Le sous-titre résume bien le livre : le tremblement de terre du 12 janvier 2010 dans les récits de presse français et fait de cet ouvrage une source pour l’enseignement de la géographie des risques mais aussi l’éducation aux médias.
L’auteure pose la question : Existe-t-il un traitement pessimiste fait de représentations, héritier du passé des relations France/Haïti ? Pourquoi et comment les Haïtiens ressentent-ils ce fait?
L’étude porte sur trois quotidiens nationaux : Le Monde, Libération et Le Figaro.
Haïti une histoire extrême
L’auteure dans une longue première partie revient sur l’histoire du pays.
Elle propose quelques jalons depuis 1492, la colonisation française, l’expansion de la culture de la canne à sucre reposant sur l’esclavage, la révolte de 1791, la nécessité de mobiliser les esclaves et les marrons face aux menaces anglaise et espagnole contre la promesse de la liberté.
L’épopée de Toussaint Louverture, assez connu et Jean Jacques Dessalines, souvent ignoré, est évoquée rapidement avec quelques repères jusqu’à l’indépendance en 1804.
C’est un pays exsangue qui sort de 12 ans de guerre et dont la stabilité politique est incertaine du fait des dissensions entre noirs et mulâtres. Le redressement est rendu difficile par la demande française d’une énorme indemnité et la reconnaissance du nouvel état bien tardive : 1825 pour la France, 1862 pour les États-Unis dont la tutelle s’est progressivement affirmée jusqu’à l’invasion de l’île en 1915 et reste une réalité aujourd’hui.
La période dictatoriale de Duvalier père et fils est rapidement décrite et permet de bien montrer la rupture forte entre élite et population notamment rurale.
L’auteure aborde ensuite la situation socio-économique au moment du séisme du 12 janvier 2010 d’après les observatoires des Nations Unies. 149ème / 182 rang pour le développement humain, le PIB le plus bas d’Amérique latine et en courbe descendante, Haïti est aussi sur la route des cyclones dont les ravages aggravent encore un bilan plutôt sombre : effet de la variation des prix des matières premières (café) dans les années 80, programme d’ajustement structurel du FMI.
C’est ensuite un tableau de l’image que l’élite intellectuelle exprime sur Haïti d’après les travaux de Léon-François Hoffmann professeur de littérature à Princeton, une occasion de montrer les ruptures de la société : classes sociales, tensions religieuses entre vaudou et christianisme, linguistiques entre français et créole, tensions entre la revendication de la première république noire, l’ascendance africaine et en même temps la revendication d’une filiation avec les idéaux révolutionnaires, une francophilie très présente parmi l’élite mulâtre.
Parallèlement l’auteure recherche les imaginaires collectifs français : de la revendication de la supériorité blanche de l’époque moderne justifiant colonisation et esclavage au confinement dont fut victime Haïti au XIXe siècle. Il faut attendre les indépendances pour une remise en cause du discours racial, Haïti semble alors retrouver une place grâce à sa proximité avec les Antilles françaises notamment par sa littérature même si le pays est perçu comme terre d’art naïf.
Un court exposé est consacré à la notion de représentation sociale et éclaire les stéréotypes issus de l’imaginaire colonial, complété d’une réflexion théorique sur la sociologie de la pauvreté avec pour référence les écrits de Georg Simmel http://www.universalis.fr/encyclopedie/georg-simmel/ et [http://www.puf.com/Auteur:Georg_Simmel->http://www.puf.com/Auteur:Georg_Simmel].
Cette première partie s’achève sur quelques réflexions théoriques concernant l’analyse du discours.
Discours de dominance
Forte de ce bagage l’auteure entre dans le vif du sujet : les récits de la catastrophe. Les récits des trois journaux Le Monde, Libération, Le Figaro du 14 au 21 janvier 2010 sont marqués par la variété journalistique : du reportage à l’interview, avec ou sans photos, en « page événement » ou en « page monde »; ils font une place importante au séisme puis, après le 21, à l’intervention américaine. L’auteure analyse qui écrit, qui raconte, quels faits à partir d’un corpus cité en annexe : description du phénomène avec analyses d’experts, témoignages des victimes, description de l’aide et réactions internationales.
