L’histoire des femmes s’enrichit peu à peu de nouvelles biographies qui nous permettent de découvrir des personnalités féminines engagées qui, au XIXe siècle, œuvrent pour la reconnaissance de leurs droits. Depuis le mois de février dernier, Liesel Schiffer nous propose à son tour une biographie d’Olympe Audouard, une des figures de proue du féminisme du XIXème siècle.
Liesel Shiffer a été éditrice et journaliste avant de se consacrer à l’enseignement, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages d’histoire dont Femmes remarquables au XIXe siècle paru chez Vuibert en 2008. C’est donc en toute logique après cet ouvrage général qu’elle se penche sur cette représentante majeure du mouvement féministe sans doute moins connue du grand public siècle que d’autres personnalités (Olympe de Gouges, George Sand …).
Si les deux citations du début de l’ouvrage, l’une de Patrick Boucheron et l’autre d’Adèle Haenel parue sur Mediapart en novembre 2019 peuvent sembler décalées et prêter à discussions, le chapitre introductif intitulé « fille du mistral et du choléra », débute sur un extrait de ses Mémoires publiés en 1884. Elle a alors 52 ans.
Parcours d’Olympe Audouard
Olympe Félicité de Jouval est née à Marseille en mars 1832 (année qu’elle ne mentionne pas, sans doute par coquetterie dans ses mémoires) année marquée par une épidémie de choléra dévastatrice, celle qui inspire plus tard Jean Giono dans Le Hussard sur le toit. Issue d’une famille bourgeoise qui s’installe à Saint-Julien, Olympe reçoit une éducation particulière. « Élevée en garçon par son père » un rentier nostalgique de l’Empire rapidement veuf qui passe pour un original, elle apprend à lire avec un officier polonais réfugié. Après avoir traversé une crise mystique et envisagé de prendre le voile (comme Sarah Bernhardt), elle finit par renoncer sous pression des sœurs et de son père.
L’ouvrage se découpe ensuite en 5 parties thématiques. La première est consacrée à « Olympe et les hommes ». Naturellement cette première partie revient sur son mariage à 20 ans, de « sombres noces » pour reprendre l’expression employée (page 37) qui la traumatise et provoque chez elle un jugement sans appel à l’égard de son mari Henri-Alexis Audouard qui pourtant, comme le mentionne l’auteur « ne fut probablement pas le monstre froid évoqué par Olympe, plutôt sans doute un notable de province au comportement banal » (page 39). Au bout de quelques mois, elle demande la séparation de corps. Elle met 35 ans à obtenir le divorce. C’est l’occasion pour Liesel Schiffer de revenir sur la législation de l’époque en matière maritale, et d’évoquer le combat en faveur du divorce égalitaire.
Ses relations avec les hommes de son temps, avec en tête de liste Alexandre Dumas père, Théophile Gautier et Victor Hugo qui furent ses protecteurs (et davantage…) sont évoqués. Liesel Schiffer fait la part belle à des extraits provenant à la fois de lettres privées et d’articles de presse. Sa relation avec Victor Hugo est plus particulièrement développée, ce dernier étant l’objet d’une admiration sans bornes de la part d’Olympe qui ne cesse d’entretenir avec l’auteur des Misérables une relation forte tout au long de sa vie. La mention de son entrevue avec Lamartine fait sourire à l’évocation d’un individu imbu de lui-même, très loin de la légende que celui-ci cherche à entretenir.
La seconde partie intitulée « la papillonne » revient sur la carrière de journaliste entreprise par Olympe dans un contexte général d’effervescence journalistique que développe Liesel Schiffer dans le chapitre « Paris, capitale des journalistes ». Si, au départ, il s’agit d’écrire pour « gagner son pot-au-feu » (page 85), très vite Olympe affirme par cette activité ses opinions personnelles. Elle décide de fonder son propre journal, éphémère, intitulé le papillon. Si le but n’est que de divertir son lectorat, sa plume est déjà acerbe et n’hésite pas à poser certaines vérités comme la dureté du métier de journaliste (page 102). Mais Olympe doit également affronter la censure, la surveillance et des poursuites judiciaires pour les propos publiés : la presse n’est pas libre sous le Second Empire.
