lors de la 13e édition des rendez-vous de l’histoire de Blois, Joël Cornette présentait son dernier livre consacré à Henri IV, un des rois de France qui a laissé dans la mémoire collective une trace particulièrement positive. L’auteur qui est incontestablement l’un des plus grands spécialistes de l’histoire de la monarchie à l’époque moderne ne s’est pas contenté d’écrire une biographie du « vert galant » de plus. Ce Henri IV à Saint-Denis que Joël Cornette m’a fait l’amitié de dédicacer à mon attention est organisé autour de quatre événements, séparés dans le temps qui s’inscrivent dans ce qu’il appelle : « l’imaginaire de la nation-France ».

Les quatre événements qui sont choisis sont autant de séquences qui inscrivent la trajectoire du bon roi Henri dans l’imaginaire collectif. Sans doute les règles dynastiques mises en œuvre dans le royaume de France au Moyen Âge pour éviter que l’Anglais ne s’empare de la couronne des lys ont-elles permis à ce huguenot, élevé dans la foi calviniste par l’intermédiaire de sa mère, Jeanne d’Albret, de monter sur le trône de France après avoir conquis le royaume les armes à la main.

– Mais dans le même temps, et c’est le premier événement fondateur que relate l’auteur, en abjurant sa foi, pour la troisième fois consécutive, puisqu’il l’avait déjà fait auparavant, il choisissait le « saut périlleux » d’un changement de croyance pour mettre un terme aux guerres de religion.

À ce titre, Henri IV affiche un sens de l’État étonnant. Malgré les fortes pressions de son entourage, la décision d’abjurer sa foi et de rejoindre le giron de l’église apostolique romaine lui apparaissait comme une évidence. Henri de Navarre montre ainsi un sens politique remarquable. À partir de Saint-Denis, la nécropole des rois de France, il inscrit la dynastie des Bourbons dont il est le représentant dans une sorte de succession «apostolique», celle des rois de France, Mérovingiens, Capétiens et Valois qui l’ont précédé. Henri IV, dès son arrivée à Saint-Denic le 9 juillet 1590, s’incline devant les sépultures de ses prédécesseurs. Saint-Denis était bien plus qu’une simple étape vers la conquête de Paris, mais bien un lieu fondateur.

Le 25 juillet 1593, après avoir suivi les enseignements des clercs catholiques, dont certains étaient d’anciens Réformés, il abjure sa foi calviniste. La conversion de Henri IV est présentée par l’auteur comme une véritable opération de communication politique.
Le jour de sa conversion, il écrit à tous les parlements pour justifier son choix. Mais, dans le même temps, car l’auteur parle de l’amertume huguenote, il cherche à rassurer ses anciens coreligionnaires. Le dimanche 25 juillet 1593, il fait écrire « à la ville de la Rochelle et aux autres semblables », une lettre qui se veut rassurante dans laquelle il annonce déjà ce que sera l’édit de tolérance, que l’on connaît sous le nom d’édit de Nantes de 1598.

Le saut périlleux de la conversion

Mais Joël Cornette ne se limite pas à la simple présentation érudite de cet événement, il le fait vivre en montrant l’état de l’opinion, la fureur des curés de la Ligue devant cette conversion qui sonne le glas de leur influence dans la Ville de Paris. La conversion est présentée comme la première étape de la réconciliation symbolique, et effective, du roi et du royaume. L’opération de relations publiques est parfaitement balisée. L’abjuration à Saint-Denis est le prélude du sacre à Chartres qui permet finalement l’entrée dans Paris. Pour faire bonne mesure, Henri IV obtient l’absolution pontificale, le 17 septembre 1595. Le sacre à Chartres, du 27 février 1594, avait été rendu nécessaire puisque la ville de Reims était aux mains de la Ligue. Il est vrai que Henri IV aurait parfaitement pu se faire sacrer à Saint-Denis qui était devenue, en attendant son entrée dans Paris, sa capitale de substitution. Ce que l’auteur explique enfin à propos de cet événement, c’est qu’il s’agit d’une recharge sacrale, permettant de renouer les liens entre la personne du roi, le royaume de France et l’immense majorité de ses sujets.

