2010. Le Sénat débat du projet de « réforme » du régime des retraites (une loi « Travail », déjà…), qu’a adopté l’Assemblée nationale. Un mouvement de grève s’étend à partir des corps de métier dont l’activité est parmi les plus pénibles : les cheminots, les dockers, les raffineurs… Parmi ces derniers, Grandpuits, dans la région parisienne (Seine-et-Marne), où se trouve l’une des huit raffineries de métropole, propriété du groupe Total. Les salariés ont cessé le travail à plusieurs reprises : en février (pour protester contre la menace de fermeture de la raffinerie de Dunkerque), en mai et en octobre.
Olivier Adam laisse la parole à certains des protagonistes, qui, sans s’attarder et sans pleurnicher, montrent sobrement comment leur travail affecte les corps et les esprits : infarctus vers 32 ans pour l’un (sportif, non-fumeur, sans cholestérol) ; des difficultés physiques plus marquées encore pour cet autre, d’une cinquantaine d’années. Pour eux, retarder leur retraite, c’est augmenter encore leur exposition aux risques professionnels, et consécutivement diminuer leur espérance de vie. Un encart vient préciser ce propos les différences entre un cadre supérieur et un salarié : à 35 ans, l’espérance de vie du premier est de 81 ans, mais sept ans de moins pour le second ; l’espérance de vie en bonne santé est de 69 ans pour le cadre, mais de 59 pour le salarié.
Malgré l’ampleur du mouvement social qui s’était développée (près de deux millions de manifestants le 24 juin mais aussi le 7 septembre ; davantage encore par la suite), le gouvernement a fait approuver par le Parlement le recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans, porté par le ministre Woerth. De cela, il n’en est pas directement question dans le film, qui s’attache surtout à montrer comment la grève s’est développée dans la raffinerie de Grandpuits, à l’occasion de laquelle un fort élan de solidarité s’est exprimé pour soutenir les grévistes. Cet élan est l’une des «petites victoires» auxquelles fait allusion le titre.
Le principal intérêt du film, outre d’être d’être une sorte de marqueur de la mémoire du mouvement ouvrier, est pédagogique : il permet de mieux percevoir ce qui fait une grève. On voit clairement qui sont les intervenants : les grévistes, les forces de l’ordre (et indirectement ceux qui les font agir), l’opinion publique solidaire, le patronat (là aussi indirectement, notamment par la visite nocturne du directeur de la raffinerie, histoire de montrer à sa femme un piquet de grève), le pouvoir politique.
On mesure aussi quel est l’objectif (lutter contre la menace représentée par le projet de loi), mais également les stratégies mises en place pour l’atteindre ou le contrer. C’est le travail de médiatisation (non voulu, au départ, par les grévistes, mais Grandpuits est dans la région parisienne, et est donc plus facile d’accès).
Le films montre quel enthousiasme suscite la grève de la raffinerie dans l’opinion publique française, ce qui indique que le conflit a clairement des enjeux importants, au-delà de la personne même des grévistes. Ceux-là en sont conscients, qui se demandent s’ils auront les épaules suffisantes pour tenir, et remercient sans cesse ceux qui se déplacent, qui écrivent, qui donnent pour soutenir le mouvement. En même temps qu’un élément de pression (sera-t-on à la hauteur de ceux qui croient en nous ?), ils expriment de la force de ce soutien, vécu comme un encouragement auquel ils ne s’attendaient pas.
Les rapports avec la presse, qui expliquent l’engouement dont il vient d’être question, sont montrés : des rapports inégaux dans le temps ; des relations parfois peu fidèles.
Sont exposées les stratégies mises en place, pour tenir et durer. C’est bien sûr celles des grévistes, mais aussi du patronat qui «a les reins solides», et qui peut aussi jouer sur les flux d’approvisionnement en pétrole brut, les raffinements qu’il détient dans d’autres pays pour aggraver artificiellement la situation. C’est aussi celles du gouvernement en place, qui s’appuie sur les médias pour minimiser l’importance du conflit ou alarmer l’opinion publique (en mettant en avant les thèmes de la France prise en otage, des PME qu’on asphyxie, de tout ceux qu’on empêche de travailler, etc.), sur les forces de l’ordre pour débloquer des raffineries ou laisser pourrir la situation, sur la législation pour enlever aux salariés les moyens de pression nécessaires pour faire avancer leurs revendications. On assiste ainsi à une surprenante réquisition par l’État d’employés d’un groupe privé, pour éviter… d’éventuels troubles à l’ordre public.
On a ainsi une magnifique leçon d’enseignement civique et même moral. Et au fil des images (à compléter par les photographies de Lolo le teigneux), on perçoit la difficulté de la condition salariale en France, on comprend mieux les motivations de ceux qui luttent contre les atteintes aux droits sociaux, la conscience des salariés d’être des éléments importants dans la défense d’intérêts qui ne sont pas les leurs propres.
Le fil pédagogique est d’autant mieux servi que le réalisateur se met en retrait pour laisser la parole aux grévistes (et à ceux qui contestent le mouvement), et qu’il offre quelques éclairages particuliers (comme sur les écarts d’espérance de vie). Un regret, qui est aussi celui d’Olivier Azam : que la direction n’ait pas acceptée de se prêter à un entretien, se réfugiant derrière le fait que cette grève est due à des causes externes à l’entreprise.
Un autre intérêt de ce film tient à l’actualité de ce mois de mai 2016, à savoir le blocage de raffineries pour protester contre une autre loi «travail», mais sous un gouvernement dit socialiste, cette fois-ci. À six ans de distance, le documentaire permettra de prendre du recul par rapport au déroulement de la situation.
«Il a besoin de nous»
En complément au film, on appréciera le réjouissant court-métrage de François Ruffin, alors dans l’équipe de «Là-bas si j’y suis», sur France Inter. Il se met dans la peau d’un jeune militant de l’UMP pour défendre la politique gouvernementale (jusqu’à la caricature, mais c’est bien l’objectif) face à ce qu’il nomme « l’extrême-gauche », les « gueulards » qui veulent maintenir la retraite à 60 ans, tout en distribuant des tracts appelant à soutenir le président de la République de l’époque. Un léger détail : la scène se déroule aux abords d’une manifestation à Paris, ce qui vaut à Fr. Ruffin (qui n’en mène pas large) d’être à deux doigts d’être agressé. On se rappelle que c’est aussi l’heureux réalisateur de Merci PatronEt lui-même patron du journal édité à Amiens, [Fakir->http://www.fakirpresse.info/] : toute similitude (notamment la provocation) avec ce film ne serait absolument pas fortuite.
Histoire de la grève générale, de la Commune au Front populaire
Ce documentaire d’une heure propose un exposé soutenu par Miguel Cuerca, auteur de Déposséder les possédants. La grève générale aux «temps héroïques» du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906) (éd. Agone, 2008), et Charles Jacquier, responsable de la collection «MémoireSociales» aux éditions Agone.
Le compte rendu de ce film sera fait avec celui du livre cité. On pourra le retrouver ici… quand ce sera prêt.