La troisième partie intitulée « autour du globe » revient sur les nombreux voyages effectués par Olympe après la finalisation de son divorce en 1855, et les publications qui en découlent. En effet, entre 1867 et 1881 elle publie sept récits de voyages dont L’Orient et ses peuplades (où elle rapporte sa rencontre épique avec Abd el-Kader), Les mystères de l’Égypte dévoilée, (l’Égypte figure comme fonds de commerce d’une grande partie des conférences données par Olympe jusque dans les années 1880) ou encore A travers l’Amérique, le Far-West.
Liesel Schiffer nous livre une analyse assez fine de la pensée d’Olympe Audouard à travers ses récits et ne manque pas de souligner ses contradictions, signe qu’elle ne cède pas à la fascination de son sujet. Ainsi, si elle s’enthousiasme des droits dont jouissent les américaines, pour autant la liberté de mœurs et d’attitude qui en découle et qui accompagne ce libéralisme la choque, signe que le féminisme parfois cède à une forme de morale conservatrice, tandis que l’américain en général et en tant qu’individu trouve difficilement grâce à ses yeux. Mais de l’autre elle s’extasie sur la modernité que représentent les chemins de fer américains, de l’impression du ticket au service des wagons. Elle n’hésite pas également à prendre la défense des Mormons, persuadée que les femmes de la communauté jouissent d’une forme de liberté inédite puisque la loi les autorise à divorcer.
Autre sujet brûlant qu’elle aborde : la question de l’esclavage et son abolition et n’étant pas à une contradiction prête, alors que dans son journal en 1863 elle prenait parti pour le Nord abolitionniste, elle n’hésite pas à prendre pour argent comptant les personnes lui ayant exprimé des regrets concernant leur ancienne condition d’esclave. Elle cède au travers colonialiste face aux Indiens jugés agressifs, sauvages et sanguinaires tandis que le colonisateur héroïque fait preuve de courage (page 227) elle accrédite ainsi comme le dit l’auteur « la légende du roman national américain soit l’image exaltante de la conquête de l’Ouest symbole du progrès porté par l’Occident » (page 228) mais comme le souligne aussi Liesel Schiffer, Olympe est aussi critiquée pour ses jugements par ses ami(e)s et d’autres auteurs ayant eux aussi voyagé tels que Mathilde Shaw qui, dans ses écrits, porte un tout autre témoignage sur les mormons et les tribus indiennes Creeks et Séminoles qu’elle a rencontré.
Une grande figure féministe
Dans la quatrième partie, l’auteur revient sur le cœur du propos : « la cause des femmes ». Sept chapitres se succèdent et il s’agit ici de la partie la plus longue de l’ouvrage mais aussi la plus complète. Tous les thèmes sont abordés : la femme est « encagée » (page 287) que ce soit sur le plan politique (la question du droit de vote), législatif, mais aussi de la mode (avec la crinoline qu’elle condamne) les lois, les mœurs, les moqueries et les blagues qui dénigrent et dévalorisent la femme ou encore les attaques physiques. Si Olympe est reconnue comme une beauté de son époque, jugement qu’elle moque et avec lequel elle prend beaucoup de distance, ce ne fut pas le cas de Louise Michel qui dû subir une double critique : celle de ses idées et celle de son physique.
Dans le chapitre « Figure de proue du divorce », l’auteur revient sur l’opposition d’Olympe Audouard à Alexandre Dumas fils, la première lui reprochant un traitement misogyne et moralisateur de la femme dans ses œuvres, alors que paradoxalement ce serait Alexandre Dumas qui serait à l’origine de l’usage du terme féministe, terme sur lequel Liesel Schiffel revient judicieusement (page 348).
La dernière partie « parler avec les esprits après la tourmente » clôt logiquement l’ouvrage. Prenant pour point de départ Sedan et la Commune qu’Olympe commente, l’auteur aborde la dernière partie de sa vie. Elle cède notamment à la mode du spiritisme, preuve qu’Olympe Audouard fut à la fois une femme libre mais aussi une femme de son temps.
Assurément un bel ouvrage à recommander !