– Le second événement, en réalité il y en deux, les 13 et 14 mai 1610, associe le sacre de la reine Marie de Médicis et l’assassinat du roi. Ce coup de couteau semble avoir changé le cours de l’histoire en annulant la grande entreprise de guerre qu’Henri IV s’apprêtait à lancer contre le Saint Empire.
La veille de l’assassinat, Marie de Médicis a été sacrée reine de France. Ce sacre à Saint-Denis s’inscrivait lui aussi dans un contexte politique, puisque la guerre à venir contre l’empire risquait de laisser le trône vacant. Marie de Médicis, reine de France sacrée dans la nécropole des rois, devenait ainsi une incontestable régente potentielle. La jeunesse du dauphin rendait cette opération indispensable.

Témoins et théories du complot

L’assassinat du roi le lendemain est également décrit avec des témoignages d’époque, certains sont connus comme ceux de Pierre de l’Etoile, d’autres beaucoup moins comme le récit d’un voyageur polonais, Jakub Sobieski. Ce dernier évoque la stupeur qui a frappé la Ville de Paris. La nouvelle semble s’être répandue comme une traînée de poudre et l’auteur présente même une carte de la propagation de la nouvelle qui ne met finalement que 10 jours au maximum pour atteindre les points les plus éloignés du royaume comme le Finistère ou le Roussillon.

Des troubles semblent avoir éclaté et on peut parler à ce propos de la grande peur de 1610, reprenant en cela l’ouvrage de Michel Cassan, la grande peur de 1610, les Français et l’assassinat d’Henri IV. (Cet ouvrage a été présenté sur le site de La Cliothèque : http://www.clio-cr.clionautes.org/ecrire/?exec=articles&id_article=3001.) On apprend dans ce livre que le coup de couteau de Ravaillac n’était pas la première tentative de régicide. Dès 1593 et jusqu’en 1599, 3 tentatives ont eu lieu, dont une commise par un certain Jean Châtel, étudiant en droit de 19 ans qui fait perdre une dent au roi Henri en essayant de lui donner un coup de couteau au visage.
Les autres tentatives d’assassinat semblent avoir été plus virtuelles, notamment celle de 1608, qui conduit au supplice un certain gentilhomme de Normandie, décapité le 3 mai, « pour avoir, par charmes et sorcelleries, et quelques piqûres d’une image de cire, voulu attenter à la personne du roi » !

– Le troisième événement relaté par l’auteur traite de la période qui part de l’assassinat du 14 mai aux funérailles du 1er juillet 1610. Joël Cornette explique de façon extrêmement claire, le principe des « deux corps du roi. Il reprend en cela les explications de Ralph E. Giesey dans sa thèse de 1954, traduite en français en 1987 : Le roi ne meurt jamais, les obsèques royales dans la France de la Renaissance, Paris, Flammarion, 1987. Si le roi physique, le corps charnel vient de mourir, le roi symbolique, le « corps politique » du souverain, lui, ne meurt jamais. C’est sans doute ce que signifie cette formule que l’on connaît bien : « le roi est mort, vive le roi ! »

Le Roi continue de vivre

La cérémonie des obsèques est clairement une opération de relations publiques. Elle vise à inscrire dans la pensée collective cette idée d’une représentation du principe même du royaume de France, au-delà du territoire, au-delà des sujets, dans ce qui n’est pas encore une nation au sens contemporain, c’est bien cette « idée de la France » que l’on met en scène en exhibant le corps politique du roi et en appliquant à ses viscères un traitement particulier, comme par exemple les funérailles de cœur.
Au temps des Valois, si l’enterrement du corps avait lieu à Saint-Denis, celui du cœur se déroulait au couvent des Célestins, dans l’église de l’annonciation. Pour Henri IV, les funérailles de cœur se déroulent au collège des Jésuites de La Flèche. Le cortège funèbre était entouré de 1200 cavaliers. Avant les obsèques, tout un cérémonial est mis en œuvre autour du mannequin animé du roi. Tout un rituel se déroule autour de lui, les courtisans assistent à son lever, à son coucher ; les officiers de bouche servent et desservent sa table, midi et soir. Joël Cornette précise que les repas, bien évidemment non consommés, sont ensuite distribués aux pauvres.

