1945-1956, le cinéma militant de la Libération et de la guerre froide

Il y a un an, Ciné-Archives nous avait gratifié d’un très beau et très riche coffret d’archives cinématographiques La Vie est à nous. Le Temps des cerises et autres films du Front populaire. Une autre publication vient d’avoir lieu, ce 3 octobre, qui concerne cette fois la décennie qui suit la Seconde Guerre mondiale (1945-1956). Le double DVD rassemble vingt courts métrages ou extraits de films plus longs (environ six heures en tout), restaurés, provenant des archives cinématographiques du parti communiste, de L’Humanité, mais aussi de la CGT. Le tout se divise en quatre chapitres, avec une mie en perspective faite par un historien spécialiste du mouvement social et de la période :

  1. Des métiers et des luttes (Michel Pigenet) ;
  2. Anticolonialisme et anti-impérialisme (Alain Ruscio) ;
  3. 1945-1947. Les Lendemains qui chantent (Paul Boulland) ;
  4. 1947-1956. Guerre et paix (Serge Wolikow)Ce sont ces deux derniers thèmes sont ceux qui intéresseront le plus les enseignants d’histoire..

Une dernière analyse de Danielle Tartakovsky clôt l’ensemble, consacré au thème « Manifester pendant la Guerre froide » (7′).

Un livret (136 pages tout de même, le livret…) accompagne le double-DVD, qui permet au lecteur d’avoir un éclairage précis malgré le format assez court (8 à 10 pages). Après tout, si l’on veut vraiment en savoir davantage, il n’est que de se reporter aux travaux des historiens concernés. On a également un entretien avec Bertrand Tavernier, qui évoque sa rencontre avec le cinéma militant (et communiste, en l’occurrence) dans les années cinquante, et l’importance que cela a eu dans sa formation et son ouverture culturelle.

L’initiative de Ciné-Archives atteint ses objectifs, comme cela avait été le cas pour le Front populaire. Avec ces films destinés à la propagande politique et syndicale, on a une idée de la façon dont le PCF et la CGT considèrent la société française, leurs relations avec le pouvoir et leur place dans les événements internationaux. Ainsi, Michel Pigenet rappelle la situation centrale du parti communiste lors de la Libération : 800 000 adhérents ; des relais dans la société (avec l’Union des femmes françaises, etc.) ; 80 % des mandats lors du congrès de la CGT d’avril 1946 (4 millions de syndiqués)… Le PCF montre le poids qu’il occupe dans l’après-guerre. C’est la Résistance, avec l’évocation des maquis du LimousinGeorges Guingouin, qui joue son propre rôle de «préfet du maquis», n’est pas encore discrédité par son parti.. C’est la participation du parti au gouvernement, sa contribution aux débuts de la reconstruction, notamment au travers du discours de Maurice Thorez«L’homme le plus aimé des travailleurs, le plus redouté des trusts». Les Lendemains qui chantent, 1946. à Waziers au cœur du bassin minier du Nord), le 21 juillet 1945, sur la nécessité de produire«Produire, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée du devoir de classe, du devoir des Français. Hier, notre arme était le sabotage, l’action armée contre l’ennemi. Aujourd’hui, l’arme, c’est la production, pour faire échec aux plans de la réaction».. Mais on le voit aussi prendre sa place dans la lutte contre l’impérialisme américain, au sein de la guerre froide : les temps ont changé. La manifestation contre la venue à Paris du général Ridway est la forme violente de nombreuses actions, dont le cinéma est l’un des éléments, notamment avec «Les Américains en Amérique !» (12′, 1950). Outre l’épisode du représentant d’une célèbre marque de sodas qui se fait renvoyer proprement d’un café où l’«on aime le bon vin et on sait l’apprécier»Qui annonce le «produire français» des années soixante-dix., aux États-Unis, la liberté d’expression n’existe pas puisqu’on réprime les manifestations ouvrières, comme en FranceVoir «Premier Mai 1948. Chemin de la liberté», avec la répression du mouvement ouvrier par les gardes mobiles de Jules Moch — prononcez «Moche», comme boche. La Bulgarie et la Tchécoslovaquie sont montrées comme des modèles de liberté…. Les États-Unis, c’est la guerre, une occupation qui ne dit pas son nom ; les allusions à la période 1940-1944 sont très claires, au moment où le réarmement allemand commence à se faire. La propagande du PCF reproduit les principes du rapport Jdanov.

On notera également le culte de la personnalité voué à Staline (L’Homme que nous aimons le plus, 1949), «champion de la paix, de la liberté et du bonheur humain», «le meilleur des hommes», «vainqueur du fascisme, combattant de la paix et de la liberté, combattant de l’avenir et du bonheur de tous» : à l’occasion de son 70e anniversaire, les militants lui offrent des cadeaux (caisse de vouvray…).

Les cinéphiles ne manqueront de remarquer la présence d’acteurs plus ou moins connus, qui montre à quel point le rayonnement du parti dans le monde artistique est important : Paul Frankeur, comme narrateur de «L’Amérique en Amérique !» ; Pierre Louis, résistant dans «R5. Autour d’un maquis», etc. Le lien avec le public n’en est que facilité.

Il est difficile d’en dire davantage, mais on aura compris que ces Grands Soirs et beaux lendemains est une ressource exceptionnelle, précieuse pour notre enseignement, que ce soit pour la France des années quarante et cinquante, que pour l’inscription de la guerre froide dans notre pays. Il est également un moyen formidable pour initier les élèves à l’analyse critique : «L’Homme que nous aimons le plus» est le summum en la matière, mais les autres films comportent également des passages assez savoureux. Il permettra de montrer comment se fait la propagande politique, sur quels thèmes et quels ressorts elle s’appuie. Et puis, cela pourra être mis en parallèle avec la propagande actuelle (on dit «communication»), avec d’autres moyens techniques.

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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes