La Commune reste l’un des objets historiques les moins fréquentés par les écrivains, celle de Paris et a fortiori celle de Saint-Étienne et d’aillleurs. Cela ne veut pas dire qu’on n’ait rien écrit sur le sujet : Jules Vallès a laissé de très belles pages ; Jean-Pierre Chabrol a restitué l’atmosphère insurrectionnelle avec Le Canon Fraternité, en 1970, etc. Mais on a le sentiment que la Commune est restée dans l’ombre, comme coincée entre l’épopée napoléonienne et la guerre de 14.
C’est probablement la raison pour laquelle Michèle Audin a voulu aborder cette période et ceux qui l’ont animée, car «personne ne souvient de leurs noms», comme elle l’évoque à la fin de son ouvrage. Et pour cela, elle a créé des personnages, pour donner à voir d’en bas la Commune. C’est avec eux que l’on passe de quartier en quartier, au fil des soixante-douze jours qui s’achèvent avec la dernière barricade, rue Ramponneau. C’est avec eux que sont évoquées les mesures prises par la Commune : l’égalité de salaire (au moins entre instituteurs et institutrices), l’autogestion des ouvriers des ateliers d’armes du Louvre, etc. C’est par leurs yeux qu’on voit vaciller la colonne Vendôme, sur laquelle est juché «le jean-foutre Bonaparte premier, dans son ridicule déguisement d’empereur romain, chemise et caleçon». On les suit également dans les derniers moments, aux prises avec la sauvagerie de la reprise de Paris par les Versaillais et de la répression. On perçoit alors ce qui sépare ce petit peuple de leurs assaillants : la vie contre la mort ; le rêve, l’utopie en œuvre contre le «réalisme».
L’ouvrage s’achève comme on n’a cessé de le voir se construire. Les pérégrinations de l’auteur sont comme autant d’échos de la Commune qui résonnent encore aujourd’hui : la tuerie du 7 janvier 2015, le pont Neuf et le massacre du 17 octobre 1961…
Pour cela, Michèle Audin a travaillé, énormément travaillé, pour ressusciter des contemporains de l’époque : Édouard Vaillant, Lissagaray, Deslescluze. Et même Marx, à Londres. Elle a beaucoup noté, jusqu’aux moindres détails, qui rendent l’absurdité de ce qui se passe au même moment : à l’instant où Eugène Varlin, dénoncé par un curé, est exécuté par le lieutenant Sicre, l’auteur indique qu’il est «tombé précisément 22,75 mm de pluie dans la cour de l’Observatoire». Toute sa documentation est réunie dans un site créé pour l’occasion (www.macommunedeparis.com), qui continue à être alimenté aujourd’hui.
J’oubliais un détail que l’auteur se garde bien d’aborder. Michèle Audin est la fille de Maurice AudinVoir la fiche biographique de Maurice Audin dans le «Maitron», militant communiste anti-colonialiste torturé et assassiné par l’armée française le 21 juin 1957, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Comme si l’Histoire bégayait…
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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes