Une enquête passionnante qui fait voyager le lecteur dans le temps comme dans l’espace, de la conquête coloniale à nos jours, les musées et fonds d’archives au Sénégal comme en France.
Taina Tervonen, l’autrice franco-finlandaise qui a passé son enfance au Sénégal, invite à une réflexion sur les récits français et africains de la prise de Ségou à la fin du XIXe siècle. Elle propose un voyage à travers le Sénégal à la recherche des traces du trésor pris à l’empire toucouleur et dont une pièce a été restituée par Édouard Philippe, premier ministre. Sa réflexion personnelle, des rencontres viennent en écho, à la fois, aux demandes des États africains et à la politique de restitution qui commence à se développer en Europe.
L’autrice, au hasard d’une visite au Musée du Quai Branly, retrouve le souvenir des leçons d’histoire apprises à l’école sénégalaise dans son enfance. Elle se souvient aussi de son étonnement devant l’ignorance des Français à propos de cette histoire de la colonisation de l’Afrique noire. Elle décide de partir à la recherche des traces du trésor d’El Hadj Omar Tall, dérobé par Archinard au moment de la prise de Ségou.
Saint-Louis, Sénégal, on suit l’autrice dans sa quête d’informations qui commence par une photographie des bijoux conservés en France, mauritaniens, Bambara et toucouleur d’après le bijoutier rencontré à Saint-Louis. La visite au lycée El Hadj Omar Tall, que les anciens élèves continuent à nommer lycée Faidherbe apporte une réflexion sur la mémoire, le poids des mots : Faidherbe, pacificateur du Sénégal ou conquérant ? C’est aussi l’occasion de rappeler que c’est lui qui décida de la création de l’« École des otages », cette école des fils de chefs qui devait leur donner une culture européenne et en faire des agents de la colonisation.
L’autrice décrit un parcours mémoriel, le rappel de la carrière de Louis Archinard la conduit à Podor, au fort Faidherbe où le premier conservateur évoque la création du bataillon des tirailleurs sénégalais sans qui la conquête du soudan n’aurait pas été possible.
A Halwar, c’est la rencontre avec un des descendants de ceux qui se sont opposés à cette avance française dans l’intérieur des terres comme El Hadj Omar Tall. Le récit montre un homme religieux, qui fait le pèlerinage à La Mecque, un savant qui fait l’apprentissage de la guerre sainte à Sokoto et qui a le grand projet d’établir un empire islamique aux dépens des Bambaras.
Les archives nationales de Dakar disposent d’un dossier sur la campagne du Soudan de 1889-1890. On y apprend la fascination pour le trésor de Ségou, un véritable mythe et la décision, après des négociations infructueuses de faire face à l’empire toucouleur. L’autrice y trouve le récit minutieux de la campagne militaire d’Archinard. La lecture de la correspondance du chef militaire français avec Ahmadou, fils d’El Hadj Omar Tall, absent de Ségou lors de la prise de la ville, traite du trésor et du sort de la famille royale captive, envoyée vers Kita.
Cette lecture des archives pour l’autrice qui n’est pas historienneComme elle l’explique p. 235, est une véritable rencontre avec des hommes et des femmes qui émergent des pages, un sentiment proche de celui dont parle Arlette Farge dans Le goût de l’archive.
Si Taina Tervonen apprend que seule une partie du trésor part pour la France ainsi qu’Abdoulaye le fils d’Almadou, nulle mention du sabre d’El Hadj Omar Tall qui vient d’être restitué au SénégalEn novembre 2019. Il était présent à Dakar depuis un an pour l’inauguration du Musée des Civilisations africaines. L’autrice présente une analyse géopolitique de la politique de restitution des œuvres volées lors de la colonisation. Elle visite le musée de Dakar.
Elle rencontre y des objets bambaras, prêtés par le Muséum d’histoire naturel du Havre qui portent la mention « Don Archinard » ; trophées coloniaux ou traces de la conquête toucouleur ? Le sabre lui-même pose question : est-il celui du grand ancêtre ? Mais un homme pieux dans la tradition enseignée au Sénégal avec un sabre ? L’objet est d’autre part étonnant, un objet métis si la poignée est toucouleur, la lame est de facture européenneVoir cet article du Monde daté du 24 novembre 2019 : « La première œuvre qui est “restituée” à l’Afrique est un objet européen ». Prise de guerre à Ségou dans l’actuel Mali, il est restitué au Sénégal, il semble être pour les Africains un objet à la fois militaire et religieux. Cette réflexion sur le sens des objets pose la question de leur nature : œuvre d’art pour les Européens. Faut-il laisser les Africains les garder ou les détruire comme le suggère Hamady Bocoum, directeur du Musée de Dakar ou Felwine Sarr, co-auteur avec Bénédicte Savoy du « rapport sur la restitution du patrimoine africain », commandé par Emmanuel Macron.
De son exploration du Muséum du Havre sur les traces d’Archinard ou de ces rencontres avec la famille Tall, naît une réflexion sur le statut même de l’objet muséal : art, mémoire, émotion religieuse. Le Havre a oublié ArchinardLa statue d’Archinard, en bronze, érigée en 1934 a été fondue pendant la guerre. qui est pourtant un trait d’union entre la France et le Sénégal. Il est vrai que la mémoire havraise est surtout marquée par les destructions de la seconde guerre, ce qui permet d’oublier le passé colonial.
L’enquête conduit ensuite Taina Tervonen aux Archives nationales d’Outre-mer d’Aix-en-Provence puis à Fréjus au centre d’histoire et des études des troupes d’Outre-mer, une occasion d’en savoir plus sur la vie du jeune captif, au soir de la chute de Ségou. Abdoulaye Tall, le petit fils d’El Hadj Omar Tal est arrivé en France en août 1890, il reçoit une éducation française, élève au lycée Janson de Sailly il rêve de Saint-Cyr et meurt à 20 ans. La correspondance entre Archinard et le jeune Tall est un témoignage troublant de cette histoire partagée, du sort peu enviable du fils du vaincu, entre deux cultures Sur ce thème voir les mémoires d’Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel l’enfant peul (Mémoires I, Actes Sud, 1991) et Oui mon commandant ! (Mémoires II, Actes Sud, 1993) ou le roman autobiographique de Cheikh Hamidou Kane, L’Aventure ambiguë, Julliard, 1961.
Le sabre est-il celui d’El Hadj Omar Tal ou un sabre ordinaire trouvé dans un coin du fort de Ségou ou d’ailleurs ? Les recherches de l’autrice comme celle Lise Mész Elle est conseillère sur l’historique des collections au Musée du quai Branly – Jacques Chirac . A ce titre, elle a menée une enquête assez semblable à celle de l’autrice. Enquête obligatoire puisqu’un objet ne peut sortir des collections que par la loi, votée dans ce cas en 2020 : Le trésor de Béhanzin et le sabre d’Oumar Tall appartiennent de nouveau aux Africains. Les députés français ont voté la première loi de restitution d’objets, au bénéfice du Bénin et du Sénégal. Cinq autres pays réclament le retour de biens culturels.qui fut chargée de l’analyse de la pièce ne permettent pas de le dire. Il restera symboliquement ce que dit l’étiquette qui lui est attachée.
Peut-être la recherche de l’origine des objets conservés dans les musées, si elle intègre les historiens africains, pourra-t-elle permettre des coopérations apaisées en l’Europe et l’Afrique.
L’ouvrage se termine sur un regret, celui de n’avoir pas pu visiter Ségou et Bandiagara mais un autre djihad ne le permet pas…