L’auteure dégage les invariants du discours médiatique que l’on retrouve dans l’analyse de Jocelyne Arquembourg L’événement et les médias : les récits médiatiques des tsunamis et les débats publics (1755-2004), Paris, éditions des Archives contemporaines, 2011 à propos du tsunami de 2004 : alarme sensationnaliste, emballement compassionnel et rôle des ONG comme fournisseur d’informations, déferlante humanitaire, dépolitisation du problème et le peu de place faite aux premiers concernés: les habitants.
L’auteure analyse la différence entre la presse écrite et TV5 Monde engagé depuis plusieurs semaines avant le séisme dans une série de reportages sur le développement rural et dont le récit s’appuyant sur les témoignages haïtiens est retranscrit ici (pages 127 et suiv.).
Spécificités des thèmes : Dès les premiers articles la sémantique religieuse et superstitieuse apparaît : la « malédiction », le « destin », la « terre maudite » numéro spécial de libération du 14/01/2010, mais aussi le « chaos », termes qui renvoient à une représentation du pays basée sur l’idée d’une « faute originelle », une évocation de son histoire tronquée (rien ou si peu sur le passé colonial), un état en faillite comme justification d’une tutelle extérieure organisant les secours.
D’autres thèmes sont présentés : image de l’insécurité, nuancée si on se réfère à TV 5 monde, concurrence États-Unis / France ou quelle légitimité à intervenir?
Après les textes Stéphanie Barzasi analyse les images de presse, s’appuyant sur les travaux du CETRI Le CETRI(Centre Tricontinental) existe depuis 1976. Il a pour ambition de faire connaître les points de vue du Sud dans le contexte actuel de mondialisation, de diffuser les propositions d’alternatives élaborées par le Sud et de contribuer à une réflexion de fond en rapport avec les mouvements sociaux. [http://www.cetri.be/-Accueil–>http://www.cetri.be/-Accueil-] et de Frédéric Thomas L’échec humanitaire: le cas Haïtien, Bruxelles, coédition CETRI et couleurs livres, CR [http://clio-cr.clionautes.org/l-echec-humanitaire-le-cas-haitien.html2013->http://clio-cr.clionautes.org/l-echec-humanitaire-le-cas-haitien.html].
En page 170 l’auteure propose un exercice très intéressant à faire en classe « il suffit de taper « victimes du 11 septembre » et « victimes séisme Haïti » sur Google images« .
L’analyse repose sur l’ouvrage de Luc Boltanski: La souffrance à distance [http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1994_num_12_65_2515->http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1994_num_12_65_2515] et montre les liens parfois troubles entre journalistes et humanitaires. L’auteure s’interroge sur le poids des « archives visuelles », pour reprendre l’expression de Susan Sontag, de la colonisation française et du rapport à l’autre voir aussi Nicolas Bancel et Pascal Blanchard « de l’indigène à l’immigré » in Hommes et migrations n° 1207, mai-juin 1997, pp. 6-29.
La mémoire, l’histoire, l’oubli
La réponse haïtienne, entre réception négociée et oppositionnelle, telle qu’elle apparaît dans les trois journaux étudiés à la lecture des interviews de grands auteurs haïtiens tel Dany Laferrière qui tient à corriger les stéréotypes, les images de malédiction, récuse l’attentisme des populations et les pillages. La mise au point de René Lemoine va dans le même sens. Les témoins remettent en cause le traitement même des journaux qui les publient. Ils proposent un autre regard sur l’histoire du pays (page 189/191). Mais la juxtaposition dans les mêmes pages de presse du discours français et du correctif haïtien exprime les traces d’un passé commun, interroge sur la mémoire collective, une analyse dans les pas de Paul Ricoeur, mémoire blessée, manipulée de la traite et de la guerre d’indépendance.
L’auteur conclut sur la nécessite d’une écriture haïtienne de son histoire où les auteurs haïtiens ont un rôle central à jouer.
Au-delà du sujet même de cet ouvrage le travail de Stéphanie Barzasi propose une méthode d’interrogation des stéréotypes véhiculés dans les textes, les images et ouvre des pistes pour une éducation aux médias indispensable aujourd’hui,