– Le dernier événement est celui de la violation des caveaux royaux à Saint-Denis pendant cette période d’août à octobre 1793. Henri IV a bénéficié pendant tout le Siècle des Lumières d’un véritable culte. Le règne de Louis XIV, guerrier et écrasant les sujets d’impôts, était opposé à celui du « bon roi Henri ». Lors de l’avènement de Louis XVI, les propagandistes de la monarchie ont voulu associer Henri IV au jeune roi. Et même le 6 octobre 1789, lorsque Louis XVI est ramené de Versailles à Paris, Bailly, à l’hôtel de ville, déclare : « Henri IV avait reconquis son peuple ; ici, le peuple a reconquis son roi ». Un monument associant Henri IV à Louis XVI avait même été envisagé. L’évolution politique à partir de l’échec de la fuite du roi Louis XVI a très rapidement détaché le peuple de Paris de la monarchie. L’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793 marque le véritable début d’un iconoclasme à l’encontre de toute la symbolique monarchique.

Celle-ci se déroule en plusieurs étapes : d’abord la destruction des « effigies vivantes », ces statues de cire qui étaient conservées dans le trésor de l’abbaye de Saint-Denis, puis la démolition des tombes et des gisants à partir d’août 1793. Les pierres des tombeaux ont été revendues ou réutilisées pour construire une pyramide à la gloire de Marat, l’ami du peuple. La ville de Saint-Denis est rebaptisée en 1793. Elle devient « Franciade » et l’auteur parle à ce propos de la « désincorporation » du pouvoir monarchique. En septembre 1793, ce sont les corps des Rois, qui étaient restés dans des cercueils de plomb, qui sont ainsi mis à la fosse commune après avoir été recouverts de chaux vive. Le plomb récupéré, près de 9 tonnes de métal, a été fondu sur place. L’exhumation du corps d’Henri IV a eu lieu le samedi 12 octobre et les descriptions relatées par Joël Cornette évoquent un corps très bien conservé et qui aurait été traité semble-t-il, avec plus de respect que celui des autres monarques, à commencer par Marie de Médicis dont la dépouille a été l’objet de réactions brutales. Au-delà de la rupture révolutionnaire, le « bon roi » était encore présent dans l’imaginaire collectif.

L’intérêt de cet ouvrage, au-delà de la richesse de la présentation documentaire et de cette écriture très plaisante, malgré l’utilisation des tournures d’époque, réside surtout dans la réflexion qu’il suscite sur la construction de l’imaginaire politique. La mise en scène du pouvoir, qu’il soit royal ou présidentiel obéit toujours aux mêmes règles. Certes, celle-ci ont pu changer, et notamment en raison de l’enracinement de la laïcité, mais dans le même temps, le principe du pouvoir obéit toujours à des rituels qui relèvent de la sacralisation. De la même façon, la mise en scène des obsèques de trois présidents de la Cinquième République, dont l’un est mort en exercice, rappelle aussi que les rites mortuaires hérités de la monarchie ont laissé quelques traces. Cela va au-delà du simple respect des morts, mais montre bien que le pouvoir, quel qu’il ait pu être, s’inscrit dans une continuité historique, et relève de ce que l’on pourrait appeler, un « temps de mémoire », à défaut d’être un lieu, comme la nécropole royale de Saint-Denis où Joël Cornette nous conduit pour un de ces voyages dans le temps dont-il a le secret.

Bruno Modica