mode de fonctionnement entraîne.
Le Royaume est divisé en 13 provinces, dirigées par des gouverneurs issus de cette tentaculaire famille royale de 6000 membres qui contrôle le pays. Il est vrai que le fondateur de l’État, Abd El Aziz Ibn Séoud, avec ses 17 épouses, a pu largement alimenter le pays en princes héritiers.
A ce propos, les problèmes de successions, sont actuellement à l’ordre du jour. Le Roi Fahd, sur le trône depuis 1982, ne gouverne plus depuis 1994, et les deux princes héritiers, le prince Abdallah, qui dirige le pays, et Al Sultan, qui tient l’armée, ont respectivement 80 et 81 ans… D’où le problème du passage de relais aux arrières petits enfants d’Abd El Aziz Ibn Séoud. L’un de ses petits fils qui pourrait régner sous le nom d’Al Saoud et aurait tout de même 65 ans! Place aux jeunes aurait-on envie de dire !
Le Royaume repose sur des alliances entre les 30 tribus qui composent la population, et sur ce pacte de 1744 entre les Oulémas et la Saoud. Ces Oulémas sont présidés par le Grand Mufti Abd El Aziz Ben Abdallah Ben Mohammed Al Cheikh.
Ce grand Mufti, en accord avec la famille royale intervient dans la vie sociale a travers la commanderie pour la promotion de la vertu et l’éradication du vice. Il s’agit des redoutables Muttawa, 3500 hommes ayant comme mission de traquer les femmes non voilées, les musulmans mauvais pratiquants sans compter les comportements obscènes, comme la conversation directe entre deux personnes de sexe opposé. (!)
L’opposition commence pourtant à se développer, même si elle est totalement contraire aux principes de l’Islam. Il existe clairement un malaise qui s’exprime, y compris par une sorte de schizophrénie. Ce pays puritain est le premier consommateur de vidéos X et, selon certaines rumeurs, de whisky, du monde arabe.
Les oppositions ne sauraient venir de l’armée, suréquipée et privilégiée et surtout sous contrôle du prince Al Sultan. Dans la famille royale par contre, les ambitions à la succession du Roi Fahd sont nombreuses, mais pour l’instant sous le boisseau. Il n’empêche qu’à certaines époques, l’assassinat politique en famille n’était pas inconnu chez les Saoud. Le Roi Faysal en fit les frais en 1975.
La véritable opposition pourrait venir des chiites, largement victimes d’une discrimination sociale, mais elle s’exprime pour l’instant de l’intérieur des Oulémas reprochant aux Saoud leur corruption, leur luxe insolent. En 1979, à l’occasion du grand pèlerinage, un jeune de 30 ans, Mohammed Al Qatani a pris le contrôle de la mosquée et la Mecque, et en fut délogé par le GIGN.
Enfin, depuis 1994, Oussama Ben Laden, déchu de sa nationalité saoudienne, et ses partisans dans le pays menacent la stabilité du pays, depuis les attentats de Riyad en 2003.
Pétrole et modernité
Le pétrole a fait rentrer l’Arabie Saoudite dans la modernité. Les premières extractions en 1938 par l’ARAMCO, une compagnie mixte saoudo-étasunienne ont permis au royaume de s’asseoir sur un confortable matelas de dollars, largement gonflé par les chocs pétroliers de 1973 et 1979 et revalorisé par la crise actuelle de l’énergie.
A la tête de l’OPEP car disposant de près de 26 % des réserves mondiales, l’Arabie Saoudite est amenée à influencer largement les cours du pétrole au fur et à mesure que les autres gisements arriveront à épuisement. Le pays doit concilier la volonté de maintenir des cours élevés pour financer son développement, et suffisamment bas pour ne pas casser le développement économique de ses clients, en évitant de surcroît que ces derniers ne se tournent vers des énergies de substitution.
Le pays est victime de ce pétrole qui a largement gonflé ses avoirs financiers mais qui a eu tendance aussi à favoriser des comportements dispendieux de la population, une population saoudienne peu qualifiée et qui doit faire appel pour des secteurs techniques à l’étranger.
La place de l’Arabie Saoudite sur la scène internationale, recherche de sécurité et volonté de présence
Les dirigeants saoudiens sont largement conscients de leur vulnérabilité; leur armée luxueusement équipée n’a jamais vu le feu, et reste largement dépendante des technologies américaines. Cela n’a pas empêché le pays de s’offrir dans les années 80 des missiles à longue portée de fabrication chinoise. Mais cette tentation a fait long feu ensuite.
Depuis 1981, et la révolution iranienne de 1979, le pays est le socle d’un accord politique, devenu Union douanière en 2003, le conseil de coopération du Golfe. Ce groupement est profondément divisé d’ailleurs, notamment avec le Qatar qui joue le jeu d’une démocratie télévisuelle avec Al Jazirah.
