Roy Dilley est professeur d’Anthropologie Sociale à l’université de St Andrews en Écosse. Il est spécialiste d’anthropologie sociale de l’Afrique de l’Ouest au sujet de laquelle il a publié de nombreux ouvrages. Il est plus particulièrement spécialisé dans la culture haalpulaar (mieux connue sous le nom de Toucouleur) dont il a publié une monographie Islamic and Caste Knowledge Practices among Haalpulaar’en (2004). Il nous livre ici une biographie du premier gouverneur de la Mauritanie Henri Gaden, lui-même amoureux de la culture Haapulaar, sur laquelle il est le premier à avoir fait des recherches. Il publia un ouvrage en 1931 intitulé Proverbes et maximes peuls et toucouleurs. Le professeur Dilley tomba sur ce livre dans une petite librairie lorsqu’il arriva au Sénégal en 1980 pour effectuer des recherches anthropologiques de terrain à l’issue desquelles il obtint son doctorat à la prestigieuse université d’Oxford. C’est en partant de ce livre, qu’il garda toujours auprès de lui lors de ses recherches, qu’il se prit de curiosité pour l’auteur dont il nous livre ici la vie en Afrique de l’Ouest en tant que militaire issu de St Cyr puis de fonctionnaire au ministère des colonies.
Le livre est construit de façon chronologique, à partir de l’abondante correspondance qu’Henri Gaden entretint majoritairement avec son père mais aussi avec son camarade de combat Henri Gouraud et d’autres qui apparaissent dans le récit mais sans en constituer la trame. Cependant deux parties bien distinctes apparaissent dans le livre, la partie où Gaden est militaire et demande à servir au Soudan dès sa sortie de Saint-Cyr et la partie au service de l’administration coloniale où il est transféré en 1911. Il finira gouverneur des colonies, commissaire du gouvernement en Mauritanie à partir de 1919 et mourra à Saint-Louis du Sénégal en 1939.
A travers la correspondance qu’entretint Henri Garden avec son père et son ami Henri Gouraud, on rentre au cœur de la colonisation française et des méthodes employées pour asseoir son autorité en Afrique de l’Ouest.
La capture de Samory
C’est ainsi que sont tour à tour abordées les campagnes militaires puisqu’il participa à la campagne de capture de Samory, et aussi de l’Adrar en Mauritanie qui permit d’installer l’autorité française dans ce pays.
Commençant sa carrière militaire en tant qu’adjoint au résident à Bandiagara situé au Soudan, puis capitaine lors la campagne contre le « Napoléon noir » Samoury. Il devient commandant de cercle en 1899 à Kissidougou en Guinée Française. Il est ensuite affecté à Zinder dans la région du Damergou sur le territoire du Niger puis à Tchekna où il était résident sur le territoire militaire du Tchad. Il nous décrit la vie militaire dans ces régions qui pouvaient être tour à tour soit ennuyeuse, faite d’attente, soit dangereuse lors des expéditions contre les attaques des résistants à la colonisation française.
Les lettres qu’il échange nous renseignent sur la vie qui se déroulait dans les différents forts. Ainsi il y aborde la question de la vie avec des femmes autochtones. Il est intéressant de savoir que Garden a eu plusieurs femmes et qu’à certains moments il devient pourvoyeur pour des militaires affectés dans les forts. Les enfants issus de ces couples mixtes sont rarement reconnus par les pères qui une fois retournés en France abandonnent sur place la femme avec qui ils avaient partagé leur vie et leur progéniture. Henri Gaden sera l’un des rares à reconnaître les enfants qu’il aura des différentes femmes avec qui il a vécu et assumera le métissage de ses enfants.
Razzias d’esclaves et violences coloniales
Un autre problème très épineux est abordé dans ses lettres. Lors de son séjour en tant que résident à Tchekna il est confronté au problème de razzias d’esclaves dans les régions du sud qui financent des sultanats avec la production d’eunuques et qui sont destinés à être exporté à travers le Sahara, alimentant la traite arabo-musulmane. Cette question est à rattacher au programme de cinquième et largement illustrée à travers tout le livre sous différents aspects. Cette traite est reliée d’une part au payement des taxes dues aux colonisateurs et d’autre part aux coutumes locales qui font de l’esclavagisme une donnée « normale » dans les chefferies de l’Afrique de l’Ouest.
Au fil des lettres et des échanges, Gaden aborde les violences faites aux colonisés par le biais du scandale qui éclata après l’affaire« Toqué-Gaud » qui tuèrent un guide indigène en lui attachant une ceinture de dynamite et en n’y mettant le feu, lors des célébrations du 14 juillet. Cette affaire qui provoqua un scandale retentissant en France intervient après la vague de dénonciation des atrocités commises dans le Congo belge du roi Léopold Ier. Après ces faits une enquête avait été diligentée à la tête de laquelle se trouvait le comte Pierre Savorgnan de Brazza.
Ainsi l’auteur, au travers de cette correspondance, nous fait découvrir non seulement la vie d’un militaire cantonné dans des forts chargés d’installer la présence française permanente dans les territoires récemment conquis mais aussi établir la complexité des rapports entre le colonisateur et le colonisé. On peut parcourir le livre et avoir des témoignage sur différentes entrées telle « l’école des otages», nom donné aux établissements scolaires spéciaux chargés de former les fils de chef et de notable que l’on destinait à rentrer dans l’administration coloniale. La place de l’esclave et des femmes noires dans la société coloniale et perçue par des hommes blancs, les pères blancs, la question des taxes, du découpage des territoires qui provoqua des déséquilibres par rapport à un système ancestral permettant une répartition plus juste des terres entres les différentes familles. Ce livre nous permet de saisir toute l’ambiguïté du personnage et son goût pour la recherche sur les langues et les sociétés qui l’entouraient.