Manuel d’accès commode, cette géopolitique du monde contemporain réussit à être d’une grande précision pour ce qui concerne la mise au point scientifique tout en restant accessible à des non spécialistes. Cet ouvrage réunit des géographes comme Michel Foucher, Michel Pelletier et Jacques Soppelsa sont les travaux ont fait date dans les années quatre vingt et d’autres spécialistes des espaces traités. On appréciera la table des matières extrêmement précise et bien conçue et les cartes souvent originales qu’elles soient présentées sous forme classique ou comme des chorêmes.
La première partie de l’ouvrage présente les centres où l’on retrouve les Etats-Unis, ce qui est évidement mais aussi la Chine. De ce point de vue la démarche est anticipatrice notamment lorsque l’on évoque la place de la Chine dans la recomposition mondiale et notamment ses responsabilités de grande puissance. On se posera la question d’ailleurs de savoir si le conflit avec les Etats-Unis est évitable ou non. Dans le contexte actuel, les Etats-Unis qui ont été privés d’ennemi principal avec l’implosion de l’URSS considèrent que la Chine est devenue leur adversaire principal. Opposés dans l’accès aux matières premières, rivaux dans bien des domaines, y compris la course à l’espace, les deux adversaires se livrent à une guerre indirecte, les uns comme les autres instrumentalisant les difficultés de leurs adversaires. Dans le même temps, l’interpénétration des économies rend ce scénario improbable. On est pourtant bien là dans une concurrence impériale tous azimuts qui est conflictuelle à terme.
La seconde partie traite des puissances avérées.
On y retrouve l’Union européenne, la Russie et le Japon. De quoi réfléchir à propos de cette vision du monde qui est la nôtre, avec les trois pôles de la triade imperturbablement présentés sur les cartes du monde : La côte est des Etats-Unis, l’Ouest de l’Europe, la mégalopole japonaise ne sont plus forcément, d’après les auteurs de cet ouvrage des centres exclusifs du monde. Peut-être que ce qui est présenté dans la partie précédente serait l’amorce d’un nouveau duopole opposant les Etats-Unis et la Chine. De plus entre les deux rivaux, ce sont bien deux visions du monde qui s’affrontent, mais dans le cadre d’une économie de marché et de stratégies de puissance, dans que la Chine ne s’embarrasse outre mesure des oripeaux idéologiques du marxisme léninisme.
L’Union européenne est donc présentée comme une puissance civile, du fait de sa diplomatie environnementale. On retrouve ici la vieille opposition entre une Europe pacifique et des Etats-Unis qui auraient tendance à être plus belliqueux comme la décrit Kagan dans ses analyses comparées sur les politiques étrangères.
Il est vrai que la tendance de cette Europe n’est pas forcément à la constitution d’une Europe puissance même si les fondamentaux existent. La politique européenne de voisinage, amplement traitée dans l’ouvrage est une forme de bilatéralisme conditionnel visant à élargir le modèle européen d’intégration. De ce point de vue, on comprend bien que l’élargissement à la Turquie est un faux débat. On notera cependant que l’on peut opposer désormais, selon l’heureuse formule de l’un des auteurs, des frontières physiques et des frontières civiques.
Si l’Union européenne est considérée comme une puissance civile, le Japon est présenté comme une puissance retenue. Sans doute parce que pendant les années quatre vingt avant la crise de l’Endaka, le Japon était présenté somme une inéluctable puissance montante. La Chine n’avait pas encore fait irruption. Le Japon qui semble s’être redressé est à nouveau un acteur présent sur la scène asiatique ce qui le met en position d’opposition face à la Chine. Pendant la guerre froide ce bon élève du modèle occidental avait su exorciser ses vieux démons militaristes et expansionnistes. Porte avion insubmersible face à l’URSS, il est aujourd’hui un rival de la Chine qui entend, comme son voisin et concurrent, se doter des attributs de la puissance. En même temps, parce que la société japonaise n’est pas prête à suivre cette évolution, le Japon retient sa volonté de puissance en adoptant une politique de développement harmonieuse qui se veut un modèle pour l’Asie toute entière. Au scénario de l’excellence marchande, et de l’agressivité commerciale, l’économie japonaise et ses acteurs semblent avoir, avec la politique des trois R – Récupérer, recycler, réutiliser – choisi celui de l’harmonie pacifique.
La Russie intervient également dans ce concert des puissances avérées, avec une analyse des ressorts de sa politique d’expansion et de rétractation territoriale, et de sa fragmentation. Territoire fragmenté à l’infini et intégré au système monde sans doute mais c’est peut-être un peu réducteur lorsque l’on sait que l’histoire de la Russie est aussi celle de la volonté d’hommes, porteurs de projets et unificateurs par le fer et le sang de ce territoire immense. La démocratie verticale de Poutine et de son successeur s’inscrivent sans doute dans cette logique même si l’on pu constater très récemment que, même au sein du parti présidentiel Russie unie, des dissensions régionales s’exprimaient.
La troisième partie de l’ouvrage traite des mondes en mouvements, en traitant successivement, on aurait envie de dire par ordre de priorité, l’Inde, le Brésil, composantes de l’acronyme BRIC, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Les auteurs insistent avec bonheur sur les ouvertures maritimes et sur les évolutions territoriales de tous les ensembles considérés. Il est clair par exemple que l’Inde entend devenir une puissance navale, que le Brésil a vocation à l’être, que l’Afrique noire devra dépasser le syndrome des matières premières et qu’elle aura à faire face, elle le fait déjà, aux appétits des émergents en ce qui concerne les enjeux pétroliers.
De la même façon, le Proche Orient est profondément fragmenté, et l’Islam n’est en aucun cas un facteur d’unité, que le problème de l’État est loin d’être réglé et que cette région du monde est à la fois omniprésente et absente au monde.
La dernière partie fournit une très bonne synthèse qui pourra servir de référence à l’introduction du programme de géographie et d’histoire des classes terminales mais aussi à bien des préparations aux concours pour ce qui relève de la culture générale dans laquelle l’histoire et la géographie occupent une place éminente. On reviendra par exemple sur le concept de méta-frontières qui désignent des lignes de partages du monde dans la représentation et sur les phénomènes parallèles et symétriques de fragmentation des territoires et de mondialisation.
Au final, cet ouvrage est à lire, absolument, pour comprendre les ressorts fondamentaux d’un monde qui bouge. Les étudiants en sciences politiques mais bien d’autres également, ne peuvent pas ignorer ce manuel de référence, il en va de leur compréhension du monde.
Bruno Modica © Clionautes