Toutes les questions frontalières qui menaçaient l’intégrité du royaume ont été peu à peu réglées, y compris avec le Yémen que les Saoudiens redoutent en raison de la présence de chiites zaydites.
Dans les relations avec l’Irak, celles-ci ont évolué de la haine en 1990, lorsque Saddam Hussein, le sunnite a menacé d’invasion les lieux saints de l’Islam, à une recherche de coopération avant l’intervention étasunienne que les Saoudiens ont condamnée, au moins en paroles.
Pour l’Iran, la situation est tout de même plus complexe. Entre les 17 millions de Saoudiens, (dont près de 5 millions d’étrangers), et les 69 millions d’Iraniens, le jeu n’est pas égal. L’armée saoudienne ne pèserait pas lourd face à une armée iranienne qui a déjà connu une guerre de plus de dix ans contre l’Irak.
De fait, les Saoudiens ont multiplié depuis 2002 les signes d’apaisement en direction de Téhéran, favorisent le hadj (pèlerinage) des chiites à la Mecque, et se retrouvent d’ailleurs sur la même ligne que l’Iran lors des réunions de l’OPEP.
En fait, au niveau pétrolier, les difficultés des États-Unis en Irak pour relancer la production du deuxième pays pétrolier du monde, sont plutôt favorables aux Saoudiens, qui profitent de prix élevés en raison d’une pénurie créée artificiellement au départ mais suscitée par la croissance asiatique.
Autre moyen d’expression de ce pays, le prosélytisme islamique, mis en sourdine depuis les attentats du 11 septembre qui ont déclenché dans les relations avec les États-unis une véritable crise jusqu’en 2002. Une partie de l’opinion publique américaine a stigmatisé ce pays, « obscurantiste », « corrompu », « intolérant ».
Les lieux saints sont également un moyen d’affirmation de l’Arabie Saoudite dans le monde musulman et une belle source de revenus. Le royaume dépense 500 millions d’euros par an pour recevoir les pèlerins mais les recettes en terme de retombées sont estimées à 5 milliards d’euros. (Charité islamique bien ordonnée commence par soi même.) La dynastie des Saoud se considère comme gardienne des lieux saints de l’Islam.
Le pays cherche également peser dans le conflit israélo-palestinien. En février 2002, le prince Abdallah a proposé un plan de paix impliquant une reconnaissance d’Israël, ce qui constituait déjà une avancée considérable. Depuis, la feuille de route de 2003, proposée par G. Bush, mais surtout la reprise de l’Intifadah et la politique de Sharon ont tout bloqué.
Il n’empêche que pour les Saoudiens, au delà du conflit israélo-palestinien, c’est surtout la référence à la mosquée Al Aqsa, et à Jérusalem al Qods, qui joue le rôle le plus important. Cela permet également aux Saoudiens de ne pas poser le problème politique de l’État palestinien un État que cette monarchie regarderait avec une méfiance non dissimulée, sauf s’il devenait islamique, ce qui serait peu probable.
Dans leurs relations avec les États-Unis, les Saoudiens ont fait un mariage de raison, depuis plus d’un demi siècle. Comme dans les meilleures unions, il y a eu en 2002 de gros tiraillements, liés à la présence des troupes américaines sur la terre sainte, et bien entendu à la nationalité des terroristes du 11 septembre…
Pour le reste, Il s’agit évidemment d’intérêts mutuels. Les États-Unis sont les premiers clients du pétrole saoudien, et ont vendu au royaume depuis 1991 pour plus de 35 milliards de dollars d’armement. De plus, les Saoudiens disposent de 700 milliards de dollars d’avoirs aux États-Unis, sans compter le rôle des capitaux flottants sur les changes mondiaux, des monarchies.
Pour autant, les saoudiens, savent qu’il ne pèseraient pas lourd en cas de fin de du soutien étasunien à leur équilibre interne, ce qui explique sans doute ce mariage de raison qui a eu, depuis 2001, tendance à connaître des tensions multiples.
Pays qui repose sur un synthèse stratégique, entre le pétrole, le monde arabe, et l’Islam, l’Arabie saoudite est confrontée au défi de la modernité. Son importance dans l’économie mondiale du fait du pétrole et son importance spirituelle pour 1,4 milliard d’hommes et de femmes dépasse largement sa population de 17 millions d’âmes et sa famille royale de 6000 personnes. Son luxe peut sembler insolent aux yeux de centaines de millions de musulmans misérables qui pourraient trouver dans l’affirmation fondamentaliste des raisons d’espérer.
Bruno Modica
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